Professeur Raoult : un dossier qui date de 2003

 

RAPPORT de MISSION Didier RAOULT 

Pré-rapport le 02 avril 2003

Rapport définitif le 17 juin 2003

http://www2.cnrs.fr/sites/thema/fichier/bioterrorisme03.pdf

Il y a 360 pages mais ces pages-là montrent déjà à quel point les "alertes" ne sont pas entendues. Et je comprends parfaitement l'attitude du Professeur Raoult à l'égard des gouvernants et de toutes les structures étatiques.

 

CONCLUSIONS Rapport de Mission Pr. D. Raoult 263

Le rapport actuel montre que le pays doit faire un effort pour gérer au mieux les crises en maladies infectieuses. Celles-ci restent une cause de mortalité importante dans le pays et les niveaux de résistance aux antibiotiques sont parmi les plus élevés du monde. La gestion des molécules antibiotiques est probablement la plus mauvaise du monde, avec des niveaux de prescription uniques : le pays est considéré comme le contre-exemple mondial sur l’utilisation des antibiotiques.

Notre politique de vaccination contre l’hépatite B est unanimement condamnée.

Chaque événement nouveau est géré en urgence, ce qui fait prendre des responsabilités considérables aux politiques, du fait de l’absence de démarche et d’organisation rationnelle. Cela a été le cas pour l’histoire du sang contaminé et pour la vaccination contre l’hépatite B. Cela a été le cas plus récemment pour la prévention des infections par le nouveau variant de la maladie de Creutzfeld-Jacob. Les terreurs modernes se cristallisent autour de quelques événements médiatiques, en négligeant les quelques dix mille personnes qui meurent d’infections nosocomiales par an dans le pays.

Enfin, le niveau d’équipement du pays en maladies infectieuses est embryonnaire. Cet état de fait est la conséquence de choix politiques. Les maladies infectieuses n’ont jamais été considérées comme étant une priorité politique. C’est ainsi que des efforts ont été spécifiquement faits pour le SIDA, puis pour l’hépatite C, sans comprendre que c’est l’ensemble des maladies infectieuses qui doit être géré d’une manière cohérente.

Les réponses données sont des réponses ponctuelles à un sujet donné, sans travail sur le fond. Cette absence de volonté politique claire s’associe à un déficit de financement. Un effort a été fait par le Président de la République pour créer un appel d’offres en microbiologie. Celui-ci est malheureusement devenu un appel d’offres tourné exclusivement, ou presque, vers la recherche fondamentale, en oubliant les problèmes pratiques posés à l’homme. Par ailleurs, son niveau financier n’était pas à la hauteur des enjeux.

Il faut noter qu’aux Etats-Unis, en 2003, seront consacrés près de 3,6 milliards de dollars à la recherche sur les maladies infectieuses, soit pratiquement autant que pour le cancer et 1,2 milliard 2, rien qu’au domaine du bioterrorisme, c’est-à-dire, plus que le budget de l’INSERM en France. Ceci donne le niveau des enjeux.

Ce sous-développement financier est associé à un sous-développement des installations. En effet, la plupart des laboratoires manipulent dans des conditions qui ne sont plus légales. C’est vrai pour les organismes génétiquement modifiés qui sont manipulés hors des laboratoires de sécurité. C’est vrai pour les microorganismes pathogènes qui sont manipulés dans les hôpitaux, dans les laboratoires, dans des conditions exposant ceux qui les manipulent à des infections. Même les laboratoires nationaux de référence ne manipulent pas dans des conditions légales !

Le niveau d’équipement des hôpitaux pour l’accueil des malades contagieux est bas. Enfin, il n’existe plus dans le pays d’instance qui puisse être consultée et qui soit crédible auprès du public, des médias et des gouvernants. Ainsi, on voit se développer dans la presse et dans le public une approche complètement irrationnelle des maladies infectieuses car il n’existe plus personne ayant la légitimité pour revenir à des données raisonnables.

Au total, nos capacités à répondre en terme de bioterrorisme et de maladies infectieuses doivent être renforcées. Le système n’ayant pas un éclairage politique clair, tous les lobbies sont en œuvre et, dans ce domaine, la recherche biomédicale a toujours été défavorisée. C’est ainsi que, dans le financement de la défense (dans l’armée), la proportion de ce qui est consacré à la bio-défense est particulièrement bas, car l’essentiel de la direction générale des armements est constitué de polytechniciens et que la capacité qu’ont les quelques biologistes à lutter contre ces groupes de pression est faible. Ceci se traduit par une faiblesse structurelle du pays.

Ainsi, de la même manière, au niveau des hôpitaux, les décisions d’équipement ne sont pas prises du fait de l’intérêt national mais du fait des arrangements locaux dans le cadre des CME, des directeurs d’hôpitaux et des syndicats. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant de voir que l’infrastructure basique des hôpitaux est complètement déficiente.

Ainsi, dans le cadre de la crise du bioterrorisme en 2001, sur les 4 plus grandes villes françaises choisies dans un premier temps pour traiter les poudres dans les CHU, une seule a été capable de le faire, dans deux il n’y avait pas de P3 (Lille et Lyon), dans la troisième, les P3 ont été réservés à la virologie par leur chef de service.

Enfin, il existe des conflits dignes de ceux rapportés dans la guerre des Gaules entre les différents ministères et les différents services des ministères. Certains responsables de service refusent de communiquer entre eux. La politique des uns est complètement obscure aux autres.

Certain développement demandé par telle structure de façon secrète ne bénéficie pas à l’ensemble du pays. Par ailleurs, il apparaît plus important de ménager les susceptibilités des uns et des autres que d’obtenir une réponse cohérente, efficace et active.

Je pense qu’il est essentiel d’avoir un discours politique fondateur, au plus haut niveau, autour de la lutte contre les maladies infectieuses, incluant le bioterrorisme et les maladies contagieuses. La lutte contre les maladies infectieuses est faite par la société entière. Elle fait appel à des éléments très profonds dans les relations humaines qui incluent l’hygiène, la circulation des personnes, la liberté, mais aussi l’organisation de l’ensemble des services. Seul, un discours politique fort sera susceptible de faire une priorité à la réorganisation et à la lutte contre les maladies infectieuses.

Pour pouvoir mettre en place quelque chose de stable, il faut se donner les moyens de comprendre, il faut organiser et il faut enseigner. Pour comprendre, il faut développer la recherche. Elle est actuellement éparpillée, mal financée, mal évaluée. Personne n’est capable de déterminer le financement que le pays consacre à ce domaine. Plus encore, la seule stratégie faite dans le pays pour se mettre en situation de répondre à un événement inattendu et dangereux (la construction d’un P4) a été réalisée par Monsieur MERIEUX sur des fonds privés et absolument pas par une politique de l’Etat. La France est le seul état à posséder un P4 privé ! L’armée, en particulier, n’a pas financé de P4. Il est intéressant de savoir que le coût d’un P4 est très inférieur à celui d’un avion de chasse ! (entre 1/5 et 1/10 de son prix !).

Pour organiser la réponse dans le domaine des maladies infectieuses, il serait utile de créer une cellule capable de coordonner les efforts des différents EPST, EPIC et des ministères de la santé, de la recherche et de la défense. A défaut de créer un équivalent de la branche du NIH consacré aux maladies infectieuses, il est souhaitable que le maximum des fonds et des moyens consacrés aux maladies infectieuses soit à terme géré par l’INSERM dans le cadre d’instituts autonomes fonctionnant comme des agences de moyens.

Il est essentiel de clairement indiquer à l’INSERM qu’une part de ses responsabilités se situe dans le domaine des maladies infectieuses et de la microbiologie appliquée. En effet, le pays a un retard considérable en biotechnologies et en thérapeutique et ces domaines doivent être privilégiés. Eventuellement, des appels d’offre spécifiques peuvent être réalisés dans ce domaine.

Il serait utile d’avoir une réflexion de fond avec l’Institut Pasteur actuel, qui est probablement à l’aube d’une phase nouvelle. Le service rendu au pays ne sera pas de même nature si l’Institut Pasteur se cantonne au 15ème arrondissement de Paris ou s’il décide de rayonner en rejoignant des structures plus larges et plus polyvalentes dans le pays, y compris à l’extérieur du 15ème arrondissement. En terme de recherche, et afin de permettre une certaine organisation, je propose la création d’infectiopôles, au même titre que les génopoles ou les cancéropoles qui, dans une première vague, devraient toucher Lyon, Marseille, Lille, Bordeaux, Montpellier et peut-être Toulouse. A Paris pourrait se créer un premier infectiopôle autour de l’Institut Pasteur et de la faculté Necker. Ces infectiopôles reprendraient une organisation rationnelle comprenant la recherche fondamentale, le soin, le diagnostic, l’épidémiologie et la valorisation sur un site géographique unique. La mise en place des moyens techniques et humains sur ces infectiopôles et celle de thématiques spécifiques joueraient un rôle majeur dans le réaménagement du pays.

Il faut créer, par ailleurs et rapidement, un appel d’air de 50 millions d’Euros, comportant des appels d’offres autour de la biotechnologie, incitant à la création de mini-entreprises de diagnostic et une partie de mises au point technique en réservant une partie raisonnable à la recherche sur le bioterrorisme afin d’attirer les chercheurs dans ce domaine particulier. Le tout est probablement à gérer dans le cadre d’un institut. Dans le domaine de l’organisation, il convient aussi de créer des ressources en terme d'expertise. Il faut d’abord créer une entité nationale en créant un équivalent de l’Institut Universitaire de France où des médecins de très haut niveau, sélectionnés grâce à un comité international sur leur activité scientifique, et nommés pour un temps limité pendant leur vie scientifique active, pourront donner des grands programmes d’orientation au pays, en attirant l’attention sur les déséquilibres ou les besoins nés de l’évolution de la connaissance. Par ailleurs, il est souhaitable d’introduire à tous les niveaux une véritable politique de recrutement des experts en définissant a priori quel est le domaine sur lequel on peut interroger l’expert et, deuxièmement, en vérifiant en pratique que l’expertise correspond aux besoins demandés.

Enfin, dans l’ensemble des services de l’état, qu’il s’agisse de l’armée ou de l’épidémiologie, il est indispensable de promouvoir une politique de production d’articles internationaux validés par des journaux à comité de lecture. Seule cette démarche (en dehors de ce qui est confidentiel défense) permettra d’augmenter le niveau des acteurs, non seulement de la recherche mais aussi de la surveillance et de ceux qui se destinent à l’expertise. Dans le domaine de l’organisation, l’Etat ne peut pas continuer à encourager le laisser-aller général. Sur le plan hospitalier, il faut préciser des objectifs clairs, en terme d’équipements, de maîtrise des infections nosocomiales, de contrôle de la résistance aux antibiotiques, de contrôle dans la prescription des anti-infectieux et de réactualisation des mesures dans le domaine de la prévention des infections nosocomiales. Il importe de créer sur chaque site de soins une structure correspondant au CLIN actuel, élargi aux problèmes de bioterrorisme et de gestion de la politique des anti-infectieux. La lutte contre les maladies infectieuses, les conditions d’isolement, l’état des laboratoires, la gestion des antibiotiques, la surveillance des maladies infectieuses et des résistances doit faire l’objet de projets hospitaliers de manière explicite. Il faut créer des centres d’isolement et de traitement des maladies infectieuses à Paris, Lyon et Marseille et développer la pratique d’analyse des produits suspects (y compris les poudres) dans les CHU des plus grandes villes (y compris Toulouse, Montpellier et l’Hôpital Necker à Paris). La surveillance des maladies infectieuses doit être amplifiée. L’évolution, ces dernières années, a été marquée par la mise en place d’une structure là où il n’existait rien. Il faut augmenter de manière très significative cette capacité de surveillance, en intégrant, dans un premier temps, des éléments qui ont fait leur preuve ailleurs, comme la pharmacosurveillance, la surveillance de la mortalité hebdomadaire par site et par âge.

Enfin, il faut remettre à plat le système de surveillance, en distinguant plusieurs niveaux : le premier celui de laboratoire de référence sur un microorganisme donné où les besoins sont essentiellement techniques ; deuxièmement, mettre en place des centres de surveillance par pathologie ou par syndrome, en ajustant les moyens épidémiologiques de surveillance et en s’appuyant sur les infectiopôles afin de permettre de détecter les pathologies anormales et de servir de centres de ressources pour le pays. Par ailleurs, il faut mettre en place les observatoires de résistance des microorganismes aux différents anti-infectieux. Certains existent déjà, d’autres sont à développer, y compris pour les agents viraux et les champignons. Enfin, il faut faire une mise à jour des centres de référence, incluant certains problèmes omis concernant le domaine du bioterrorisme ou non (mycoplasmes, Chlamydia psittaci, Burkholderia, la variole) ; d’autres sont peut-être tombés en désuétude ou ne nécessitent peut-être plus une surveillance aussi active (Trichinella).

Sur le plan de la déclaration obligatoire, il faut rendre obligatoire la déclaration de toutes les maladies susceptibles d’entrer dans le cadre du bioterrorisme, envisager avec le ministère de l’agriculture le signalement des agents potentiels de bioterrorisme animal et, vraisemblablement, rendre la déclaration obligatoire pour les maladies couvertes par un vaccin obligatoire ou recommandé afin de balancer en permanence le bénéfice et le coût de telle vaccination. Sur le plan vaccinal, il faut relancer une politique réelle de vaccination et mettre en place le remboursement des vaccins qui ont démontré leur utilité, y compris quand celle-ci s’adresse à des poches spécifiques (population précaire, voyages en pays d’endémie, personnel soignant). Il faut accompagner cette politique de vaccination de la création d’un centre de référence pour les vaccinations, en charge de collecter des données sur l’innocuité, d’informer le public et la presse, d’évaluer le taux de couverture de la population et de surveiller les réactions populaires à l’usage des vaccins.

Sur le plan des antibiotiques, il faut définir une politique ; l’état doit financer les études cliniques et mettre en place les moyens de tester et de développer les produits génériques. Les infectiopôles joueront un rôle important en réunissant dans les différentes régions les éléments nécessaires à une action intégrée. Il ne faut pas oublier la politique outre-mer. Actuellement, elle s'altère du fait de la professionnalisation de l’armée qui a vu fondre le personnel médical et scientifique temporaire. Il n’y a plus de grands hôpitaux fonctionnels ni de pôles de recherche scientifique internationaux dignes de ce nom, dépendant de la France à l’étranger. Les trois acteurs, les services de santé de l’armée, actuellement exsangues, l’IRD et les Instituts Pasteur d’outre-mer n’ont pas eu de politique commune. Il serait souhaitable de créer 3 infectiopôles dans le monde. Probablement, un dans l’Océan Indien, un en Afrique et un dans le Sud-Est asiatique, regroupant suffisamment de forces en présence (100 à 200 titulaires) qui permettraient une implantation durable en Santé et Recherche ; la formation d’étudiants pris localement ou en France pour réaliser une thèse dans les domaines tropicaux y serait favorisée. Ceci permettra la surveillance des pathogènes émergents, de participer à un maillage du monde par les structures de l’OMS et de maintenir une compétence dans la pathologie des voyages et la pathologie tropicale qui a été un des points forts de la connaissance dans notre pays et qui est en train de disparaître.

Enfin, il faut enseigner. Il faut faire des campagnes d’information auprès du public, mais aussi auprès du personnel soignant, sur les notions de base d’hygiène afin de relancer le nettoyage des mains dans les hôpitaux, le port de masques, l’isolement des patients contagieux. Vis-à-vis du public, il faut clarifier la situation par rapport à la vaccination, expliquer ce que sont les différents risques infectieux dans l’état actuel de la connaissance. Il faut inclure les maladies infectieuses et leur prévention dans les programmes scolaires, au collège et au lycée.

Enfin, dans les hôpitaux, il faut reprendre les éléments de base qui apparaissent oubliés dans la prévention des maladies transmissibles. Il serait aussi souhaitable dans le domaine médical, d’introduire dès la première année de médecine, les notions d’hygiène et de prévention des maladies infectieuses qui remplaceraient avantageusement les disciplines fondamentales. Au total, le pays a montré ces dernières années une capacité limitée à gérer les problèmes infectieux, ce qui entraîne qu’il est un des moins bien préparés à un problème d’épidémie massive. Seul un véritable effort politique comprenant la définition d’une priorité nationale, la mise en place de moyens financiers suffisants et la volonté de réorganiser et de coordonner l’ensemble des efforts, avec une relance de l’enseignement de base dans ce domaine, permettra de faire face aux risques à venir. Rapport de Mission Pr. D. Raoult 270 

 

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