JUSQU'AU BOUT : Méditation à la plage

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"Il suivit longuement les vagues du large et leurs grandes ondulations, élégantes et répétitives, comme une respiration profonde. Il crut discerner dans ces soulèvements majestueux des regards d’enfants curieux. Il se sentit observé. Le monde nous étudiait, il en était certain désormais, c’était évident. Nous étions regardés comme le monde regardait les insectes éphémères et les arbres majestueux, les brins d’herbe légers et les baleines bleues, les oiseaux pélagiques et les enfants rieurs. Et toutes les choses du monde se regardaient les unes les autres.

Yolanda posa une main sur son épaule. Il tourna la tête. Des yeux, elle lui désigna Birgitt.

Elle avait posé les mains sur son ventre, elle avait fermé les yeux, sa poitrine montait et descendait doucement. Rien d’autre ne bougeait.

« Elle est dans le calme, murmura Yolanda penchée sur son épaule. Tu veux faire aussi ?

- Oui, indiqua-t-il de la tête.

- Allonge-toi, je vais t’expliquer. »

Elle colla sa bouche à son oreille, il suivit ses indications. Sa voix, comme des souffles câlins, glissait en lui et l’envahissait. Elle parlait par phrases courtes lui permettant de s’installer dans chaque période, d’abandonner peu à peu les sournoises résistances, les pudeurs éducatives. Nu, les yeux fermés, allongé sur une plage, aux côtés d’une jeune fille dévêtue, il se laissa pleinement guider, sans aucun autre intérêt que la délicieuse petite voix dans son oreille.

Elle lui avait dit de poser les mains le long de son corps. Elle lui avait appris à respirer. Il n’y parvint pas tout de suite mais elle l’avait prévenu, il ne devait pas s’en inquiéter. Il lui obéit et ne s’en affola pas. Il continua comme elle le disait, avec la même patience. Quand il ne ressentit plus le moindre désir d’y parvenir, ni la moindre volonté de réussir, quand il atteignit l’oubli de tout sauf de son souffle, et que la petite voix s’était retirée en toute confiance, en lui conseillant une dernière fois de « laisser partir », alors il put suivre dans son être le souffle de la vie. Une présence inconnue. C’était partout et impossible à placer, ni dedans, ni dehors. Partout.

Puis ça disparut.

Il pensa à la petite voix et recommença à compter, comme elle le lui avait appris. Premier souffle, un, deuxième souffle, deux, troisième souffle, trois, quatrième souffle, quatre. Il recommença encore puis de nouveau, puis ne sut plus quand il recommençait, puis ne pensa plus qu’il comptait, puis ne reconnut que le souffle répété. Longtemps répété. Et la présence réapparut. C’était comme une lumière qui ne cessait de s’étendre dans un espace clos, tout était déjà rempli mais la lumière continuait à s’éloigner et faisant cela elle semblait toujours plus proche. Simultanément, elle gagnait en densité. Cette densité étrangement légère le suspendit à l’intérieur de lui-même, ni dans son crâne, ni dans son corps. Elle le maintenait hors de tout contact et à la fois il ressentait la lumière comme si elle le touchait, s’étendait sur lui comme une eau apaisante. Il pensa qu’il s’agissait peut être de sa conscience…Sa conscience seule, sans les apparats habituels, les camouflages grotesques, les substitutions ordinaires, les déviances quotidiennes…

Ce rappel brutal de la faiblesse des hommes effaça tout et la présence disparut.

Il n’aurait pas dû laisser la colère revenir. Il le comprit immédiatement. Oui, il y avait des mensonges, il ne fallait plus s’en préoccuper, c’était le mal, il devait penser au bien, uniquement au bien.

Il ramena les yeux à la lumière extérieure. Ébloui, il posa une main en visière. Il tourna la tête. Birgitt était toujours allongée, les yeux fermés. De l’autre côté, Yolanda le regardait.

« C’est bien, très bien, murmura-t-elle ravie. Tu es resté longtemps. C’est beaucoup pour une première fois.

- Tu n’as pas fait comme nous ?

- Non, je t’ai regardé tout le temps, j’ai pensé à ton calme, pour t’aider à le trouver. On ne sait pas si ça fait quelque chose mais on fait ça avec Birgitt. Tu as vu comment c’était ?

- J’ai perdu le contact une fois et puis en comptant c’est revenu. Je ne saurais même pas dire ce que c’était. J’ai pensé à ma conscience et là tout est parti.

- Il ne faut rien se dire, juste compter et puis après vivre sa respiration. Si tu fais venir une pensée, même si c’est une bonne pensée, tu perds tout. » 

Birgitt avait ouvert les yeux et les regardait murmurer.

« J’avais besoin de ça », dit-elle au bout d’un moment.

Pierre tourna la tête.

« J’ai fait comme toi tu sais ! dit-t-il enthousiaste. Yolanda m’a expliqué et j’ai trouvé quelque chose de calme, une sensation étrange, comme du vide mais ce n’était pas vide. Je voyais par-dedans, ça grandissait tout le temps. »

Birgitt sourit à son amie.

« Tu apprends vraiment vite, affirma-t-elle.

- Je suis certaine que tu as déjà vécu des moments comme ça mais tu ne contrôlais rien alors c’était moins fort, ajouta Yolanda. Tu es rapidement resté calme. »

Il pensa à ces séances de cannabis pendant lesquelles il tombait dans une absence étrange. Ça n’avait été qu’une fuite, une dérive de plus. Maintenant, il allait apprendre à maîtriser ce voyage.

Il ferma la porte de la geôle et n’en dit rien."

 

 

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