Engraissement des veaux

Du tri à l’engraissement, le supplice des veaux français

 

Anne-Cécile Beaudoin

Capture d'écran de la vidéo de L214

Capture d'écran de la vidéo de L214You Tube

Réalisée en Bretagne dans un centre de tri et trois élevages d’engraissement, la nouvelle enquête diffusée aujourd’hui par L214 dénonce les conditions de vie inacceptables des veaux en système intensif.

« J’ai fait plusieurs années dans le milieu de la viande, en Bretagne, principalement en tant qu’acheteur de veaux. Et ce que j’ai vu, vous ne le croiriez pas. » Ainsi débute la vidéo diffusée aujourd’hui par L214, commenté par un lanceur d’alerte qui a contacté l’association de protection animale. Les images qui suivent après ce préambule sont en effet particulièrement choquantes. Réalisées entre juillet et octobre 2019 dans le Finistère, elles nous entraînent dans les bas-fonds d’un centre de tri, où transitent des bovins à peine nés, et de 3 élevages d’engraissement. Des usines à souffrance où les hommes à l’œuvre semblent avoir perdu l’empathie.

Vidéo : attention des images peuvent heurter des personnes sensibles

Beaucoup l’oublient ou préfèrent ne pas y penser, mais la vache n’est pas une machine à « pisser » du lait : pour produire, elle doit donner naissance à un veau chaque année. L’idée en intensif, c’est donc d’en faire naître un maximum, souvent grâce à l’insémination artificielle, afin de répondre à la consommation (23,9 milliards de litres de lait ont été collectés en France en 2018 selon la filière). Poussées à l’hyperproductivité, les vaches laitières finissent à l’abattoir. Ainsi, environ 40% de la viande bovine produite en France est issue de vaches réformées. Qu’advient-il de leurs petits dont les éleveurs veulent se débarrasser pour ne pas alourdir leur quota ? Séparés de leur mère dès la naissance, ils sont collectés dans les fermes laitières et ne connaîtront jamais le pâturage. « En général on débarque tôt le matin, pendant la traite, témoigne le lanceur d’alerte. On va voir les veaux qui, des fois, n’ont pas encore été nourris. Ils sont dans des cases individuelles, sur de la paille souillée. On va les sortir, les manipuler, les observer, voir l’état général, s’ils n’ont pas de maladies ou d’infections apparentes.

On les manipulera en les prenant comme demandé : par la base de l’oreille et la base de la queue, c’est-à-dire la fin de leur colonne vertébrale, un endroit très sensible. En les prenant par la base de l’oreille, il arrivait que le bouclage s’arrache. L’animal avait l’oreille en sang jusqu’au soir, évidemment pas de désinfectant… On fait des dizaines, des vingtaines de fermes dans la journée. Les veaux sont trimballés dans le camion, sans être abreuvés, peu importe la saison. Ils seront déchargés manu militari sans forcément respecter leur bien-être ; s’ils sont en train de dormir, ils vont être réveillés rapidement. Ça peut être à coups de pied, à coups de bâton pour les faire se lever. On va leur faire comprendre par la force qu’ils vont aller par là. Même s’il ne veulent pas, ils vont y aller. Suite à ça, on va voir des dérives qui malheureusement perdurent depuis des années dans la filière : des coups sur les animaux, des coups gratuits parce que dans ce milieu-là, beaucoup de gens sont frustrés. On m’a toujours appris une phrase qui m’est restée en travers :si tu tapes sur un veau, qui va se plaindre, est-ce que tu as déjà vu un veau se plaindre ?»

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Les conditions d’hygiène sont catastrophiques

Ensuite, les animaux sont « ramenés dans un bâtiment pour arranger les lots selon ce que veulent les éleveurs engraisseurs ». Un centre de tri où les bêtes transitent durant 1 à 3 jours. Sur les images de L214, on assiste au parquement de veaux âgés d’à peine 2 semaines dans un centre de tri appartenant à la société Ouest Elevage(groupe Even), filiale de Laïta, une entreprise coopérative laitière qui propose également des veaux de boucherie. Les animaux sont frêles et dociles, ce qui n’empêche pas les employés de les malmener en leur assénant de violents coups de pieds et de poings à la tête. Puis s’opère le « tri » : les veaux malades ou ne présentant pas un bon potentiel de gain de poids sont euthanasiés par injection au niveau de la jugulaire. Il faut parfois s’y reprendre à deux fois… Les plus prometteurs, eux, sont transportés vers les élevages d’engraissement.

L’enquête de L214 révèle leurs conditions de (sur)vie dans trois établissements du Finistère sous contrat d’intégration avec Ouest Elevage. On découvre des bâtiments sordides, avec des veaux enfermés dans des micro-cages individuelles sur un sol nu. Le calvaire dure environ 8 semaines, selon les investigations de L214. Puis, les animaux sont entassés dans des box sur caillebotis. Leur nourriture ? « Du lait en poudre reconstitué, a constaté L214. Leur alimentation est carencée en fer pour que leur chair garde une teinte pâle afin de répondre aux attentes des consommateurs. De nombreux veaux souffrent de diarrhées ». Dans deux de ces élevages, les conditions d’hygiène sont catastrophiques. Veaux couverts de leurs déjections, locaux crasseux. Un bac d’équarrissage est rempli de cadavres en état avancé de décomposition et d’un squelette. La quantité de produits pharmaceutiques utilisés est impressionnante, certains sont stockés dans un réfrigérateur souillé. « Dans l’un des élevages, nombreux animaux sont atteints de teigne, symptomatique de la promiscuité, de l’humidité et de l’insalubrité », note L214. Après 5 mois passés dans ces taudis, ils sont envoyés comme « veaux gras » à l’abattoir.

« Dans ce milieu, j’ai vu des gens qui ne se préoccupaient que de l’argent, sans aucun respect pour les animaux, j’ai vu des petits tués à coups de marteau parce qu’ils étaient trop maigres et donc pas rentables, des gens s’amuser à jeter les veaux par-dessus les barrières », conclut, écoeuré, le lanceur d’alerte. Et d’ajouter : « Aujourd’hui, je témoigne en espérant que les consommateurs vont se réveiller. Je sais que les images sont dures, mais il faut les regarder entièrement. Merci de partager pour sortir de cette omerta qui règne dans la filière viande.»

Avec 1 268 000 veaux produits en 2018, la France est le deuxième pays producteur mondial après les Pays-Bas, et le premier consommateur. « Forte de ses 479 producteurs sur environ 2300 au niveau national, la Bretagne est la première région française de veaux de boucherie, peut-on lire sur une plaquette de la Chambre d’agriculture. Sur les 370 000 veaux laitiers mâles et veaux croisés (mâle et femelles) nés en Bretagne, 123 149 y ont été engraissés. » Sur son site, Laïta, l’entreprise coopérative laitière du Grand Ouest, 8ème au niveau européen, explique : « Laïta, via sa société Ouest Elevage, développe l’élevage et la production de veaux de boucherie. Des veaux de 8 jours sont ainsi collectés à travers toute la Bretagne. Ils transitent ensuite par le centre d’allotement (centre de tri, ndlr) de l’entreprise, puis sont placés chez des éleveurs partenaires. Laïta donne la priorité au bien-être et à la qualité des veaux produits. Pour honorer ses engagements, elle mène un suivi technique tout au long de la croissance des animaux et propose des services à la carte : aide à la création d’étable, mise aux normes des bâtiments, démarches administratives… ». Contacté par téléphone, le Groupe Even, dont dépendent Laïta et Ouest Elevage, n’a pas donné suite à nos questions et aux images que nous lui avons transmises lundi.

83% des Français sont favorables à l’interdiction de l’élevage intensif

Désormais, le bien-être animal n’est plus une option pour les consommateurs. Mais si 83% des Français sont favorables à l’interdiction de l’élevage intensif (sondage Ifop février 2019 pour 30 Millions d’Amis), peu ont accès à une viande labellisée (10% pour le veau avec un prix au kilo environ 30% plus cher). Pour répondre aux attentes citoyennes, la filière veau « travaille depuis deux ans à la mise en place d’un monitoring du bien-être animal que devront s’approprier tous les acteurs (éleveurs, transporteurs…), nous explique Jean-Louis Arquier, Président de la branche veau d’Interbev. Ce plan est en cours de test afin de vérifier sa praticité. Nous avons identifié 36 points de vigilance qui permettent de déclencher des actions correctrices. Il s’agit par exemple d’observer l’état sanitaire des veaux pour adapter la ventilation des bâtiments, de réorganiser les groupes d’animaux en cas de problèmes de compétition entre eux. Nous sommes absolument opposés aux dérives, d’autant que nous savons que nous devons répondre aux attentes de la société. Ne pas y être sensible serait contre-productif pour notre activité. Il nous est déjà arrivé de nous porter partie civile face à des situations à l’encontre de notre volonté. On ne peut pas cautionner le n’importe quoi ! Dans les élevages en groupe, les animaux sont élevés dans des espaces aérés avec une luminosité minimum bien établie, une alimentation équilibrée par rapport à leurs besoins physiologiques. L’enquête de L214, que je n’ai pas encore vue, ne peut pas être considérée comme une généralité. Le monde agricole a affaire à un bashing anti-élevage qui va conduire à sa disparition plutôt qu’à son évolution. Les mutations de ces 20 dernières années ont été considérables et sont souvent méconnues. On en parle peu, mais depuis 5 ans, nous avons réduit l’usage des antibiotiques d’environ 35- 40%. »

Suite à sa nouvelle enquête, l’association L214 réitère son Appel contre l’élevage intensif lancé le 5 septembre dernier dans les colonnes du «Monde», aujourd’hui signé par près de 100 000 personnes dont 200 personnalités.

Environ 80% des animaux subissent ce mode d’élevage. Et la majorité des mesures susceptibles d’améliorer un peu leur triste sort a été retoquée de la loi EGalim promulguée le 1er novembre 2018.

Plus d’infos sur :

A voir aussi : le témoignage complet du lanceur d’alerte

A lire : « Quand la faim ne justifie plus les moyens. En finir avec l’élevage intensif », par L214, Editions Les liens qui libèrent.

 

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