Formatage et soumission

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03 février 2020

Le formatage à la soumission et à la domination

gilets-jaunes

Actualité aidant, on commence à beaucoup re-parler de la domination ! Domination des élites, domination de la finances et des financiers, domination de la classe dite supérieure… (j’ai déjà abordé le sujet de la domination ou celui des pouvoirs)

La domination la plus facile à repérer étant celle des dictatures,  le référent universel étant Hitler. Celle de Staline est aussi bien pratique. Avec eux, ça permet de pouvoir dire : « Ah ! Mais non, notre président c’est pas ça ! Nous, nous ne sommes pas dans une dictature ! etc. » Déjà si on évoque Franco ou Pinochet, ce ne sont pas pour tout le monde des dictateurs… mais Castro ou Moralès oui ! Pas question non plus de mettre notre Napoléon dans cette case, mais Robespierre est lui parfait pour situer dans la galerie, en plus c’est dans les manuels scolaires d’histoire[1] !

Quand la dictature devient plus diffuse comme celle de l’économie de marché, du libéralisme ou du capitalisme avec ceux qui en tirent les ficelles, elle est moins perceptible et on ne peut plus faire grand-chose ne serait-ce que parce qu’on ne sait plus qui abattre… et il faudrait trop en abattre. La révolte devient plus difficile (voir les Gilets jaunes).

Comme nous faisons ni plus ni moins partie des espèces animales (il n’y a pas si longtemps que l’on commence à l’admettre) grosso-modo l’éthologie distingue trois sortes de comportements sociaux animaux. Les espèces solitaires comme le chat (sauvage), le lynx : dès qu’il atteint l’état adulte, un chat n’a pas besoin d’autres chats pour assurer sa survie, il n’a pas besoin de dominer d’autres chats ou de se soumettre à d’autres chats. Les espèces grégaires : leur survie devient collective (troupeaux, hardes, meutes…)  et dépend du dominant ou de la dominante qui doivent se faire reconnaître et être reconnus. Les espèces sociales : il n’y a plus ni dominants ni dominés. Pour les abeilles par exemple et par anthropomorphisme on a pendant longtemps considéré qu’une colonie d’abeilles avait une « reine » alors que ce n’est qu’une abeille à qui la colonie  a attribué la fonction de pondeuse et c'est la clonie qui régule sa ponte en fonction des besoins (langage des phérormones).

Dans les écoles de 3ème type, les enfants m’ont convaincu que nous étions bien par nature une espèce sociale, mais l’histoire et la réalité  montrent que nous n’en sommes encore qu’au stade grégaire, ou que nous sommes maintenus dans un état grégaire… par des dominants qui n’assurent justement pas comme dans les autres espèces la survie et le bien être de tous.

Bon, je ne vais pas continuer à enfoncer les portes déjà bien ouvertes. Mais je voudrais pointer cette domination à  laquelle nous participons sans nous en rendre compte et tout en nous défendant de faire partie des dominants, ceci en me restreignant au domaine de l’école.

Aucun enseignant de l’école publique n’acceptera qu’on lui dise qu’il participe au formatage des enfants à la soumission, et de fait il est convaincu qu’au contraire il cherche à les émanciper. Émanciper : Rendre quelque chose, un peuple libre, l'affranchir d'une domination, d'un état de dépendance, d'une tutelle.

Ce ne sont pas les personnes qui sciemment formatent à la soumission (tout au moins pas toutes) mais les systèmes dans lesquels elles vivent, qui les emploie, ou auxquels elles participent.

Dans un récent débat auquel je participais, une maman a parlé du pipi à l’école. Un détail (je l’ai déjà évoqué ici) ! Mais un détail qui conditionne les enfants à plier leurs moindres besoins à ce qu’édicte une autorité. Une enseignante  de maternelle présente s’est bien sûr défendue :

« Bien sûr j’emmène tous les enfants faire pipi à la récré, mais je ne les oblige pas à faire pipi ! Et puis est-ce que vous vous rendez compte que si je les laisse y aller pendant la classe, il y a tous les risques qui peuvent leur arriver. Je dois assurer la sécurité, et puis s’il leur arrive quoi que ce soit, c’est moi qui serai responsable. »

Elle avait effectivement raison : dans l’école, ce ne sont pas les risques qui font peur aux enseignants, mais la responsabilité dont ils risquent, eux, d’avoir à répondre. Malheureusement les innombrables exemples appuient cette peur. On a beau leur rappeler que depuis longtemps les CEMEA en particulier ont expliqué que ce n’est pas en éliminant les risques qu’on assure la sécurité mais par l’éducation au risque, on a beau leur expliquer qu’inversement la probabilité d’un accident était bien plus grande lorsque tout était interdit,  rien n’y fait. Les instits comme moi dont des enfants pouvaient aller seuls dans le village pendant le temps scolaire ne peuvent être que des irresponsables, même lorsque je lui expliquais qu’en 40 ans de carrière il n’y avait jamais eu le moindre accident ou incident[2].

Cette enseignante de toute bonne foi était dans l’école maternelle ; mais depuis pas mal d’années  cette école ne va plus dans le sens que préconisait Pauline Kergomard en 1910, c'est-à-dire centrée sur l'épanouissement de l’enfant, elle est devenue centrée sur la préparation à l’école primaire. « L'école maternelle est la première étape du parcours des élèves », Pauline Kergomard parlait, elle, d’enfants. L’école doit faire ingurgiter un programme à des élèves (pas à des enfants) sous la direction d’un « maître »[3] simultanément à une même tranche d’âge. Il est évident que les heures passées sous cette direction ne peuvent être troublées par des sorties intempestives pour aller faire pipi ! Ainsi, dès 3ans aujourd’hui, la satisfaction d’un besoin physiologique naturel est soumis à une autorité, et cela se prépare dès l’âge de 3 ans même lorsque les médecins alertent sur le danger de la rétention de la miction.

J’avais aussi évoqué un autre détail : « Mettez-vous en rang » Absolument rien ne justifie cet alignement plusieurs fois quotidien avant de rentrer dans une salle de classe, sauf que symboliquement il marque bien qu’au coup de sifflet ou de sirène chaque enfant n’est plus un enfant mais un élève devant se fondre dans un groupe d’élèves, tous identiques (soumission collective). Les années qui ont précédé la guerre de 14-18, il y avait même l’entrainement à la marche au pas, il fallait préparer les futurs soldats à un conflit, ceci par les écoles des deux côtés du Rhin.

Ce ne sont que deux « détails » dont à la rigueur des enseignants peuvent avoir conscience, mais toute l’école n’est faite que du formatage à la soumission. Soumission aux horaires contraires à la physiologie et à la santé (problème insoluble des rythmes[3], soumission aux places assignées, soumission à l’immobilité, soumission au contrôle de la parole, soumission aux programmes qui édictent toutes les activités à exécuter (on les appelle "travail"), soumission à ce qui doit être appris… et même pensé, soumission à la « délocalisation » dans les lieux assignés (carte scolaire), soumission  au règlement,… soumission à l’obéissance qu’on ose appeler socialisation. Soumissions qui ne sont que celles que leur imposera ensuite  notre société. On le dit même : « il faut bien qu'ils s'habituent ! »

À l’énoncée de ce qui ne sont que des faits, on me répond « OUI ! MAIS, on est bien obligé, on ne peut pas faire autrement, il faut bien que… » Même Proudhon ou Marx n’imaginaient pas l’éducation du peuple autrement (tous deux avaient il est vrai étudié brillamment l’un au Collège Royal de Besançon, l’autre GymnasiumFriedrich-Wilhelm de Trèves)

Bien sûr des enseignants, des pédagogies essaient d’atténuer  ce formatage. Les pédagogues du début du siècle dont les 3 F (Freinet en France, Ferrer en Espagne, Freire au Brésil) luttaient bien dans leur pédagogie contre cette soumission, en lui substituant la coopération, mais en restant dans le cadre général peu changé, d’où la marginalité dans laquelle leurs pédagogies sont restées. C’est toute la conception du système éducatif étatique qui formate bien à la soumission, parce qu’il n’y a évidemment pas de dominants sans soumis.  (voir PS en fin de billet)*

Ce qui revient sans cesse à propos de l’école c’est le « respect » de l’autorité. L’autorité de ceux à qui un statut l’a conférée : les enseignants, eux-mêmes devant respecter l’autorité de l’administration de l’Education nationale,  qui doit respecter l’autorité d’un ministre. Les parents « manquant d’autorité » accusés en somme de mal préparer leurs enfants à l’autorité scolaire. Toute l’architecture de la société depuis longtemps repose sur l’acceptation inconditionnelle d’une autorité. Quel est le fondement de la justice ? Faire respecter l’autorité, celle de la loi, mais cette loi a toujours été édictée par les dominants. Il n’y a pas d’autorité sans sanctions ou répression pour la faire respecter (principal rôle de la justice). Pour qu’il y ait des soumis il faut qu’il y ait une autorité reconnue et surtout acceptée, de gré ou de force. Lorsque l’autorité de l’école et de ses opérateurs est contestée, elle ne peut plus fonctionner ! Elle ne peut surtout plus fonctionner  pour assurer la finalité à peine dissimulée qui lui est assignée par l’État depuis Guizot, puis Jules Ferry, puis l'OCDE.

On parle depuis quelque temps, y compris notre ministre, de « bienveillance » ou d’autorité bienveillante. Pourquoi ? Parce qu’il est apparu qu’elle pouvait être  plus efficace que la répression forcenée pour faire accepter l’école à des enfants. On n’a pas changé d’un iota l’école (depuis son origine), on cherche à rendre la soumission plus acceptable, j’ose dire à la rendre moins visible, moins contestable et avoir moins de potentiels récalcitrants ou rebelles dérangeants[4].

Si l’école formate à la soumission, elle prépare aussi quelques dominants à être convaincus  qu’ils « méritent » de dominer. Aujourd’hui on commence même à reconnaitre que les stades suprêmes du système scolaire, comme l’ENA par exemple, fabriquent des « crétins diplômés », comme les appelle Emmanuel Todd, qui régissent notre vie. Avant, c’était la naissance  qui plaçait automatiquement  quelques-uns en position de dominants, qu’ils soient crétins ou non (aristocratie). Puis cela a été la ploutocratie (accession de la grande bourgeoisie à la domination), puis l’oligarchie (domination d’élites). Bien sûr le milieu dans lequel on nait détermine toujours qui dominera, mais on a inventé la méritocratie pour justifier leur domination. 

Le mérite, c’est tout le système scolaire qui l’estampille en agitant tout au long de son parcours des bouts de papier à obtenir (évaluations, bulletins, examens, diplômes, concours). Suivant comme chacun aura bien« exécuté » ce qu’on lui disait de faire pendant une quinzaine d’années  ou plus de sa construction en adulte, aura fait des « efforts », il sera ceci ou cela dans la hiérarchie sociale. Cette position dans la hiérarchie sociale, si elle détermine le degré de confort (salaire), elle vous place dans l’échelle des dominants.  Avec bac+5 vous pouvez être enseignant et avoir un pouvoir sur des enfants. Si après vous « réussissez » l’école supérieure de l’EN, vous pouvez être inspecteur et avoir du pouvoir sur les enseignants. Encore un peu plus et vous pouvez devenir inspecteur d’académie et avoir un pouvoir sur les inspecteurs. Et tout en haut, le ministre ? Pas de problème en allant jusqu’à l’ENA vous pouvez être ministre de l’Education (ou de l’agriculture !) et avoir un pouvoir  sur tous (et sur tous les enfants de France ! Sans même savoir ce qu’est un enfant !). Le formatage vise autant les dominants que les dominés, les dominants croyant leur domination justifiée, les dominés acceptant sans broncher la domination, elle aura été intégrée.

Si vous lisez ou écoutez tous les beaux discours sur l’école, tous les beaux mots alignés,  vous n’entendrez jamais cela, et pour cause. La pire des dictatures est celle que l’on ne perçoit pas, son principal outil est l’école. Heureusement qu’il reste encore quelques mauvais élèves

- « La dictature parfaite serait une dictature qui aurait les apparences de la démocratie, une prison sans murs dont les prisonniers ne songeraient pas à s'évader » Aldous Huxley (je pourrais rajouter « qui ne voient plus leur prison »).

- Discours de la servitude volontaire - La Boétie

- « Personne n'est plus esclave que celui qui se croit libre sans l'être » Johann Wolfgang Goeth

- « Celui qui ne dispose pas des deux tiers de sa journée pour lui-même est un esclave, qu'il soit d'ailleurs ce qu'il veut : politique, marchand, fonctionnaire, érudit. » Friedrich Wilhelm Nietzsche

- Et « La domination adulte : l’oppression des mineurs », réquisitoire sans concession de Yves Bonnardel

 * PS – On me rétorque souvent que je caricature l’école publique. Pourtant ce que je souligne n’est que du banal, de l’ordinaire, du quotidien.  C’est ce qu’est globalement l’école. Bien sûr, dans ce cadre il y a tout ce que les enseignants arrivent à faire, souvent à leurs risques et périls. Mais je pense qu’il n’échappe à personne que les pédagogies qu’on peut appeler émancipatrices  n’ont jamais pu se développer complètement, encore moins se généraliser et quel que soit la couleur des gouvernements,  alors que sur le simple plan des apprentissages qui sont officiellement le souci de l’Education nationale elles ont plus que prouvé leur efficience. Il serait temps d’ouvrir les yeux.

 

 

 

 

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