Empreinte écologique

L’accord de Paris implique de prendre considérablement moins l’avion.

Ne devrait-on pas d'ailleurs parler plutôt "d'emprunt écologique" étant donné que nous empruntons de notre vivant les ressources disponibles pour les générations futures ? Quand allons-nous réellement nous soucier de cet héritage ? Est-il concevable de considérer qu'un jour, les nouveaux arrivants auront le droit de nous reprocher d'avoir dilapidé le trésor ?

 

 

L’accord de Paris implique de prendre considérablement moins l’avion. ANDREW CABALLERO-REYNOLDS / AFP

On le dit souvent, c’était mieux avant. Une analyse produite par le site anglais Carbon Brief, mercredi 10 avril, pourrait donner raison à cet adage : les enfants nés aujourd’hui devront considérablement limiter leur empreinte carbone par rapport à celle de leurs grands-parents – plus précisément, émettre entre trois et huit fois moins de CO2 à l’échelle mondiale – afin d’enrayer le dérèglement climatique. C’est à cette condition que le monde pourra maintenir le réchauffement bien en deçà de 2 °C, et si possible à 1,5 °C, comme le prévoit l’accord de Paris conclu en 2015.

Les engagements actuels des Etats pour lutter contre le changement climatique sont notoirement insuffisants : à supposer qu’ils soient intégralement tenus, ils mettent la planète sur une trajectoire de réchauffement de 3,2 °C d’ici à la fin du siècle. De sorte que selon une étude du Programme des Nations unies pour l’environnement publiée en novembre 2018, les pays doivent tripler le niveau de leur effort pour ne pas dépasser 2 °C de réchauffement. Et le multiplier par cinq pour ne pas aller au-delà de 1,5 °C. Ce dernier objectif implique un pic des émissions autour de 2020, leur division par deux en 2030 et une neutralité carbone au milieu du siècle. Soit des transformations rapides et majeures dans les secteurs de l’énergie, des logements, des transports ou de l’alimentation.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi  Nous sommes en 2050, à quoi ressemblerait la vie dans un pays neutre en carbone ?

Pour calculer le « fardeau » laissé aux nouvelles générations, les experts de Carbon Brief ont construit un outil interactif combinant des données sur les émissions et la population de chaque pays avec des projections climatiques. Ils ont ensuite pu estimer combien chaque citoyen peut émettre de CO2 tout au long de sa vie, en fonction de sa date de naissance et de son pays, afin de limiter le réchauffement à 1,5 °C ou 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels.

 

« Injustice intergénérationnelle »

Résultat : les nouvelles générations vont devoir limiter leur empreinte carbone jusqu’à 90 % par rapport à celle de leurs grands-parents. Par exemple, un enfant né en 2017 en France disposera d’un budget carbone de 170 tonnes de CO2 dans une optique de limiter le réchauffement à 2 °C, soit environ le tiers de celui d’un individu né en 1950 (589 tonnes). Dans le cas d’un monde qui ne dépasserait pas + 1,5 °C, le plus jeune n’aurait plus à sa disposition que 68 tonnes, huit fois moins que son aîné.

Cet enfant, dans l’hypothèse où il vivrait 85 ans, ne devra donc pas dépasser 2 tonnes de CO2 par an dans le cas du scénario de 2 °C, et 0,8 tonne en cas de réchauffement maintenu à 1,5 °C. Ce qui revient à se rapprocher des émissions par habitant des Indiens (1,9 tonne par an), loin de celles des Français (6,9 tonnes par an). Cela impliquerait de prendre considérablement moins l’avion (un aller-retour Paris-New York envoie une tonne de CO2 dans l’atmosphère par passager), de limiter l’usage de la voiture et de réduire sa consommation de viande.

Lire l’enquête : L’avion, plaisir coupable de l’écolo voyageur

A noter que ni l’étude de Carbon Brief ni les chiffres hexagonaux de rejets de CO2 par habitant n’incluent les émissions importées liées aux produits fabriqués à l’étranger mais consommés sur le territoire national, ce qui minimise ainsi de plus d’un tiers l’empreinte carbone réelle des Français – de même qu’en grande partie celle des pays développés.

Question d’équité

A l’échelle mondiale, les émissions de CO2 s’élèvent actuellement à 4,9 tonnes par an et par habitant. Ce qui signifie que pour contenir le réchauffement à 2 °C, le budget carbone d’une personne née aujourd’hui serait épuisé en vingt-cinq ans au rythme des émissions actuelles, et en neuf ans dans une optique de 1,5 °C.

Les émissions de CO2 « allouées » aux jeunes générations pourraient même se voir encore davantage réduites, selon la répartition entre les pays du budget carbone mondial à ne pas dépasser, autrement dit qui peut manger quelle part du gâteau.

Les experts de Carbon Brief ont repris des modèles (les « Integrated assessment models ») qui répartissent les futures émissions pour chaque région du monde. Dans ce scénario, un jeune Américain, même s’il devra bien moins polluer que ses aînés, se verra toujours allouer un budget carbone quinze fois supérieur à celui d’un Indien, quatre fois supérieur à un Chinois et deux fois plus important qu’un Européen.

Pour des questions d’équité et pour tenir compte de la responsabilité historique des pays développés dans le changement climatique, les experts de Carbon Brief notent que les émissions restantes d’ici à 2100 pourraient être également réparties entre tous les citoyens, quel que soit leur pays. Dans ce cas, le budget carbone d’un Américain né aujourd’hui serait inférieur de 97 % à celui de ses grands-parents.

« Injustice intergénérationnelle »

« Dans tous les cas, les enfants nés aujourd’hui vont devoir endosser la majeure partie des efforts dans la lutte contre le changement climatique, explique Leo Hickman, rédacteur en chef du site Carbon Brief. En effet, les générations précédentes, en particulier les baby-boomers, ont déjà consommé l’essentiel du budget carbone qui nous reste pour respecter l’accord de Paris, notamment en brûlant pendant des décennies des énergies fossiles dans des avions et des voitures. »

Alors que les jeunes mènent des grèves scolaires pour le climat chaque semaine dans le monde, cette analyse « met en évidence l’injustice intergénérationnelle du changement climatique », poursuit-il. « Ces jeunes vont devoir adopter un mode de vie radicalement différent, mais pas forcément fait de sacrifices, grâce au développement de technologies qui permettent de décarboner l’économie  les énergies renouvelables ou les voitures électriques », estime Leo Hickman. Les enfants nés en 2017 ne se diront pas forcément que c’était mieux avant.

 

blog

Ajouter un commentaire