"L'éveil par le corps" (INREES)

 

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L'éveil par le corps

 

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Véhicule ou outil de l’esprit, moyen de se lier aux autres, justification de l’incarnation terrestre, le corps est aussi une possibilité de se libérer. Souvent méconnues et mal interprétées en Occident, des sagesses millénaires issues de l'Asie, comme le yoga et le tantra, ont transmis des enseignements et techniques permettant d’atteindre l’éveil spirituel au travers du corps.

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Depuis quelques décennies, l’Occident s’intéresse à toutes sortes de sagesses et techniques le plus souvent issues de l’Asie, pour pallier un désir de spiritualité, une recherche de mieux-être dans une société exigeante, ou combler un éloignement de la nature. Afin de renouer avec ce qui pourrait être essentiel, des dizaines de courants ont émergé, parfois se sont délités et profondément éloignés de leur substantifique moelle de départ, le but pour lequel ils étaient pratiqués, à savoir l’éveil spirituel, la libération de la conscience. Les termes tantra et yoga, désignant chacun plusieurs éléments souvent différents et confondus, n’en sont pas moins des traditions, voies, techniques, textes et actions en eux-mêmes, dont l’enseignement et la pratique peuvent transcender l’homme. De même que souvent le chemin spirituel est confondu avec une quête de bonheur, alors qu’il est parsemé d’épreuves et demande bien des sacrifices, le yoga, le tantra, et la méditation peuvent être assimilés, à tort, à ce qu’ils fuient : la satisfaction éphémère.


De l’origine des termes Le yoga, aujourd’hui, est le plus souvent pratiqué comme un sport de détente. Le tantrisme est associé, dans l’imaginaire occidental, à des pratiques sexuelles, souvent extravagantes et dénuées de spiritualité. L’habitude occidentale de réinterpréter les apports d’autres cultures afin de subvenir à ses besoins – séduction, efficacité – pouvant nuire à l’instruction originelle des pratiques, mène aux malentendus. Ce qui est intéressant, dans ces chemins spirituels, c’est qu’ils utilisent le désir et le corps comme moyens de se libérer, parce qu’ils sont justement les causes de la souffrance. Le tantra, qui signifie « continuité » ou « trame » de la nature véritable de toute chose, est aussi la voie qui permet de réaliser cette nature ultime (« comprendre le sens caché de l’existence phénoménale », in Dictionnaire du bouddhisme, Philippe Cornu, Éd. Seuil). Le tantra est donc aussi un rassemblement de textes, dont le contenu expose en détail les « moyens habiles », techniques corporelles et parfois sexuelles, permettant d’atteindre cette connaissance, cet éveil de l’esprit. Peu transmis en occident, hormis par Osho, maître indien parfois controversé, le tantra est moins connu dans son essence originelle.


 

Le tantrisme, le corps divin



Le tantrisme est un phénomène religieux et philosophique qui trouve son origine en Inde et qui a ensuite influencé l’hindouisme et le bouddhisme. Ces deux derniers en ont intégré un certain nombre de principes, ce qui aujourd’hui lui confère un aspect multiple. Le tantrisme, lorsqu’il est pratiqué, est vécu dans une indissociable totalité corps-esprit, essentiellement ritualiste, dont l’implication du corps est primordiale. « C’est par son aspect rituel que l’on a parfois tenté de définir le phénomène tantrique. Les rites sont des actions accomplies corporellement par des gestes et des attitudes, avec parfois des actions effectuées sur ou avec le corps, lequel est sexué », rappelle André Padoux, spécialiste du tantrisme. Dans cette logique spirituelle, il importe de comprendre que l’on ne peut se libérer que parce que nous sommes incarnés. C’est le fait d’avoir un corps qui va permettre la libération, l’éveil, en l’utilisant pour transcender la matière et y faire entrer le divin. Mais il faut concevoir également le rapport qu’ont les Indiens, ainsi que leur compréhension de la divinité. Des conceptions pour le moins éloignées de la vision occidentale. « La façon tantrique de concevoir le corps n’est qu’une variante traditionnellement indienne de voir le corps, envisagé comme un microcosme et le macrocosme comme un corps immense. Dans le monde hindou, corps et cosmos ne se séparent pas», explique André Padoux. Le corps comme petite partie du cosmos, qu’il s’agit de réveiller, d’utiliser par des techniques spéciales, en concevant un isomorphisme humain/ dieux. Encore faut-il, pour cela, avoir cette foi, reconnaître les voiles et avoir la soif de les déchirer. L’Univers, chez le pratiquant du tantrisme, est pénétré par l’énergie divine divisée en féminin et masculin (la shakti), que l’humain peut également utiliser. Au panthéon des dieux tantriques, on retrouve des individus masculins et leurs parèdres féminins, d’où la notion de complémentarité sexuelle et énergétique (exemple Shiva et Bhakti). Cela nécessite de concevoir la dimension énergétique sacralisée donnant aux activités mentales et sensuelles humaines leur puissance inhérente, capable de mener l’humain à se dépasser, à atteindre une dimension surnaturelle.


 

Le tantra et la sexualité



De nature révolutionnaire par rapport à la tradition védique en Inde, le tantrisme a une réputation sulfureuse et transgressive qui s’explique par la nature secrète et parfois impure de ses préceptes (notamment selon la tradition brahmanique). Il existe, dans le tantrisme traditionnel indien, des pratiques rituelles complexes – telles que l’absorption des sécrétions sexuelles offertes à la divinité, permettant à l’individu de se diviniser – mais aussi à mener par l’orgasme, un dépassement des limites du soi empirique, pour fusionner avec le divin. Selon cette doctrine, la parole divine serait descendue pour être transmise à l’humain, le conduit à son salut de manière adaptée, «particulièrement dans cet âge cosmique où il vit, dominé par le désir», note André Padoux. Plusieurs traditions, notamment bouddhiques, rappellent que l’humain est un être de désir et qu’il « purifie » par le désir. La place du corps dans le tantrisme est donc à la fois l’origine des désagréments, l’outil de progression et la solution unique de libération, afin d’obtenir les jouissances spirituelles, mais aussi mondaines.

Pour Jacques Lucas, psychothérapeute et pratiquant du tantrisme, l’intérêt de travailler avec la sexualité est multiple: « Il se joue en condensé, ce que nous sommes et tout ce que nous mettons en acte dans notre vie de tous les jours : l’intimité, la relation au désir, à l’autre, à la transcendance. » 

Le yoga était à l’origine en Inde « L’art de mourir à soi-même. »

Ainsi, tous les besoins et les peurs sont mis en lumière, l’individu peut voir ses fonctionnements les plus intimes se révéler, mais aussi observer sa relation à l’autre, au pouvoir, à la confiance... C’est le terrain pour une évolution en profondeur, qui va lever les blocages les plus intimes. C’est dans la relation que tout va se jouer et grâce au partenaire que l’accès à la connaissance et au divin peut se faire. Par la circulation énergétique, l’activation des chakras et la libération de la vitalité sexuelle (kundalini), l’émergence d’émotions, d’attitudes, de gestuelles divinisées est possible. Ainsi transcendé, tout en court-circuitant le mental, l’individu sublimé se réalise et met en lumière son véritable Soi, son appartenance à un « tout » divin.

Ce qu’Osho a transmis comme étant le tantra est la recherche du vrai, en partant de la sexualité, sans morale et sans masque, pour atteindre le véritable orgasme: l’orgasme cosmique. En transcendant le sexe, on obtient les secrets révélés dans l’expérience: «Vous touchez un élément de félicité grâce à trois des éléments de base du sexe : l’éternité car le temps s’arrête, l’ego disparaît, une nouvelle réalité se dessine et enfin vous êtes naturels, le faux est abandonné et vous êtes sans masque, vous faites partie de la nature !», explique Osho dans ses enseignements Tantra, spiritualité et sexe.


 

Yoga tantrique, yoga spirituel



Le yoga était à l’origine en Inde, «l’art de mourir à soi-même». Aujourd’hui, c’est une technique de mieux vivre... Il y aurait comme un malentendu théorique et pratique. La définition exacte du Yoga-sutra, texte central du yoga, est : « le yoga est l’arrêt (la mise au repos) de l’activité automatique du mental », afin de libérer l’humain du cycle des renaissances infinies (le samsara), qui est le résultat du karma (actions) emmagasiné par les individus. Le yoga est une véritable discipline qui demande un investissement personnel très intense, fait de méditation, d’ascèse, d’exercices, associés à une forte compréhension du chemin spirituel. En plus d'atteindre une grande humilité, il convient de se libérer des souffrances inhérentes à ce monde. C'était même le but suprême de l'Inde ancienne, au-delà de la recherche des biens matériels et des plaisirs éphémères. En Inde, les pratiquants se livrent souvent encore aujourd’hui, à des pratiques de purification extrême, avant même leurs pratiques yogiques.

Pour Philippe Filliot, enseignant et formateur de yoga, même si la fonction ontologique et sotériologique de la spiritualité du yoga ne semble plus d’actualité pour les pratiquants occidentaux, il n’en reste pas moins spirituel, dans une variation plus contemporaine. Aujourd’hui, le yoga prendrait une forme nouvelle adaptée à l’Occident, donnant une place très importante aux âsanas (postures) qui n’étaient que mineures dans le Yoga-sutra, mais resterait, selon ses termes, « une spiritualité incarnée », car « l’expérience authentique de l’âsana est […] un moyen paradoxal de s’ouvrir à une forme de transcendance et d’immanence. Une technique subtile pour expérimenter une certaine forme de sacré qui se vit à l’intérieur du corps ».(1) Enfin, le tantra-yoga est une compréhension de ce qui se passe dans la vie de l’humain, afin d’en faire la source même de son éveil spirituel. « C’est un yoga de l’action dans le monde des sens, il n’y a plus de scission entre la vie mystique et la vie phénoménale. Toute perception, toute pensée, toute émotion permet de glisser spontanément dans la conscience, le divin en soi […] une immersion intégrale dans ce que la vie a de plus frémissant», explique Daniel Odier, spécialiste du tantra-yoga, dans Le tantra de la connaissance suprême.

Pratiques de silence, retraites dans le noir, exercices physiques extrêmes, recherche de compréhension des enseignements, pratiques sexuelles intenses et complexes, tous ces tantra et ces yoga sont des voies mystiques de réalisation de l’éveil, qui demandent une abnégation et un investissement personnels immenses, à l’image du but qu’ils suivent, celui de la réalisation totale et divine de l’individu, qui sans le corps ne pourrait y parvenir. Prendre conscience de la valeur spirituelle du corps et s’en servir comme outil divin est le premier pas de la compréhension du sens de la vie terrestre. 


 

Harmonie du corps


Le corps au sens « indien »

« Le corps se présente comme une perception parmi d’autres, qui apparaît et disparaît dans le silence. En soi, le corps n’existe pas. Il n’est que prolongation, expression de la conscience. Du point de vue phénoménal, le corps apparaît comme sonorités, vibrations, ensemble de sons tantôt harmonieux, tantôt inharmonieux. L’écoute du corps s’apparente à l'art d'en découvrir l'harmonie fondamentale. » 
Le yoga tantrique du Cachemire, Éric Baret.



(1) Le chemin du yoga une spiritualité pas à pas, Ultreïa n°16.

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