Interview imaginaire

« S’agit-il d’un récit autobiographique, demanda le chroniqueur à l’écrivain, assis face à lui, avec un regard qui se voulait complice et avenant.

Une invitation à se dévoiler si prévisible que l’auteur se contenta d’en sourire avant de répondre.

« Pour quelles raisons, commença-t-il, un récit qui s’intéresse à la dimension sexuelle des êtres devrait-il être autobiographique ? Si ce que les auteurs écrivent doit au préalable avoir été expérimenté, je ne partirai jamais en vacances avec des écrivains de thrillers, de polars, de livres gore… Imaginez un weekend avec Stephen King ou Serge Brussolo ? Aucune chance d’en revenir vivant. De la même façon, comment expliquer, dans le cas nécessaire de cette expérimentation, les récits historiques ou de science-fiction ? Des mémoires de vies antérieures pour les uns et des visions prophétiques de médium voyageant dans le futur pour les autres ? »

Le chroniqueur sembla perturbé et reprit.

« C’est une question que se posent sans doute le public et nos spectateurs à propos de « Kundalini »?

–Je pense que c’est surtout vous qui posez cette question, non pas que ça vous intéresse réellement mais parce que vous espérez qu’un sujet aussi intime que la sexualité d’un auteur fera grimper l’audimat. Les supposées questions que vous attribuez aux spectateurs ne sont donc en réalité, comme dans toute la sphère médiatique d’ailleurs, que les espoirs de buzz issus d’esprits limités par des intentions carriéristes et non par un souci réel d’informations. Même les manipulations finissent par entrer dans les éventualités que vous vous accordez pour atteindre ce but.   

–C’est assez déplaisant comme propos, coupa le chroniqueur.

–Je ne suis pas responsable du fait que mes paroles vous troublent, c’est votre problème. Moi, le mien, c’est de dire ce que je pense. D’ailleurs, vous ne devriez pas être troublé si cela ne venait pas toucher un sujet sensible que vous n’aimez pas voir étaler au grand jour. Demandez-moi plutôt quel était l’objectif de ce roman et on pourra enfin échanger sur un sujet intéressant.

–Nous vous écoutons, invita piteusement le chroniqueur.

–Je vais reprendre le cas du roman historique que j’évoquais tout à l’heure. L’intérêt de ce genre d’ouvrages, à mes yeux, est de plonger le lecteur dans une intrigue solide au cœur d’une époque qu’il n’a pas connue. Même chose avec le récit de science-fiction. Et c’est éminemment difficile à réaliser car un roman fonctionne lorsque le lecteur parvient à s’identifier et à ressentir chaque situation. Mais comment ressentir ce qui est du domaine de l’inconnu ? Sur quelles données se reposer, à quels souvenirs ou pensées personnelles se référer lorsque l’environnement quotidien n’a que peu ou pas du tout de similitudes avec la vie contemporaine ? Eh bien, tout se passe dans la dimension émotionnelle, existentielle, philosophique, spirituelle, intellectuelle, sensorielle, relationnelle, c'est-à-dire tout ce qui concerne l’humain, à proprement parler ; l’individu lui-même et non l’environnement dans lequel il évolue. Et c'est dans cette dimension essentiellement intérieure que l'imaginaire du lecteur sera suffisamment nourri pour ne plus être perdu par tout le reste. Un roman historique qui se contenterait de présenter une époque sans que les personnages n’aient réellement d’existence ne serait plus qu’un documentaire historique et non un roman. Alors, imaginez maintenant un roman à visées philosophiques, existentielles, spirituelles, un roman qui parle de développement personnel, d’amour et de sagesse intérieure, de nudité et de contemplation, un roman destiné à identifier le cheminement d’éveil d’une femme en rupture avec son ancienne vie, une femme qui découvre ce qui était en elle et n’avait jamais pu se révéler, une femme qui réalise que les horizons intérieurs sont infiniment plus beaux que tout ce qu’elle a pu expérimenter dans la dimension matérielle, un roman qui parlerait de tout ça mais qui nierait la sexualité, par pudeur ou incompétence, une autre sexualité justement, une autre exploration des corps dans une dimension spirituelle, intégralement spirituelle, ce livre-là, privé de cette sexualité, n’accoucherait que d’un essai littéraire mais pas d’un roman. J’ai reçu un jour un commentaire d’une lectrice sur un autre de mes livres. Elle disait avoir attrapé un rhume en le lisant, tellement elle avait souffert du froid. C’est une histoire qui se déroule sur le sommet du K2, vers 8600 mètres d’altitude. Alors, j’ai été infiniment heureux de lire ces quelques mots. Est-ce qu’il aurait été crédible d’écrire un roman se déroulant en Himalaya sans que le froid y tienne un rôle prépondérant ? Vous voyez l’absurdité de la chose ? Pour « Kundalini », on est dans le même registre. On n’écrit pas, selon moi, un roman sur le développement personnel et l’éveil sans explorer la dimension sexuelle. Alors, la question de savoir si c’est autobiographique ou pas, c’est juste ridicule. La question est de savoir si c’est un bon roman ou pas.

–Vous aimeriez recevoir quel genre de commentaires alors pour celui-ci ? Pas une histoire de rhume, je pense mais quelque chose de plus émoustillant, n’est-ce pas ? »

L’auteur poussa un long soupir en écarquillant les yeux, le visage de celui qui n’en peut plus de la bêtise de son interlocuteur.

« Vous devez avoir vraiment une sexualité problématique pour être aussi limité dans votre compréhension. De tout ce que j’ai énuméré dans ce roman, vous n’en gardez que la sexualité. Et vous allez jusqu'à imaginer qu’une personne va m’écrire pour me parler de sexualité. Ce qui sous-entendrait d’ailleurs pour vous qu’elle n’a rien compris au reste de l’histoire ou qu’elle n’y a attaché aucune importance. Alors, je vous dirai, qu’à mes yeux, pour qu’une sexualité entre dans la dimension sacrée, il faut justement explorer toute la sphère spirituelle et je pense que si jour, une lectrice ou un lecteur écrit un commentaire, c’est ce qui apparaîtra en priorité. Kundalini, c’est une exploration spirituelle. Dans toutes ses dimensions.

–Bien, bien, mais qu’entendez-vous par le mot spiritualité ? C’est très religieux comme terme.

–Il faudra que je pense à dire à mon attaché de presse d’étudier davantage les émissions dans lesquelles il s’efforce de me faire passer. Parce que là, on a un sérieux problème.

–C'est-à-dire ? demanda le chroniqueur qui semblait perdre son calme.

–Je réalise que vous m’avez invité uniquement pour que je parle de sexualité, enfin de ce que vous considérez comme de la sexualité mais qu’en fait, pour tout le reste, on est dans un grand vide intersidéral. Vous savez que là, depuis quelques minutes, votre taux d’audience augmente ?

–Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

–Parce que vous êtes ridicule et que les spectateurs sont ravis que ça vous tombe dessus, vu le nombre de fois où vous êtes désobligeants, cyniques, mesquins, ironiques, discourtois avec vos invités. Vous savez, les gens ne vous aiment pas en vérité. Ce qu’ils espèrent, c’est de vous voir dégringoler. Alors, si vous y tenez, on peut s’aventurer dans l’exploration de la spiritualité mais j’ai peur de vous voir mourir en cours de route. La voie est longue et semée d’embûches. Voyez, même moi, à votre contact, je finis par être railleur et c’est très désagréable. Je vais finir par ne plus être moi-même. C’est vraiment dangereux cette télé. »

L’auteur se leva et disparut sans un mot.  

 

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