La faim du tigre

Un livre de René BARJAVEL, écrit en 1966...

La Faim du tigre est comme la faim de l'agneau. C'est la faim naturelle et implacable, mais douloureuse, de vivre. C'est cet appétit insatiable de provoquer ou d'endurer l'atrocité au quotidien, pour perdurer, toujours, ce sinistre théâtre où s'illustrent souffrances, crimes, terreur et esclavage, auxquels seule la Mort peut mettre fin. La Faim du tigre, c'est enfin et surtout la recherche rageuse de la raison pour laquelle, dans un cynisme sordide, ce sont la grâce, la beauté, l'innocence et l'amour, qui ont été choisis pour rythmer cette tragédie.

"Je n'y parviendrai peut-être jamais, mais jusqu'à mon dernier souffle, je chercherai à comprendre. Comprendre où je suis et ce que je suis et ce que j'y fais, et à quoi ça rime. Ce corps qui s'est construit sans moi, et qui vit sans mon intervention, cet esprit qu'il enferme dans un scaphandre qu'ont-ils à faire ensemble, vers quelle vase ou quel trésor s'enfoncent-ils dans l'océan de la matière ? Cette chair souffrante et jouissante qui me commande, et qui est faite de vide et qui saigne, qui a reçu du fond des âges une vie qui la laissera tomber et pourrir, cet esprit qui aura à peine le temps de naître avant de s'évanouir, je veux comprendre, comprendre, comprendre."

"L'homme ne craint plus, ni pour lui, ni pour ses fils, le tigre ni le loup, la peste ni le croup. Les grands fauves sont en cage, les microscopiques tenus en respect. L'homme ne nourrit plus de sa chair fraîche la vie des autres espèces. Il n'est plus mangé que mort. 

Mais il continue à tuer. Il tue plus que jamais. Il détruit avec frénésie des pans entiers du monde vivant, rase les forêts, stérilise les étangs, massacre les oiseaux, égorge par milliards les agneaux et les poulets. Aucune espèce ne peut lui résister. Aucune ne peut plus le vaincre. Il a rompu à son seul profit l'équilibre du monde vivant.

Il tend à occuper à lui seul la planète, après avoir exterminé toutes les autres espèces.

Mais la loi d'équilibre est inéluctable. Une telle modification apportée à la structure du monde animé ne pouvait rester sans conséquence. Une effrayante compensation s'est établie. Le tueur trop bien défendu a vu se lever devant lui un ennemi à la mesure de ses forces et de ses défenses : lui-même. "


J'étais au lycée quand j'ai dévoré ce livre. Un choc considérable. Une révélation aussi. Devenir maître d'école, c'était se donner la possibilité d'apprendre peut-être aux enfants à ne pas suivre l'exemple de leurs pairs.  

J'ai fait ma part. Je passe le témoin aux suivants. 

Je ne sais pas si tout ça a servi à quelque chose, si des effets durables ont eu lieu, si certains de ces enfants ont gardé en eux une trace, une ligne de conduite peut-être...

Mais de toute façon, ça ne m'appartient pas. J'ai juste fait ce qui me semblait juste. 

Pour ce qui est de l'Humanité, depuis 1966, je laisse à chacun le soin de juger de son "évolution"...

Moi, j'aimerais juste ne plus en faire partie.

Que ce monde continue à conduire ses enfants à l'abattoir spirituel. Que ce monde continue à les illusionner de biens matériels, de compétition, de peurs et de communautés qui s'opposent.

Il faudra sans doute aller jusqu'au bout du désastre pour que s'éveille une autre voie. Pour ceux qui auront survécu.

Il est toujours possible de lire "Ravage" de René Barjavel ou "Colère" de Denis Marquet pour se faire une idée de notre avenir.

André Gide disait qu'il voulait mourir totalement désespéré, c'est à dire en ayant exploité jusqu'au bout tous les espoirs, qu'il n'en reste plus un seul et qu'il soit en paix puisque l'espoir est une tumeur maligne.

J'ai vécu avec un infini espoir.

J'ai la chance d'en être totalement libéré.  

Je béis aujourd'hui mon désespoir. 

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