La murmuration des colibris

 

Je pense pour ma part que les "petits gestes individuels" représentent une pression importante sur les "décideurs" car ils mettent en avant un changement de paradigme et les décideurs sont également des "suiveurs" puisqu'ils ont besoin des consommateurs pour garder leurs places d'élus.

Plus cette pression sera forte, plus elle se fera entendre, plus elle montrera son étendue planétaire, plus les décideurs, qu'ils soient politiques ou financiers, se devront de l'entendre.

On ne construit pas une pyramide en commençant par le haut.

Alors, oui, bien entendu que les décideurs freinent des quatre fers mais c'est juste que la pression n'est pas encore assez forte...Je ne vois donc pas les "colibris" que nous sommes comme des oiseaux isolés mais comme une "murmuration" qui sait dans quelle direction elle vole et pour quelles raisons. Il faut juste que la masse se renforce encore et encore...

RÉFLEXIONS SUR LA TRANSITION

Petits gestes : j’en ai assez de la sur-responsabilisation individuelle

petits gestes

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Depuis plusieurs mois, je sature de l’écologie et de ses petits gestes. Peut-être que j’en mange trop, que ça n’avance pas assez, que je n’assume plus mes contradictions. Sans doute tout ça à la fois. Du matin au soir, je cogite, cherchant le « bon » moyen d’agir pour faire avancer le schmilblick de la transition écologique. Mais il n’y a pas de bon moyen d’agir – seulement une palette d’outils que personne ne peut mobiliser à lui seul.

Clairement, j’ai le cul entre deux chaises. Moi qui prône la stratégie des petits pas depuis tant d’années, je suis de plus en plus frustrée par l’engagement individuel.

J’arrive à un stade où je ne peux plus rien encadrer, surtout pas l’histoire du colibri. Non pas que je trouve ça mal, ou bête. Je suis pour que chacun se sente concerné, et persuadée que réformer nos modes de vie nous rendra plus heureux. Mais je ne supporte plus la déresponsabilisation des institutions et grandes entreprises que cette fable permet.

Il fallait que je vous en parle.

D’autres réflexions sur la transition :

De la stratégie des petits gestes au désarroi

J’ai eu mon « déclic » écolo au Canada, en 2011. De retour de mon échange universitaire, j’ai embrassé la légende du colibri et la politique des « petits pas », fière et heureuse de faire ma part.

J’ai cru très fort au pouvoir de la consommation responsable. J’ai pensé : « Puisqu’on nous prend pour des consommateurs, achetons ce qui est bon, boycottons le reste, et les entreprises seront obligées de s’adapter ». J’ai vraiment pensé que la CB était notre bulletin de vote et notre plus fort levier.

consommation responsable engagement individuel

J’ai revu tout mon quotidien, morceau par morceau. J’ai passé des heures à faire mes courses en essayant de résoudre des équations à triple inconnues. (Bio ou local ? Industriel certifié ou artisanal conventionnel ?) J’ai privilégié le vrac, diminué la part des aliments qui viennent de loin, refusé autant que possible le plastique. J’ai mangé de moins en moins de viande, acheté de moins en moins de vêtements. J’ai fabriqué mes produits ménagers et cosmétiques. J’ai relevé le Défi Rien de Neuf, opté pour un smartphone et des appareils électroménagers reconditionnés. J’ai été la reloue qui demande aux potes qu’on parte pas en vacances avec un vol intérieur low cost. J’ai fait de nombreuses recherches et partagé toutes mes découvertes sur un blog lu par des dizaines de milliers de personnes chaque mois.

Bref.

J’ai fait de mon mieux, multiplié les petits gestes, et pourtant ça ne va pas. Quand je tombe sur un énième compte écolo ou pire, zéro déchet, je ressens de l’agacement. Je sais la fatigue qu’on peut ressentir dans la course au plus petit bocal, je sais la charge mentale que ça représente. J’ai entendu des dizaines de copines se torturer pour un opercule en plastique dans leur poubelle quand celles du monde entier dégueulent. J’en peux plus. J’en ai marre des batailles symboliques, des « petits gestes qui sont mieux que rien ».

Si la fable du colibri ne marche pas…

L’effet pervers du colibri, c’est que cette histoire donne l’impression que les individus qui détiennent la clé de la transition écologique.

Et ça, ça arrange bien les responsables politiques et économiques, qui peuvent se complaire dans une écologie de façade qui ne remet rien en cause, et dont la responsabilité pèse sur les citoyens.

petits gestes colibri

OKLM, on incite les personnes à adopter des comportements éco-responsables, comme si acheter des multiprises à interrupteur allait empêcher l’emballement du climat et l’effondrement de la biodiversité.

Oui, ça arrange bien l’État et les grandes entreprises, cette configuration.

Combien d’engueulades dans des conversations physiques ou virtuelles, sur qui prend l’avion, qui mange de la viande, qui achète du plastique ?

Pendant qu’on s’écharpe entre lombrics sur qui mérite la médaille du meilleur écolo, ceux qui nous gouvernent poursuivent leur quête mortifère de la croissance éternelle.

Et ça me met en colère.

… Alors que faire ?

Soyons bien clairs.

Je ne dis pas que l’action individuelle ne sert à rien. Je ne dis pas que les « petits gestes » ne comptent pas.

Je dis qu’ils ne suffisent pas. Qu’ils ne doivent pas constituer une excuse pour l’inaction au niveau collectif, politique. Qu’ils ne doivent pas faire peser la totalité ni même la majorité de la responsabilité de la transition sur les individus.

Dans l’étude « Faire sa part ? » du cabinet de conseil Carbone 4, les auteurs écrivent : « l’engagement individuel est indispensable, mais insuffisant« . Car même dans l’hypothèse d’un changement de comportement trèèès significatif (végétarisme, arrêt de l’avion, trajets en vélo, rénovation thermique de son logement, etc.), un individu seul ne parviendrait à réduire son empreinte carbone que de 45 %. Il faudrait pourtant descendre à 80 % pour respecter les objectifs de l’accord de Paris (à horizon 2050).

faire sa part petits gestes
Source : Cabinet de conseil Carbone 4 – juin 2019

Sauf que tout le monde ne changera pas de comportement de son plein gré. Une estimation plus réaliste serait une baisse de 20 % de l’empreinte carbone moyenne de chaque Français (et encore, je les trouve sereins sur l’hypothèse). Et les 60 % restants ? Ils dépendent d’une action collective, politique, globale. D’un système qui se réforme en profondeur (transports publics et fret, agriculture et élevage, industrie, etc.)

Ces dernières années, on a voulu nous faire croire que l’écologie était une affaire de responsabilité individuelle, qu’elle n’avait rien de politique.

Ce n’est pas vrai. Nous sommes habitants de la même planète, insérés dans une société mondialisée, et donc dépendants les uns des autres. L’organisation de cette société repose sur un système politique multi-échelles. L’écologie est donc on ne peut plus politique.

manifestation pour le climat

Je ne blâme personne : je me suis vautrée la première dans cette histoire de petits gestes, d’engagement individuel. Et je ne reviendrai pas sur les changements de vie qui m’ont rendue plus heureuse et plus alignée.

Mais comme l’écrivent Jean-Marc Jancovici et ses comparses, « Si le système sociotechnique dans lequel nous vivons tous ne se réforme pas de toute urgence, l’injonction permanente à l’effort individuel ne pourra plus être entendue très longtemps. »

Je crois que mon début de burn-out militant en est une parfaite illustration.

La dissonance cognitive de l’écolo

Restez, parce que j’ai pas tout à fait fini. Récemment, un article du magazine de La Ruche qui dit Oui ! parlait de dissonance cognitive. Quessquecé ? C’est quand nos paroles sont contraires à nos actes. Un petit exemple ? J’ai l’impression de « faire ma part » et pourtant, si tout le monde vivait comme moi, nous aurions besoin… D’1,62 planètes, d’après le calculateur d’empreinte écologique.

« C’est pas moi, c’est les autres » ?

Le pire, c’est que WWF me félicite, car les deux tiers de planète en trop ne dépendent pas de moi, mais du système dans son ensemble. C’est donc au collectif de se réformer.

empreinte écologique

Mais se réformer vers quoi ? Un monde basé sur les technologies propres, la croissance verte, l’efficacité énergétique ? LOL. Sortez le système par la porte, il revient par la fenêtre… Car derrière tout ça, la logique n’a pas bougé d’un pouce. C’est la même cloison pourrie, repeinte en vert.

Et moi, dans tout ça ? En y réfléchissant bien, j’ai certes adopté une foultitude de petits gestes. Mais mon mode de vie global ? Je travaille dans la communication digitale, et les nombreuses heures à pédaler sur mon vélo pour me déplacer ne compensent pas celles passées sur l’ordinateur. Même si je fais durer mes appareils, même si j’ai un hébergeur green, même si j’éteins ma box la nuit. Même si.

Comme les autres, je fais des aménagements à la marge. Peut-être plus importants que la majorité, mais ça reste à la marge. Mon mode de vie ne remet rien en cause.

Pourquoi n’arrive-t-on pas à être plus radical ?

Pourquoi est-ce que je n’arrive pas à aller au bout de la logique ? Pourquoi est-ce que je ne renonce pas aux appareils électroniques, aux grands déplacements, à certains produits venus parfois du bout du monde, etc. ? Bref, aux facilités de la vie moderne, dont on sait maintenant qu’elles sont purement insoutenables ?

collapsologie théorie de l'effondrement

Il y a un peu plus d’un an, j’ai rencontré les théories de l’effondrement. Et la collapsologie, c’est pas le même niveau de discours que les petits gestes, hein. Ça te dit que tu peux te carrer tes LEDs et tes sacs à vrac où tu veux, parce que dans un futur pas si lointain, il n’y aura plus ni d’électricité, ni de supermarché. Ça parle de guerres, de famines, de catastrophes climatiques. Mais aussi d’entraide, de solidarité, de résilience, d’autonomie. Bref. Ça remet les idées en place.

Mais ça nous met toujours pas en mouvement.

Il manque une logique de changement collective

Aujourd’hui, on a le choix entre une écologie « soft », faite d’arrangements avec le système (mais qui ne le menacent pas vraiment), et une écologie « radicale », qui revient à s’exclure de ce système.

Entre les deux, rien, nada, walou, niet. Notamment parce que les décideurs ne prennent pas leurs responsabilités. Parce qu’ils n’ont pas le courage d’organiser une transition d’envergure, de poser les bases d’un nouveau système plus sain et plus soutenable.

Or, en bon animal social, l’Homme n’a pas tellement envie de se mettre au ban de la société. Même si elle est en train de courir à sa perte.

Ça fait peur à la majorité d’entre nous, d’engager un changement d’envergure. Organiser son auto-suffisance, renoncer avec quelques années d’avance à ce qu’on ne pourra de toute façon pas conserver pour quelque chose qu’on ne connaît pas encore, c’est tout simplement terrorisant. Et pour l’instant, ça reste plus simple de mettre la tête dans le sable.

Je pose ce constat aujourd’hui. Celui que je vais devoir réfléchir sérieusement à mon projet de vie, et sans doute devoir prendre des décisions difficiles.

Je ne fais la morale à personne. Je vous partage simplement et en toute transparence l’état de ma réflexion aujourd’hui. Sans même tirer de conclusions.

Pour continuer sur le sujet

Je ne sais pas ce que je penserai ni ce que je ferai demain. Et ce billet sera certainement suivi par d’autres, car j’ai besoin de parler de tout ça.

Pour ceux que le sujet intéresse, voici quelques ressources.

Des idées d’actions plus politiques

Des lectures utiles et inspirantes

Et vous, où en êtes vous de vos réflexions sur la transition ?

burn out écolo militant

 

Anaelle

Blogueuse engagée. Écologie, société et autodérision

 

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