Réforme du collège

Fluctuat nec (pas encore) mergitur

Réforme du collège, un gâchis de temps et d'énergie

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     Lucie Martin
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  • Publié le 19/07/2017. Mis à jour le 19/07/2017 à 11h08.

 

 

L'année est finie. L'heure du bilan ? Une chose est sûre, je jette les injonctions du ministère, je me concentrerai sur ce qui est important : l’intérêt de mes élèves, leur culture, leur avenir.

Finie. Cette année est finie, terminée. Je commençais à douter que cela arrive un jour.

En faire un bilan ? Si vous avez un peu suivi ce blog, vous savez qu’il ne serait que négatif. Bien malgré moi. Je savais que ce serait une année de réforme mais, comme on dit, « j’en ai connu d’autres ». Non, en fait, des réformes comme celle-ci, je n’en avais jamais connu dans ma vingtaine d’années de carrière. L’impression que j’en retiens ? Celle d’un immense gâchis. Gâchis de temps, d’énergie. Nous avons passé des semaines, des mois, à tenter d’obéir à des injonctions mal pensées, inabouties. J’espère que les hauts fonctionnaires qui sont responsables de tout cela ont un peu honte, quand même, juste un peu. Je sais, c’est bien trop demander. Je pense même qu’ils sont plutôt fiers des économies réalisées qui étaient, après tout, leur unique but.

Je suis atterrée des messages que nous envoient dans nos boîtes mails académiques les ministres, les recteurs, qui nous congratulent et sont, devant les caméras, plein d’admiration pour notre fonction. Ils pourraient avoir au moins la décence de se taire, quand leur fonction ne consiste manifestement qu’à exiger toujours plus de nous sans la moindre reconnaissance, quelle qu’elle soit.

Le pire, c’est qu’il y avait des idées intéressantes, dans cette réforme, mais qui ont été imposées de façon tellement dogmatique et inaboutie que le rejet par les enseignants fut presque total. Les projets réalisés en EPI (Enseignements Pratiques Interdisciplinaires) sont en soi intéressants, mais uniquement si les équipes enseignantes sont volontaires. Sous la contrainte, comme cela a été mis en place, cela dessert tout le monde, les élèves en premier. L’aide personnalisée… Magnifique concept ! Qui ne reste pour beaucoup qu’un concept : qu’est-ce qui peut être personnalisé face à un groupe de trente élèves ? Quant au fameux débat « notes/compétences », que le ministère prenne une décision une fois pour toutes et qu’il l’assume ! Au nom de la fameuse « liberté pédagogique », plus personne ne prend la moindre décision et tout devient un vaste foutoir.

Non, je ne suis pas « super prof ». Enseigner est mon métier, pas mon sacerdoce. Non, je ne sacrifierai pas ma vie familiale et sociale à l’Education nationale. Si, voyez-vous, quand je mesure ce que l’institution attend en réalité de nous, c’est une abnégation totale. D’ailleurs, quand j’observe autour de moi les enseignants qui parviennent à mettre en œuvre cette nouvelle pédagogie, je constate qu’ils ont souvent des profils similaires : soit des gens sans enfants totalement dévoués à leur fonction, soit des bourreaux de travail. Dans les deux cas, ils n’ont d’ailleurs quasiment aucune reconnaissance de leur hiérarchie. Alors à quoi bon ? L’intérêt des élèves ? Pardon, mais l’intérêt de mes propres enfants passe bien avant. Vous trouvez que je suis une mauvaise prof ? Je préfère cela au fait d’être une mauvaise mère.

Et si certains veulent me citer ceux qui parviennent à tout concilier, à être à la fois un excellent enseignant à la pointe, une mère admirable, une épouse comblée, une amie fidèle, etc. je vous répondrai que oui, nous en connaissons tous. Que celle à laquelle je pense parvient en plus toujours à assortir son sac à main, ses chaussures et son impeccable rouge à lèvres. Et que cette prof-là, on aimerait pouvoir la haïr, mais qu’en plus elle est éminemment sympathique et que c’est presque pire. Oui, nous en connaissons tous. Je ne suis pas comme cela, désolée, et je constate que la plus grande partie de mes collègues est, hélas pour la collectivité, aussi imparfaite que moi. Si l’Education nationale ne veut plus que des super profs, leurs problèmes de recrutements risquent encore de s’aggraver…

Alors, cette année, j’ai renoncé. Non, je ne démissionne pas. Je crois que si j’en avais les moyens financiers, je l’aurais fait. C’est assez dommage, car j’ai la chance d’avoir de bons rapports avec mes élèves, et de toujours adorer enseigner. Mais, que voulez-vous, dans l’Education nationale, ce sont les adultes que je trouve insupportables. Bref, n’étant pas une riche héritière et ne jouant pas au loto, je reste. Mais je tourne une page : l’année qui arrive ne sera pas la même que celle qui vient de s’achever, je ne le supporterais pas. Je jette par-dessus bord les injonctions du ministère, je ne lirai plus le Bulletin officiel, j’acquiescerai sans écouter lors des réunions, et je me recentrerai sur ce qui est important : mes élèves.

Adieu prédicat, thématiques, compétences, EPI, LSU et autres sigles aussi changeants que la Méditerranée. Je vous croiserai peut-être au détour d’une navigation, mais vous ne serez plus le cap à suivre. J’ai tangué cette année de Charybde en Scylla, trop écouté le chant des Sirènes faussement pédagogiques, failli sombrer dans le désespoir tel Ulysse accroché à son rocher au large de la Phéacie. Je ne dois pas oublier mon unique but, mon Ithaque : l’intérêt de mes élèves, leur culture, leur avenir.

L’année qui s’annonce sera définitivement tout autre que celle que je viens de subir.

En espérant sincèrement que cela ne reste pas un vœu pieux, au même titre que les fameux « bon, cet été, on limite les apéros ! », « on va les écrire, ces vingt cartes postales » et « je vous préviens les enfants, cette année, vous allez finir vos cahiers de vacances ! »
Très bel été à tous.

 

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