Reflets du temps

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L'école

Ecrit par Thierry Ledru le Samedi, 19 Mai 2012. Dans Société, La une, Education

L'école

Je récupère mon garçon, lycéen et j’écoute sa semaine pendant la route.

Et je m’entends parler à mes parents, il y a trente ans.

Comment est-ce possible ? Comment expliquer que ces rapports conflictuels, que cette incommunicabilité, que cette distance effroyable entre de jeunes individus et des personnes matures puissent encore exister ? Comment justifier que les programmes soient toujours entachés de connaissances inutiles, totalement abstraites pour des esprits qui sont à des années lumières de ce qui leur est imposé, comme si en trente ans les adolescents n’avaient pas changé, que ce monde technologique n’existait pas, que cette effervescence de communication n’était pas entrée dans les têtes des technocrates qui maintiennent sclérosés un monde scolaire terriblement isolé.

Des notes, des contrôles, des sanctions, des rapports de force, des humiliations, des menaces, des insultes parfois… Des examens, des concours, une course au métier, une compétition acharnée, exacerbée par ces professeurs qui usent de leur bulletin scolaire comme d’une guillotine. « Marche ou crève ». « Il faut maintenir les statistiques pour le BAC et puis je vais bientôt être inspecté ».

Quelles sont leurs motivations, quelles sont leurs raisons d’être là ?


Tout ce que j’ai connu il y a trente ans. Comme si ce monde de l’Education Nationale et ses représentants n’étaient en fait qu’une forme de vie fossilisée, agitée de l’intérieur par des fantômes.

J’ai eu pourtant des professeurs qui m’ont marqué. Trois exactement. Un professeur de Français au collège, un professeur de Français au lycée, une professeure de philosophie en Terminale.

Combien y en a t-il que j’ai détestés et que j’ai fini par oublier ? Une cinquantaine…

C’est effrayant.

Léo raconte : Cours de français, Apollinaire et ses techniques d’absence de ponctuation. Léo est en 1ère S. La prof devrait tenir compte des centres d’intérêt de cette classe et adopter son cours, le rendre actif, participatif, tourner même en dérision l’insignifiance absolue de ces paramètres techniques de la poésie. Qu’elle ne soit pas capable de prendre conscience que sa classe se contrefiche de ce cours académique, de ces notes qu’elle récite depuis quarante ans et que les élèves doivent copier en vue du contrôle-surprise à venir, qu’elle fasse mourir dans la tête de ces jeunes toute éventuelle surprise et pourquoi pas intérêt pour la poésie, qu’elle en vienne à tuer la mémoire anarchiste d’Apollinaire qui serait écœuré de ce massacre, comment est-ce possible ?

Comment tout cela est-il possible ?

Que font-ils là ces professeurs ?

Comment expliquer que dans les sphères de l’Éducation Nationale, d’autres individus encore plus obtus, limités, circonscrits à leurs connaissances techniques aient pu accéder à des postes de décideurs ?

Comment justifier que des générations de collégiens et de lycéens continueront à être martyrisés par des rapports humains dignes d’une enceinte carcérale ?

Et ça n’est pas que Léo qui me parle de ce calvaire. Trente ans que je suis instituteur. Trente ans que j’entends d’anciens élèves vomir leur dégoût.

QUI A UNE EXPLICATION ?

Pour ma part, je dirais déjà qu’un prof qui entre dans ce métier par amour d’une matière scolaire, d’une connaissance, pour prolonger ce bonheur du savoir accumulé, celui-là se trompe.

On n’enseigne pas ce qu’on sait, on enseigne ce qu’on est. Et un prof se doit d’être avant tout un diffuseur d’humanité. Un prof qui ne sentirait jamais jaillir en lui, jusqu’aux larmes, ce bonheur de l’osmose des âmes, alors celui-là se doit de se retirer. Ou de grandir au lieu de le réclamer à ses élèves.

Un malaise cette nuit en repensant à cet état des lieux au lycée et par là-même au collège.

Trop simpliste, un amalgame réducteur et mensonger.

Ils existent ces professeurs qui œuvrent au bien-être de leurs élèves, qui n’entrent pas en classe comme s’ils montaient au front, qui parviennent à établir un lien existentiel et non seulement frontal et conflictuel.

Mais que s’est-il passé à l’école maternelle et à l’école primaire pour ces élèves dont ils ont un jour la charge ?

Depuis combien d’années déjà souffrent-ils pour certains et certaines de jugements péremptoires et systématiquement transmis aux enseignants, classe après classe, comme s’il n’y avait aucune progression possible, comme une condamnation à perpétuité. « Ne peut rien faire de mieux… »

Ça ne sera pas marqué dans le dossier scolaire (quoique…) mais ça sera vécu ainsi, jour après jour, à travers des humiliations répétées, des sanctions, des mises à l’écart, des réflexions assassines. Une accumulation sans fin.

Jusqu’à l’arrivée de l’adolescence où les forces intérieures ne seront plus contenues, où cette colère amassée comme une marée derrière une digue emportera tout sur son passage. Il y aura d’abord une brèche, une faille dans le mur et puis si rien n’est fait pour colmater l’ouvrage, si aucun adulte ne parvient à apaiser, à aimer, à comprendre, à entendre, à ressentir le drame qui couve, tout finira par céder.

Et il n’y aura plus jamais cette confiance indispensable pour grandir.

L’école élémentaire porte une part de ce drame. Il serait trop facile de se satisfaire de la soumission provisoire des enfants et de reporter la faute sur le secondaire. Nous sommes, instituteurs et institutrices, les ouvriers de cette plénitude ou de ce tsunami à venir.

Je ne parlerai pas du cadre de vie, celui de la campagne ou celui des banlieues, ni du cadre social, celui du fils de notaire ou celui du Rmiste, ni du cadre familial, celui du couple unifié et aimant ou celui de parents déchirés et haineux, je ne parlerai pas de l’image effroyablement déstabilisante d’un monde moderne n’ayant aucun ancrage, aucune ligne directrice sinon celui d’une folie consumériste et matérialiste, je ne parlerai pas des problèmes insolubles qui sont constamment jetés en pâture à des enfants ou des adolescents qui n’ont aucun pouvoir de changement, qui ne sont que les victimes impuissantes de ces images choisies intentionnellement par des adultes conspirateurs et cupides.

« Nous voulons des cerveaux vides et mous pour les emplir d’images qui rapportent ». Les propos, dans l’idée, à quelques mots près, de Patrick Le Lay, ancien PDG de TF1.

 

http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=4S20kG2MoxI

 

Ces enfants puis ces adolescents seront un jour les adultes qui attaquent au sabre un commissariat, défenestrent leur compagne, étouffent leurs enfants, empoisonnent leur famille, exécutent, découpent, carbonisent, dévorent ou s’immolent dans une cour de lycée…

D’autres seront aimants, amants, attentionnés, respectueux, équilibrés, rieurs, lucides, conscients, ouverts, humains tout simplement.

Tout se jouera, ou en partie en tout cas, dans ce cadre étroit et douloureux ou magnifiquement ouvert des écoles, des collèges, des lycées…

C’est bien pour cela que ça n’est pas un métier, c’est bien plus…

 

Thierry Ledru

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