Pour sauver sa peau

Ils sont très nombreux aujourd'hui ces enseignants qui quittent l'enseignement. Pour sauver leur peau. 

Ce témoignage est un très bon état des lieux...Un de plus. 

Il arrivera dans quelques temps où l'éducation nationale n'aura plus assez de candidats pour pourvoir les postes, pas uniquement dans quelques matières délaissées mais dans l'ensemble du parcours scolaire, de la maternelle à l'université. 

Les structures privées ont de beaux jours devant elles. Je n'ai rien contre elles.

C'est juste le constat amer d'un instituteur de campagne qui voit mourir à petits feux l'école publique qu'il aimait.

 

CHARENTE

"POURQUOI JE VEUX QUITTER L'ÉCOLE": LE TÉMOIGNAGE POIGNANT D'UNE INSTIT AU BOUT DU ROULEAU

   

photo d'illustration

Majid Bouzzit

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Par charentelibre.fr, publié le .

Elle a 31 ans, elle est enseignante en Charente depuis huit ans, essentiellement dans des classes composées d'enfants souffrant de troubles de l'apprentissage. Elle nous a adressé son témoignage, qui raconte son quotidien dans une classe spécialisée, où elle côtoie des élèves violents qui n'ont pas dix ans. Elle explique également pourquoi elle a l'intention de quitter l’Éducation Nationale  La vague de témoignages et de dénonciations qui est née depuis quelques jours avec le #pasdevague l'encourage à parler à son tour.

Un rêve de gamine

 Après avoir passé presque 20 ans côté élèves, je suis passée en 2010 côté bureau. C’est moi qui écris désormais au tableau.

Depuis toute petite, je voulais être maîtresse (ou écrivain, ou pâtissière). Je faisais la classe à mes peluches ou à ma soeur, je faisais exprès d’écrire des exercices, et de me tromper, de faire des fautes, pour pouvoir corriger en rouge. Au cours de ma scolarité et de mes études, j’ai parfois envisagé de faire autre chose (notamment historienne), mais d’une part quand on est littéraire on ne nous suggère pas beaucoup d’autres débouchés que l’enseignement, et d’autre part je suis toujours revenue à l’idée que je voulais être maîtresse.

En tant que fille de prof (de français et latin au collège), entourée des amis de mes parents dont beaucoup étaient profs aussi, je pensais avoir une vision assez précise de la réalité de ce métier. De fait, je ne m’imaginais pas la classe comme un lieu tout beau, tout rose, où l’enseignant sort son savoir et le déverse passionnément dans la tête de ces petites têtes blondes avides d’apprendre, pleines de révérence et de gratitude (et l’enseignant, une fois sa classe terminée, ne rentrait pas tranquillement chez lui dès 16h30)… J’ai vu ma mère préparer ses cours, corriger ses copies, évoquer les difficultés du travail entre collègues, les relations parfois difficiles avec la hiérarchie, et les « cas » d’élèves difficiles qu’on ne sait pas comment toucher ou intéresser. Je n’étais donc pas complètement ignorante.
 Mais après presque 9 ans d’exercice (en primaire essentiellement), je sais que je ne veux surtout pas faire ce métier toute ma vie.

"Une première année en CLIS que j'ai adorée"


 Au début, malgré des moments difficiles, forcément, j’étais motivée et persuadée que je pouvais m’épanouir dans cette voie et aider des élèves. Je voulais « être utile », apporter ma pierre à la préparation de l’avenir et à l’éducation des futures générations, pouvoir tendre la main à ces enfants qui vivaient parfois des situations compliquées et essayer de leur offrir la possibilité d’une vie meilleure. Peut-on parler de vocation ? Peut-être, c’est un grand, beau et vaste mot pour désigner beaucoup de choses.
 Dès ma première année en tant que titulaire, j’ai été envoyée en remplacement en CLIS (des classes spécialisées pour des enfants présentant des troubles des apprentissages ; ces classes sont implantées au sein des écoles dites ordinaires car – en théorie – le handicap des enfants ne les empêche pas d’être mêlés aux autres élèves) pour plusieurs semaines, sans préparation particulière. J’étais terrifiée – rien dans ma formation ne m’avait préparée à ça ! Qu’est-ce que j’allais bien pouvoir leur dire ?
 Heureusement, ce remplacement de deux mois s’est très, très bien passé. Je suis revenue dans cette classe à plusieurs reprises cette année-là, et j’ai adoré. A tel point que j’ai demandé, à la fin de cette première année, à partir en formation pour me spécialiser et pouvoir enseigner en CLIS « pour de vrai ». Mais l’inspectrice de l’époque a estimé qu’il était préférable que j’apprenne d’abord à enseigner dans les classes ordinaires avant de me spécialiser. Et même si j’étais un peu déçue, je ne pouvais pas lui donner tort.

En Segpa: "j'ai fait de mon mieux"


Sauf que, grâce à la logique de l’administration, j’ai été envoyée l’année suivante en SEGPA dans un collège classé en ZEP (ou REP, ou…) – bref, des classes difficiles, avec des élèves en grande difficulté, proches du décrochage scolaire, à un âge où la parole de l’adulte doit surtout être rejetée, avec une majorité de garçons dont l’éducation et la culture ont tendance à valoriser le pouvoir masculin. Alors âgée de 24 ans, je n’étais pas tellement plus vieille qu’eux, je n’étais pas davantage formée que l’année précédente, j’étais à une heure de route de chez moi, et j’ai été prévenue trois jours avant la rentrée.
J’y ai passé un an, je ne sais pas trop ce que j’ai pu leur apprendre, mais j’ai fait de mon mieux. Tant que j’avais la tête dans le guidon, je n’étais pas trop sujette à l’angoisse ou au stress. Mais maintenant, avec le recul, quand je repense à cette période, j’ai un sentiment d’angoisse, la boule au ventre, je me sens oppressée… et je pense bien vite à autre chose.

Retour en Clis: "Nous faisions un très bon travail"

L’année suivante, j’ai enfin pu partir en formation pour enseigner en CLIS – il eût été malvenu de la part de ma hiérarchie de me refuser cette formation, de toute façon ! Cette année-là j’étais donc en poste dans une CLIS près de chez moi, dans une école que j’avais choisie, et je suis partie en formation par séries de plusieurs semaines. C’est aussi cette année-là que je suis tombée enceinte de mon premier enfant. J’ai passé l’examen final avec succès, et j’ai été titularisée sur ce poste. J’avais une super AVS, avec laquelle je m’entendais très bien, et nous faisions un très bon travail. Bien sûr il y avait des difficultés parfois, des élèves avec un comportement plus ou moins problématique, mais dans l’ensemble j’étais contente, motivée, heureuse de me lever le matin pour venir travailler.

Le premier gros incident


 L’année suivante, à mon retour de congé maternité, il y a eu un incident avec un de mes élèves : très violent, il a frappé, mordu, insulté, craché sur plusieurs de mes collègues et moi-même. Comme il était grand et costaud, nous devions nous mettre à quatre pour l’immobiliser à terre. L’inspecteur a fini par réagir seulement lorsque nous lui avons montré les photos de nos bleus et des marques de morsures, et que nous avons évoqué la possibilité de diffuser ces infos vers une audience plus large. L’élève en question a été orienté vers une structure plus adaptée et plus à même de l’aider – clairement dans un cas comme celui-ci, le scolaire n’est pas le point essentiel, il y a un gros travail éducatif et psychologique à faire avant, et ce n’est pas en CLIS que nous pouvons y arriver.


Un élève ingérable

L’année suivante, un autre élève est revenu dans ma classe. Je l’avais eu lors de ma première année, et je l’aimais bien. Mais là, il avait grandi, il était plus proche de l’adolescence, il était passé par un foyer pour jeunes, et il est apparu très vite que ce n’était plus le même enfant. Au bout de quelques semaines, il m’a donné des coups de pied, insultée, craché dessus. Il terrorisait les autres élèves (et en était très content). Il est arrivé que nous fermions la porte à clé pour l’empêcher de rentrer dans la classe alors qu’il avait décidé de semer la terreur chez les enfants. Heureusement que mon AVS et moi étions soudées, et que le reste de mes collègues était vigilant et prêt à intervenir. Lors d’une réunion, il a été convenu que cet élève ne serait scolarisé que le matin. Mais au cours de cette même réunion, alors que j’évoquais la difficulté que j’avais à gérer la classe lorsqu’il était là, et le fait qu’il y avait les autres élèves à accompagner, que je ne pouvais pas utiliser tout mon temps et toute mon énergie pour lui, l’inspectrice m’a fait comprendre, en gros, que je n’en avais que 12 et que j’étais formée pour ça, donc que je ne devais pas me plaindre (je schématise, mais c’est l’idée).
Je précise qu’il n’y a pas de cours d’arts martiaux dans la formation que j’ai suivie, qu’à aucun moment on ne nous a expliqué quoi faire face aux insultes et aux crachats, et qu’en CLIS les élèves ont des troubles des apprentissages – pas comportementaux.
 J’ai donc poursuivi l’année, la boule au ventre chaque matin lorsque je le voyais arriver, ne commençant à respirer que le midi lorsqu’il rentrait chez lui. Je redécouvrais ma classe et le plaisir de travailler avec mes élèves l’après-midi, et les élèves eux aussi étaient plus détendus et plus heureux lorsqu’il n’était pas là.

Menacée par un enfant de 7 ans

Il y a deux ans, c’est son petit frère qui est arrivé. Et qui semblait suivre le chemin de son grand frère, même s’il n’était pas encore violent. Provocateur, irrespectueux, perturbateur… Il regardait l’adulte (et en particulier la femme) avec mépris, il passait près de moi quotidiennement, plusieurs fois par jour, en me lançant « j’te tappe ! » avec un grand sourire, il m’a une fois tiré les cheveux… Il aurait eu les capacités d’être un très bon élève de CLIS, et aurait même pu suivre dans une classe ordinaire, mais le travail éducatif à faire avec lui était tellement important que le scolaire ne pouvait passer qu’après. Et en parallèle, un autre élève très difficile nous a été confié, dont la famille ne veut rien entendre quant à son comportement et ses difficultés sociales. Et bien sûr, ces deux élèves s’entendaient très bien.
 L’année dernière, un troisième est arrivé, dans la même lignée: 7 ans, mais déjà très violent, il vous regardait dans les yeux et levait son poing, prêt à vous frapper, et avec un grand sourire qui vous défiait et vous disait « alors, qu’est-ce que tu vas faire ? ». Sauf que cette année-là j’étais à nouveau enceinte, et qu’entre cet enfant prêt à frapper et moi il y avait mon ventre, avec mon bébé à l’intérieur. Lors d’une équipe de suivi pour évoquer la situation de ce garçon, la psychologue scolaire et les autres partenaires ont bien entendu la détresse de la maman, à la maison. Des propositions lui ont été faites pour lui venir en aide, à la maison. Pour l’école, par contre… Si, on m’a conseillé de lui donner moins de devoirs, ou pas du tout, parce que c’est une charge supplémentaire pour lui, une fatigue en plus (ce que je peux comprendre), et qu’à la maison la maman n’a pas à subir la colère de son fils contre l’école (ou quelque chose comme ça). On ne m’a en revanche pas dit quoi faire lorsqu’il frappe un adulte ou un autre enfant…

Une inspection difficile

Lors de mon inspection en 2017, l’inspectrice n’a pas aimé ma manière de travailler : je fonctionne énormément à l’intuition, à l’improvisation, j’ai très peu de documents de travail, j’ai tout dans la tête, et c’est vrai que du coup je n’avais pas grand chose à lui montrer. Or, dans l’Éducation Nationale, on est très paperasse. Vraiment beaucoup. Mais pas moi. Elle m’a donc reproché, si je raccourcis, de ne pas travailler assez. Le fait que mes élèves progressent, que deux d’entre eux réintègrent un cursus ordinaire (chose quand même plutôt rare), que des parents me disent avec un grand sourire que leur enfant aime venir à l’école et adore la maîtresse (alors qu’à cause de son handicap il était auparavant en souffrance), n’est pas suffisant. Il faudrait que je rédige des projets, des documents, des plans, des programmes, etc. alors même que ça ne me serait pas utile. Cette inspectrice m’a demandé ça, alors qu’elle n’avait pas su me soutenir face à un élève qui m’avait traitée de sale pute et m’avait dit d’aller me faire enculer avant de me cracher dessus.


Une agression très violente

Il y a quelques mois, alors que mon congé maternité s’approchait de la fin, j’ai vu réapparaître cette boule au ventre, cette angoisse, cette oppression dès que je pensais à ma classe. Ce qui est dommage, c’est que la plupart de mes élèves sont adorables. Mais à cause de trois d’entre eux, je ne voulais pas y retourner.

J’avais envie de pleurer rien que d’y penser. Dès que je passais devant mon école j’avais l’impression de ne plus pouvoir respirer. Lorsque je suis allée présenter ma fille à mes collègues, j’ai dû m’obliger à y aller, à me garer devant, à passer la porte. Je n’avais pas envie de rentrer dans mon école, et encore moins d’y amener mon bébé.
 En juin, soit deux mois après ma reprise, l’enfant de 7 ans (8 à ce moment-là) a « explosé » dans ma classe. Il y avait eu plusieurs crises auparavant, au cours desquelles nous devions nous mettre à deux pour l’emmener hors du groupe. Cette fois, il s’est mis à balancer ses affaires, à retourner sa table, à taper partout… Il m’a ensuite frappée avec une règle. A ce moment-là mon collègue et moi avons saisi chacun un bras, mais nous avons reçu de nombreux coups de pieds et griffures, dont je garde encore les marques plusieurs mois après. Puis l’élève m’a craché au visage à deux reprises. Mon réflexe de défense a été de le gifler. Je ne m’en suis pas cachée lorsque nous avons relaté l’incident à l’inspecteur et aux parents. Les parents ont compris, et l’inspecteur m’a conseillé de bien insister sur le fait que je ne fonctionnais pas comme ça d’habitude, que c’était un réflexe, etc. A la limite, j’aurais dû m’excuser. A quel moment a-t-on demandé à cet élève de s’excuser pour m’avoir craché dessus et frappée avec une règle ?


L'escalade

Cette année, et malgré le fait que l’un des trois élèves soit parti, nous étions arrivés à saturation à peine trois semaines après la rentrée. L’enfant de 8 ans, dès la première semaine, a fait de nouvelles crises. Mais il fallait attendre, que les aides demandées soient mises en place, que les réunions se fassent, que… Pendant ce temps, l’école se débrouille. Mes collègues ont la gentillesse de l’accueillir à certains moments dans la semaine. Il est déscolarisé à d’autres moments.

Mais cela ne suffit pas. En plus de sa violence, cet enfant semble avoir une obsession pour le domaine sexuel. Il n’hésite pas à toucher les fesses des adultes, il embrasse mon image sur la photo de classe, évoque quotidiennement la maîtresse en maillot de bain, le fait que je fasse des bisous avec mon mari, que nous dormions dans le même lit… Il m’a proposé de lui « sucer la bite ». Il a essayé de m’embrasser en me tenant les mains, a suggéré que nous allions faire l’amour dans les toilettes, et lorsque j’ai essayé de le repousser il a menacé de me frapper. Le même soir, je me faisais agresser par un parent d’élève – cet élève particulièrement perturbateur et épuisant, mais dont la famille ne veut rien entendre.


De moins en moins de moyens

Nous faisons des écrits, des rapports. Mais pour que la machine administrative se mette en route, il faut attendre. Les psychologues scolaires sont complètement débordés. Un autre poste a été supprimé sur notre secteur. Dans notre école une classe a été fermée, et les collègues peinent à accompagner tous les élèves comme ils en auraient besoin. Certains de mes élèves ne devraient pas être dans ma classe. Ils devraient être orientés vers les IME ou les ITEP – sauf qu’il n’y a pas assez de places, et qu’on en ferme encore. Du coup ces élèves restent chez moi, et ceux que je pourrais accueillir doivent rester en classes ordinaires. Tout le monde souffre, élèves et enseignants.

Car, soyons clairs, les enfants qui agissent comme cet élève violent sont en souffrance. Ils ne sont pas accompagnés comme ils en auraient besoin. Ils sont mal dans leur peau, ils ne se sentent pas à leur place, même dans une classe spécialisée comme la mienne. Mais sous prétexte d’inclure le handicap et de faire des économies, on détruit des structures (IME, ITEP, etc.) essentielles au développement de certains enfants. Et de fil en aiguille, cela met en péril la scolarisation de tous les élèves, même dans les classes ordinaires.


Des collègues débordés et sans soutien

Mon mari me dit que, plutôt que de quitter l’Éducation Nationale, je pourrais changer de poste, retourner dans les classes ordinaires ou en maternelle. Mais je n’en ai pas envie non plus. Mon dégoût de l’enseignement ne concerne pas seulement ma classe spécialisée.

Je les vois, mes collègues d’ordinaire, avec 25 ou 30 gamins par classe, à gérer du multi-niveaux, des élèves difficiles, des parents compliqués, des dossiers, des projets, des demandes de la hiérarchie qui ne fait rien pour les soutenir, des évaluations à n’en plus finir, des livrets, des réunions inutiles, des pseudo-formations qui font juste perdre du temps, des animations pédagogiques tellement éloignées de la réalité des classes, des programmes de plus en plus lourds, alors que les élèves ont de plus en plus de difficultés, des parcours et des éducations à… à mettre en place par-dessus, des réformes tous les 3 ans imposées par des personnes qui n’ont jamais mis les pieds dans les classes d’aujourd’hui, mais présentent la chose comme révolutionnaire et permettant de régler tous les maux de l’Éducation Nationale (ont-ils seulement consulté les premiers concernés?…

Je vois leur teint pâle et leurs yeux cernés dans les semaines avant les vacances (vacances que l’opinion publique nous reproche si souvent, tout comme nos horaires indécents, la stabilité de notre emploi de fonctionnaire, et notre salaire confortable qui tombe tous les mois ; mais vraiment, ces enseignants qui font tout le temps grève, de quoi se plaignent-ils ?)… Je les entends parler de mercredi, de samedi ou de dimanche matin, quand ils sont revenus travailler ; de la deuxième semaine des vacances où ils ont mis à jour leurs progressions, refait leurs séquences, mais quand même ils ont bien profité de la première semaine pour se reposer ; de lundi soir quand ils ont préparé le projet de littérature avec la collègue de CE1, et qu’ils ont quitté l’école à 20h, alors que le collègue de CM2 était encore là. Et je lis aussi ces témoignages, de plus en plus nombreux, de profs agressés, de profs en dépression, d’enseignants en burn-out…

Et je me dis que non, je ne veux pas retourner en ordinaire. Je veux me protéger, quelque part aussi protéger ma famille et mes enfants. Il vaut mieux que je parte tant que l’école ne m’a pas complètement rendue malade (j’éprouve déjà très souvent des angoisses inexplicables, que je n’avais jamais éprouvées auparavant), et tant que je suis encore convaincue que je peux faire autre chose de ma vie.

"J'admire ceux qui gardent la foi"

Beaucoup d’enseignants sont persuadés de ne rien savoir/pouvoir faire d’autre. C’est complètement faux, bien sûr, dans notre métier on a tellement de casquettes différentes, qu’on développe énormément de compétences qui nous seraient utiles dans d’autres voies. Mais nous sommes formatés, conditionnés à penser que lorsqu’on rentre dans « la grande famille de l’Education Nationale », c’est pour la vie. Et c’est vrai aussi que quitter le statut de fonctionnaire, c’est prendre un risque. Mais finalement, le risque pris en partant est-il plus grand que celui qu’on prend en restant ?
J’admire ceux qui gardent la foi, qui croient en l’avenir de l’Education Nationale. Quelque part, j’ai l’impression de déserter le front, de laisser les autres patauger seuls et faire ce qu’ils peuvent pour les générations futures, d’abandonner mes collègues et ces élèves que je pourrais aider. Je trouve aussi regrettable d’avoir laissé s’échapper ma motivation, je culpabilise pour tous ces enfants que je ne pourrai pas aider, parce que le système éducatif tel qu’il est ne m’en donne pas les moyens.

Je suis frustrée, de ne pas avoir réussi à aider ces élèves si difficiles, mais si mal dans leur peau. J’ai un sentiment d’échec et de lâcheté. Après tout, je suis bien contente que des enseignants fassent classe à mes propres enfants. Même si je me demande de plus en plus si je ne devrais pas chercher une alternative. Ai-je envie qu’elles suivent un système éducatif dans lequel moi-même je n’ai plus confiance ? Ai-je envie qu’elles soient confrontées à des élèves comme les miens ?
Mais je vis ma vie pour moi, aussi. C’est de ma santé mentale et physique qu’il s’agit. Je ne suis pas une sainte, ni une martyre, je ne recevrai pas de médaille pour mon sacrifice. Je ne veux pas continuer à assister au sabordage de l’École, et encore moins de risquer de sombrer avec elle.

CHARENTE EDUCATION NATIONALE ACTUALITÉ

 

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