Les risques de crise en 2019

Si on veut anticiper le futur, il faut se servir du passé. 

Cet article date de décembre 2019. L'état des lieux est loin d'être exhaustif. Il cible uniquement les éléments les plus connus. Il y en a bien d'autres qui ne sont pas identifiés aussi clairement que la dette des étudiants américains ou la bulle immobilière chinoise ou la dette privée...
Ce qui est certain, par contre, c'est que la crise sanitaire actuelle accentue considérablement le risque d'éclatement d'un ou de plusieurs de ces éléments par l'arrêt extrêmement brutal de l'économie dans l'ensemble des pays "développés." 
C'est la raison pour laquelle les banques centrales, de tous les pays les plus puissants économiquement, sont montées très rapidement sur la scène pour affirmer qu'elles assumeraient les créations monétaires gigatesques, incommensurables à notre échelle. 

Des milliards comme des flocons de neige...

Le chômage aux Etats-Unis a crevé tous les plafonds cette semaine. Et ils ne sont qu'au début de l'épidémie...

Il va falloir surveiller l'économie mondiale, du plus près possible.

 

Je sais que toutes ces alertes peuvent être perçues comme des craintes inutiles et que beaucoup se disent que les Etats seront à même de gérer la situation.

Personnellement, quand je pars en montagne, j'ai étudié le parcours, j'ai préparé mon sac avec minutie et je sais que je vais transporter des affaires qui ne serviront pas mais qui pourraient devenir utiles en cas de coup dur. Je me suis entraîné avec assiduité si le projet du jour est plus ardu que d'habitude. J'ai essayé d'identifier tout ce qui pourrait advenir et les moyens d'y pallier. Et c'est parce que j'aurai fait tout cela que je vais partir l'esprit tranquille, serein. 

C'est ce qui s'appelle l'anticipation et je ne comprends pas pourquoi cette méthode ne devrait pas être appliquée dans n'importe quelle situation. 

La peur ne survient que face à l'inconnu, l'imprévu.

Je n'aime pas avoir peur. J'aime la sérénité. 

Donc, je cherche à comprendre et à anticiper.


 


 

"Je ne vois pas comment nous pourrions échapper à une nouvelle crise financière" : entretien avec Gaël Giraud sur les années 2020

 

Propos recueillis par Alexandra Saviana

​Pour fêter 2020, Marianne a interrogé différentes personnalités sur la décennie à venir. Voici l'entretien réalisé avec Gaël Giraud, économiste, directeur de recherche au CNRS, ancien chef économiste de l'Agence française de développement.

A quoi ressembleront la France et le monde des années 2020 ? Pour se faire une idée, Marianne a interrogé différentes personnalités reconnues pour leur expertise dans leur domaine (politique, climat, culture, égalité hommes-femmes…). Au programme, pas de boule de cristal, mais des analyses charpentées sur notre futur collectif… Voici l'entretien réalisé avec Gaël Giraud, économiste, directeur de recherche au CNRS, ancien chef économiste de l'Agence française de développement.

Marianne : Quelles seront selon vous les principales préoccupations de la décennie à venir ?

Gaël Giraud : Évidemment, d’abord, celle de l’aggravation de l’impact du réchauffement climatique, de la destruction de nos écosystèmes et de la raréfaction de plusieurs ressources naturelles. Il est vraisemblable, par exemple, que le Sud de l’Europe connaisse dans les dix ans qui viennent des pénuries d’eau extrêmement graves. La perturbation du cycle de l’eau sur la planète est une épreuve majeure à laquelle il faudra faire face.

Le deuxième grand sujet, c’est la prochaine crise. Il serait très étonnant que nous n’ayons pas un nouveau krach dans la décennie qui vient. Je ne vois pas comment nous pourrions échapper à une nouvelle crise financière.

Pourquoi cette crise financière vous semble-t-elle inévitable ?

Sans céder au déterminisme, ce que l’on peut dire, c’est qu’il y a un problème structurel lié aux taux d’intérêts nuls ou négatifs des pays riches. Je crains qu’ils ne restent proches de zéro de façon durable à cause de la déflation. Du coup, les investisseurs vont continuer de prendre des risques irresponsables sur les marchés financiers : plus les taux d’intérêts sont faibles, plus les investisseurs sont incités à tout risquer pour rentabiliser leurs placements. Le manque de rendement des titres obligataires devient alors une incitation permanente à la faute. Couplé à l’énormité des dettes privées (et non publiques) dans le monde, cela fait un cocktail idéal pour une nouvelle crise.

Où commencerait cette crise ?

Il y a beaucoup de foyers possibles. En premier lieu, il y a la dette des étudiants américains, qui dépasse les 1.500 milliards de dollars. Les étudiants américains qui arrivent sur le marché du travail ne peuvent rembourser leur dette que s’ils ont de hauts salaires dès le début de leur carrière. Et ce n’est possible que si l’économie américaine résorbe vraiment le chômage dissimulé derrière les petits boulots sous-payés, si l’inflation repart à la hausse accompagnée d’une croissance forte (ce qui serait une catastrophe pour le climat). Or, le risque que le marché du travail américain s’essouffle est réel. On pourrait alors se retrouver dans une situation analogue à celle de 2007.

Un deuxième foyer possible serait… une nouvelle crise des subprimes. Beaucoup d’institutions de crédit américaines ont recommencé les mêmes bêtises qu’avant 2007. Elles prêtent à nouveau à des ménages pauvres américains, avant de titriser ces crédits douteux et de les disséminer sur les marchés internationaux. Comme si nous n’avions rien appris de la déroute de 2008 ! Autre source possible aux Etats-Unis : la dette des cartes de crédit : 1.000 milliards de dollars environ. Ces montagnes de dettes sont d’ailleurs liées entre elles et dessinent une économie où la dette joue le rôle d’une drogue dure. Combien de temps le toxicomane américain parviendra-t-il à se procurer la came sans laquelle il ne peut plus vivre ?

Le troisième foyer pourrait être européen : une grande banque du continent ferait faillite, par exemple. Les banques européennes ont beaucoup de Non-performing loans, ou des actifs “pourris" pour parler français : plusieurs centaines de milliers d’euros. Les banques italiennes, notamment, mais elles ne sont pas les seules : des cajas espagnoles vont toujours mal ; les Landesbanken allemandes ne vont pas bien non plu (et l’Allemagne a tout fait pour empêcher la Banque Centrale Européenne d’aller superviser de près ce secteur) ; Deutsche Bank donne régulièrement des signes de fragilité inquiétants. Nous sommes loin d’être à l’abri de la faillite d’un gros établissement bancaire européen. Contrairement à ce qu’elles répètent, les banques n’ont pas fini de nettoyer leurs bilans après la crise de 2008. A l’époque de Christine Lagarde, le FMI avait déjà multiplié les mises en garde à ce sujet.

Quatrième foyer : la Chine. Les banques chinoises sont des banques d’Etat publiques complètement opaques, dont on ignore une grande partie du bilan. Elles ont énormément prêté pour alimenter l’explosion immobilière sur la côte Est chinoise. Or des erreurs d’estimation des flux migratoires liés à l’exode rural chinois —- qui touche plus d’une centaine de millions de personnes sur une décennie — ont entraîné des milliers de quartiers fantômes, vides aujourd’hui. Cette bulle immobilière pourrait crever d’un instant à l’autre, un peu comme au Japon à la fin des années 1980.

Y-a-t-il un foyer que vous privilégiez par rapport aux autres ?

Je crois peu à une crise provenant du foyer chinois, parce que les autorités chinoises sont sans état d’âme. Contrairement aux Occidentaux, ça ne leur pose aucun problème de mettre une banque en faillite ou d’éliminer physiquement son PDG et ses cadres. Et les intéressés le savent : la Chine de Xi Jinping est redevenue aussi autoritaire et violente que sous Mao.

Une chose est sûre, c’est que l’accumulation des dettes privées n’est pas viable. Un moment va arriver — nul ne sait quand — où beaucoup d’investisseurs qui se sont endettés pour acheter des actifs financiers en pariant à la hausse des cours ne seront plus en mesure de rembourser leur dette, parce qu’ils n’auront plus assez de revenus venant de l’économie réelle (laquelle est en berne, y compris en Chine). Ils seront contraints de vendre leurs actifs, ce qui peut retourner certains marchés financiers. C’est le mécanisme à l’oeuvre dans toutes les crises financières, au moins depuis 1929.

De plus en plus d’experts évoquent le risque d’un pic pétrolier en 2025, suivi d’une diminution de la production. Qu’en pensez-vous ?

Nous avons atteint le pic d’extraction conventionnel du pétrole au niveau mondial en 2006. Les techniques non-conventionnelles comme la fracturation hydraulique de la roche ou les différents schistes ont permis au secteur pétrolier de crever le plafond conventionnel au-delà de 100 millions de barils par jour. Pour combien de temps ? L’éventuel pic de 2025 dont on parle tient compte des techniques non-conventionnelles. Aujourd’hui, les ingénieurs pétroliers me paraissent divisés en deux tribus : une première estime que l’on devrait atteindre un plateau d’extraction, toutes techniques confondues, dans la deuxième moitié de la décennie 2020. Et une seconde pense que les réserves accessibles sont suffisamment importantes pour que nous puissions continue d’augmenter la production (et détruire le climat) jusqu’en 2060.

Si la première “tribu” a raison, nous risquons d’avoir un énorme problème d’acheminement des marchandises, puisque la totalité du commerce international aujourd’hui dépend du pétrole. Fût-ce pour acheminer la nourriture dans les supermarchés français, il vous faut des camions — et nous n’aurons pas de camions au gaz dans 5 ans. Reste qu’on est aussi capable de transformer du charbon en pétrole, même si cela coûte plus cher. Il y aurait alors un avantage décisif pour les pays riches en charbon et capables de réaliser cette transformation, comme les Etats-Unis (ce qui serait une catastrophe de plus pour le climat). A l’inverse de la France, qui a essentiellement épuisé toutes ses ressources en charbon (tant mieux) et dont l’approvisionnement en pétrole de mer du Nord a déjà atteint son pic autour de 2000. Pour nous, si nous ne faisons rien (à l’instar de l’actuel gouvernement), la note sera très douloureuse.

Pensez-vous que cet épuisement des ressources naturelles et le risque d’une crise entraînent plus de nationalisations ? Ou l’inverse va-t-il se produire ?

L’économie politique des prochaines années est bien plus complexe que l’évaluation des réserves ultimes de pétrole ! Je reste persuadé qu’un certain nombre de communautés vont continuer d’explorer l’économie du partage des ressources : les communs sont et restent l’avenir institutionnel des sociétés résilientes. Et cela s’invente partout aujourd’hui : regardez la multiplication des éco-villages, des campus écologiques, des monnaies complémentaires, etc. Mais ces initiatives, surtout portées par la jeune génération, restent jusqu’à présent de taille réduite. Une intervention massive des Etats est indispensable pour amorcer vraiment un virage vers des sociétés bas-carboneà l’échelle des nations. Les mesures prises par le gouvernement Macron vont exactement en sens inverse : il multiplie les cadeaux aux plus favorisés et aux industries polluantes tout en détruisant les filets sociaux instaurés en 1945 : les indemnités chômage, la retraite… Cette violence à peine dissimulée derrière un faux bon sens gestionnaire s’explique peut-être par la peur de certaines élites françaises : c’est la panique avant la débâcle, et l’on tente de faire payer la note de nos errements écologiques et financiers par les classes moyennes et populaires.

Cette panique va sans doute entraîner des réflexes accélérés de privatisation : comme en Grèce, certains font toutpour s’approprier le patrimoine collectif (regardez l’affaire d’ADP et le Terminal 4). Ailleurs, il peut très bien y avoir des nationalisations liées à la faillite programmée d’un tissu économique dopé aux hydrocarbures fossiles et à la dette privée. Un certain nombre de pays vont comprendre sans doute que certaines industries stratégiques ne peuvent pas être privatisées sauf à suivre le chemin de l’effondrement qu’empruntent aujourd’hui la Syrie ou le Vénézuéla. Notre responsabilité est historique pour éviter cela. Et la situation est bien plus grave qu’en 1939."

 

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