Hume et l'empirisme.

Hume (1711-1776) est un philosophe "empiriste".

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L'empirisme désigne un ensemble de théories philosophiques qui font de l'expérience sensible l'origine de toute connaissance valide et de tout plaisir esthétique. L'empirisme s'oppose en particulier à l'innéisme des idées et à l'idée d'une connaissance a priori. Il va souvent de pair avec une théorie associassioniste des idées qui explique leur formation par la conjonction d'idées simples.

Selon ce courant de pensée, toute notre connaissance précède et dérive de l'expérience. Or, comment connaissons-nous notre "moi" ? Précisément par la série d'expériences et de sensations à travers lesquelles nous nous saisissons nous-mêmes. Mais alors, peut-on poser une identité, un moi qui serait indépendant de cette succession d'expériences ? Hume répond par la négative.

"Pour ma part, quand je pénètre le plus intimement dans ce que j'appelle moi, je bute toujours sur une perception particulière ou sur une autre, de chaud ou de froid, de lumière ou d'ombre, d'amour ou de haine, de douleur ou de plaisir. Je ne peux jamais me saisir, moi, en aucun moment sans une perception et je ne peux rien observer que la perception. " Hume ; "Traité de la nature humaine."


Hume considère qu'étant donné qu'il est impossible d'appréhender une quelconque identité subjective autrement que dans une perception particulière, le moi n'est qu'une fiction et une construction purement conceptuelle.

 


 

On rejoint l'idée du déterminisme mais dans une problématique très pessimiste puisqu'on en vient à considérer l'individu comme inexistant en dehors de ces perceptions. Quelques soient les causes des phénomènes, elles n'ont aucune importance étant donné que de les connaître ne change rien à l'homme. Il reste un néant manipulé par des perceptions issues de ses expériences, lesquelles,même s'il parvient à les analyser ne lui permettent pas de s'extraire de ce chaos intérieur.

Même si je parviens à observer les perceptions, je ne les perçois qu'à travers d'autres perceptions...

 

Personnellement, je ne vois pas là un problème quelconque. Il me semble au contraire que ce phénomène de la perception comme étant la source de toute connaissance est une opportunité de progrès et non une sanction. Hume aurait aimé sans doute limiter sa connaissance à l'intellect et se passer de toute donnée sensitive. Peut-on considérer que l'individu éprouve le phénomène de la vie s'il se prive ou cherche à se priver de la perception ? Il me paraît plus respectueux envers cette vie de chercher à explorer totalement, en pleine conscience, cette dimension de la perception. Et c'est là que se trouve ce progrès possible.

Quand je fais du vélo, je ne recherche pas la douleur physique, ni la souffrance morale, à travers l'épuisement. 

La douleur physique est le premier palier à franchir. Quand je pédale depuis deux heures, trois heures, il arrive un moment où la fatigue s'efface, comme si elle-même était fatiguée... Apparaît alors une énergie inconnue, un état d'absence, d'oubli de la douleur, c'est l'euphorie. La souffrance psychologique s'éveille d'abord sous la forme de la lassitude, celle qui répète inlassablement qu'il est temps de s'arrêter. Un autre palier à franchir. C'est là qu'il est essentiel de se concentrer sur des choses très simples, le souffle, le rythme des jambes, la poussée verticale, la remontée de l'autre jambe, le talon qui descend plus bas que les orteils, l'application aux gestes. C'est cette simplicité qui permet d'opérer cette lobotomie qui ouvre l'espace suivant. La souffrance prend forme à travers la lutte intestine générée par les pensées, ça n'est pas le corps qui souffre mais bien le mental qui cherche une issue. Le corps suit le mouvement nourri par l'énergie. Ce qui m'intéresse, c'est ce moment où s'opère cette rupture mentale, cette disparition des pensées et des plaintes, cette attirance vers l'arrêt de l'effort. Là où il n'y a plus rien de cérébral. C'est la Vie qui anime l'individu, rien de narcissique, aucun désir de puissance ou de performance mais juste cette exploitation entière d'une énergie qui ne peut apparaître que dans ces moments-là.
Pour ma part, je n'ai jamais trouvé ça ailleurs.
Mais je sais aussi que ça remonte à loin tout ça. Pour ma part, tout a commencé dans la chambre d'hôpital où je veillais mon frère. C'est là que j'ai pris conscience de la Vie, celle que je cherche constamment quand je cours en montagne, quand je pédale, quand je skie, quand je marche. Quand j'aime la Terre.
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LES EVEILLES
La mort. Il l’avait souvent défiée. L’épuisement physique.

Les journées d’escalade. Ce besoin de sentir la solidité de la roche, comme les murs de la chambre d’hôpital contre lesquels il s’était appuyé, cette masse indestructible sous ses mains, comme si le vide ne pouvait plus le saisir, s’accrocher de toutes ses forces, résister à la pesanteur, cette chute effroyable vers les noirceurs insondables, repousser les faiblesses, dépasser les limites, ne jamais s’avouer vaincu, aller au bout de l’effort, approcher du noyau d’énergie qui rayonne dans les fibres, sentir palpiter la vie comme un cœur d’étoile, un clignotement infime mais constant, inaltérable, éternel. Se détruire pour vivre. Et entrer en communion avec l’infini. Ses sorties en vélo. Cent kilomètres, cent cinquante, deux cents. Trois cent soixante-quinze. C’était son record. Une journée entière à rouler. Il était parti sans savoir où il allait, direction plein nord, le bonheur de rouler, juste engranger des kilomètres, découvrir des paysages puis la fatigue qui s’installe, plonger en soi et voyager à l’intérieur, le ronronnement mécanique du dérailleur, la mélodie des respirations, l’euphorie de la vitesse, cette déraison qui le poussait à écraser les pédales, cette folie joyeuse qui consumait les forces, ce courant étrange qu’il sentait dans son corps, cette détermination irréfléchie, juste le besoin inexpliqué de plonger au cœur de ses entrailles, d’en extraire les éléments nutritifs, de les exploiter, jusqu’à la moelle, que chaque particule soit associée à cette découverte des horizons intimes, être en soi comme un aventurier infatigable, un guerrier indomptable, passionné, amoureux, émerveillé, ne jamais ralentir, ne jamais relâcher son étreinte, enlacer ses forces comme un amant respectueux, les honorer, les bénir et sentir le bonheur de la vie, une vie qui lutte, qui se bat, qui s’élève, cette certitude que cette vie ne pouvait pas s’éteindre, la sienne certainement, mais pas la vie, pas ce souffle qui circulait en lui.
Il n’était pas en vie. La vie était en lui. Il n’était qu’un convoyeur. Juste une enveloppe. Elle se servait de lui et il la remerciait infiniment de l’avoir choisi. Cette occupation n’était qu’épisodique mais il aurait eu cette chance. Il se devait d’en profiter. Cette palpitation le quitterait un jour, elle irait voir ailleurs. L’enveloppe deviendra poussière et la vie investira une autre capsule, un autre fourreau, un écrin juvénile.
L’épuisement le guidait infailliblement vers le cœur lumineux de la vie retranchée, il finissait par ne plus entendre les voitures, ni les rumeurs des villages traversés, par ne plus percevoir les paysages, il ne restait que des formes innommées, le parfum âcre de sa sueur, l’oxygène capturé inondant les abîmes affamés et le sourire délicat de son âme extasiée, la plénitude infinie de la vie en lui.
Les derniers kilomètres. Il avait pleuré de bonheur, vidé de tout, les yeux fixant le goudron qui défilait, les muscles liquéfiés, incapable de savoir ce qui permettait encore aux jambes de tourner, vidé de tout, coupé de sa raison, un mental éteint, une absence corporelle, un état de grâce, l’impression d’être ailleurs, hors de ce corps épuisé, une légèreté sans nom sous la pesanteur immense de la fatigue souveraine, un néant de pensées, juste ce sentiment indéfinissable de la vie magnifiée.
Cette vision étrange d’un cycliste déambulant sur la Terre, il était dans les cieux, un regard plongeant, une élévation inexplicable, dans la dimension des oiseaux, les arabesques des routes jusqu’au bout de l’horizon, les champs, les collines, quelques maisons, et ce garçon écrasant les pédales, ce sourire énigmatique, béatitude de l’épuisement, cet amour immense, cette étreinte spirituelle, il était dans les cieux, une échappée verticale. Comme emporté par les ailes d’un ange."


Cette dimension de la perception, je l'aime infiniment. Et je sais qu'elle m'a appris énormément. Hume aurait dû faire du vélo.

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