Une exploration nécessaire

A coeur ouvert 1

Une matinée pour trouver de la lecture. Il reprenait son train en début d’après-midi. L’hôpital avait appelé. Rien à signaler.

Il errait piteusement dans les allées de la librairie sans savoir même ce qu’il cherchait. Il avait bien inspecté les têtes de gondoles mais il n’était tombé que sur des romans grand public, des histoires d’amour ou de truands ou d’assassins, des noms d’auteurs célèbres qu’il avait vaguement entendus parfois à la radio. Il avait regardé discrètement ce que les clients achetaient et s’était demandé à quoi servaient toutes ces étagères qui restaient oubliées. L’impression que le marché se limitait à ces fameuses têtes de gondoles. Il aurait dû demander de l’aide à un vendeur mais il ne savait même pas comment l’aborder.

« Bonjour, je cherche un livre qui me dirait pourquoi j’ai l’impression de n’être plus moi. »

Sûr que le vendeur le dirigerait vers le rayon psychiatrie.

Il continua à s’enfoncer vers les profondeurs du magasin. Cuisine, bricolage, voyages, politique, sport, histoire du monde, philosophie.

La catégorie l’interpela. C’était peut-être là. Il sortit un exemplaire au hasard.

« Les grands philosophes »

Il lut un passage. Un désastre. Dix termes inconnus en cinq lignes. Des tournures de phrases qui lui étaient incompréhensibles. Il reposa l’exemplaire et continua à avancer. 

« Religions. »

Non, la religion ne répondrait pas à ses questions. Il en était persuadé. La religion apportait des réponses avant même d’écouter les questions. Il avait détesté les messes que ses parents lui avaient imposées jusqu’à son adolescence, jusqu’à ce qu’il parvienne à se rebeller.

Il continua à s’enfoncer en terre inconnue.

Une étiquette placée sur le devant d’un rayon l’arrêta.

 « Développement personnel. »

Il fut surpris par l’existence d’un tel registre, il pencha la tête et lut fiévreusement les différents titres. Un panel de mots se constitua peu à peu. Conscience, éveil, quête spirituelle, esprit, soi et moi, peur, souffrance,  conditionnements… Il finit par sortir certains ouvrages, enflammé par sa découverte, il sentait les battements de son cœur, un emballement qui le ravissait. Un cœur machine qui s’affole quand le cerveau pense à la spiritualité. Il s’en amusa quelques secondes. L’impression diffuse qu’il ne s’agissait pourtant que de son imagination et que son cœur restait imperturbable. Il posa certains livres sur l’extrémité du présentoir et continua sa progression dans la file. Il ne connaissait aucun auteur et ne s’en étonnait pas. Il prit un peu de recul et s’aperçut que le registre qu’il consultait s’étendait sur dix bons mètres et six étagères. Il retourna rapidement à l’entrée du magasin et inspecta les livres présentés. Il ne décela aucun ouvrage susceptible d’entrer dans la catégorie du développement personnel. Une incompréhension. La cuisine, les thrillers du moment, du bricolage, les stars people qui racontaient leurs vies, les politiciens qui arrondissaient des fins de mois déjà copieuses, les derniers prix littéraires… Mais que faisait-on du cheminement intérieur ? S’il existait une telle profusion d’essais, de romans, d’autobiographies, de comptes-rendus de conférences, de dialogues entre chercheurs de sens, il devait bien exister une clientèle ? Qu’y avait-il donc de plus important que cette exploration personnelle ? L’art devait-il constituer un soutien à la futilité ou aux dérives égotiques ? Lui savait où ça l’avait mené. Devait-il le crier dans le magasin ? Une colère qui gonflait, comme un gâchis à dénoncer.

Il sortit un ouvrage conséquent.

« Inconnaissance de Soi » Diane Constance.

Sur la quatrième de couverture, une photographie en couleur. Il hésita quelques secondes tant la surprise était de taille. Mais, c’était bien elle.

L’épicière de la Godivelle.

Il rangea tous les livres qu’il avait sortis, fonça vers la caisse, paya et se retrouva dans la rue. Il héla un taxi et se fit ramener à l’hôtel.

        

Ordinateur portable, moteur de recherche : Diane Constance. Journaliste, écrivain, conférencière, de multiples participations à des revues diverses, le développement spirituel comme ligne de conduite. A vécu à Paris. Trois ouvrages :

« Inconnaissance de Soi »

« Plénitude de l’unité »

« Le voyage intérieur »

Pas d’autres informations, une photographie datant d’une dizaine d’années. Il reconnaissait un quartier de Notre Dame. Aucune explication sur son départ de Paris, ni depuis combien de temps. Il revint sur la page d’accueil du moteur de recherche et tomba sur un site personnel. « Là-Haut. »

Une musique démarra. Johann Johansson. Il ne connaissait pas. Très doux, cristallin, des violons mélodieux, synthétiseur. Il ignorait tout de la musique en dehors des tubes qu’il pouvait entendre parfois à la radio. Le poids de toutes ces ignorances culturelles devenait insupportable et il en venait à se dire qu’il n’aurait pas le temps de les combler. 

Il s’appliqua à lire quelques articles et au fil des phrases, il sentit la transpiration tâcher ses aisselles. Il avait chaud, une sensation intérieure. Une certaine incompréhension. Aucun effort physique et pourtant des phénomènes inhérents, totalement contradictoires avec un cœur artificiel. Le cardiologue lui avait expliqué que les rougeurs du visage, les émotions et ses effets physiologiques, la transpiration, les mains moites, tous les troubles associés, il en était débarrassé, et pourtant cette lecture semblait l’atteindre d’une façon profondément humaine. Il abandonna toute tentative d’explication. Ce désir d’enlacer l’épicière dès qu’elle était apparue, c’était absurde, inconvenant, incompréhensible. Il bougea la tête pour sortir de sa catalepsie intérieure. Il se leva pour se servir un verre d’eau puis il reprit sa lecture. Un article paru dans une revue à visées philosophiques, « Troisième millénaire »,  et qu’elle avait mis en ligne sur son site.

LE LIBRE ARBITRE

« Dans le déroulement de vie d’une personne, on peut considérer que l’éducation favorise l’émergence de trois paramètres : la culture s’impose en premier lieu, elle se renforcera dans certains domaines pour devenir une  connaissance stable. Puis, dans certains cas et pour certaines personnes, viendront prendre place les convictions. D’autres resteront engagés dans des voies fluctuantes, au hasard des expériences et des rencontres. Ni conviction, ni connaissance mais juste un vernis culturel.

Un petit enfant africain, un petit enfant européen ou un petit enfant asiatique n’auront pas le même bagage culturel, leurs connaissances et leurs convictions seront influencées par cet environnement culturel.

Dès lors se pose le problème du libre arbitre…

   «La notion de libre arbitre, synonyme de liberté, désigne le pouvoir de choisir de façon absolue, c’est à dire d’être à l’origine de ses actes. »

Mais si nous gardons à l’esprit les influences environnementales, est-ce qu’il est possible d’envisager ce libre arbitre ?

Ne sommes-nous pas plutôt fondamentalement « enfermés » dans des fonctionnements qui nous échappent ?

Le libre arbitre ne nous est-il pas retiré au fur et à mesure de notre avancée, au fil des expériences de vie ?

Ne s’agirait-il pas davantage d’une liberté originelle à ne pas perdre ?

Un sujet qui se voudrait libre est sensé pouvoir choisir de lui-même, sans être poussé à l’avance d’un coté ou d’un autre par quelque influence ou cause que ce soit. Si l’individu « choisit », c’est qu’il dispose de plusieurs options et surtout qu’il bénéficie d’un complet contrôle de lui-même. Il se doit d’être « vierge » de toutes influences… Mais est-ce que c’est possible ? Ne devrait-on pas apprendre à identifier clairement l’ensemble de ces influences afin de s’en détacher et de pouvoir assumer dès lors l’intégralité du choix ? La complexité des conditions de vie, les relations sociales, le poids du passé, l’intégration professionnelle, le formatage intellectuel, cette culture imposée ou cette inculture néfaste ne maintiennent-ils pas insidieusement un détournement de l’esprit, une direction donnée ? Les conditions objectives n’enferment-elles pas l’esprit dans un conditionnement subjectif ?

Sur quoi repose la notion de libre arbitre ? N’est-il pas simplement une certaine forme de prétention, un déni de l’enfermement ?

Est-il si évident, par exemple, que nous ayons un contrôle sur nos pensées et nos émotions ? La plupart de nos supposées « actions », ne sont-elles pas en réalité des réactions mécaniques qui répondent à autant de facteurs intérieurs (émotions, préjugés, culture, histoire personnelle…) et extérieurs (les circonstances) que nous ne contrôlons pas ? Et ces supposées pensées ne sont-elles pas toujours la résultante de pensées antérieures, juste la croissance entretenue des entraves ? Le mental peut aussi devenir boulimique. Comme on nous a appris à faire de lui le seul élément capable de trouver les solutions et que l’ego est sans cesse en recherche de sécurité, les pensées deviennent l’unique point de repère. On est couché, prêt à passer une bonne nuit de sommeil, on éteint la lumière et la ronde des idées commence. L’un après l’autre, tous les soucis vont se présenter et le mental va vouloir traiter, penser, échafauder des hypothèses. Alors, on tourne, on vire, on cherche une position pour s’endormir et plus on cherche, moins on trouve. Il n’y a pas d’interrupteur interne. On va lutter contre ces pensées et simultanément en créer d’autres. Un somnifère, compter des moutons, tous les subterfuges finiront par être testés. Aucun progrès évidemment, juste des palliatifs provisoires.

 

Prenons l’exemple d’un arbre au milieu d’une forêt. Bien sûr qu’il continue à pousser et à se dresser vers la lumière mais son environnement influe sur cette croissance. La proximité des autres arbres, le climat, l’intervention humaine, un accident de parcours dans une tempête redoutable. Il n’existe pas de croissance libre.

La multitude des expériences de vie et mon environnement immédiat et même planétaire conditionnent mon évolution. Et l’ensemble de mes pensées n’est qu’un courant agité par cet environnement lui-même.

Si je remonte encore plus loin vers la source ou vers la graine, je n’ai même pas choisi ce que je suis. Je n’ai pas choisi délibérément ma naissance. Est-il envisageable de parler de liberté innée ?

Il ne peut s’agir que d’une liberté qui s’acquiert. Ou plutôt de la désintégration progressive de tout ce qui peut porter atteinte à la liberté qu’il faut gagner...

Disons qu’il n’y a aucune liberté. Mais qu’il est possible au fil du temps d’en acquérir.

Mais en écrivant cela, j’entre déjà dans le domaine des convictions et j’y perds ma liberté de penser… »

 

Un choc immense.   

Il fallait qu’il rentre. Il aurait aimé prendre un avion. On le lui déconseillait pour l’instant. Trop de risques en cas d’urgence. Son train partait à quinze heures trente-neuf. Il ne serait pas à la Godivelle avant la fermeture de l’épicerie. Il devait se contenter pour l’instant de lire l’ouvrage. Et c’était déjà immense. Il réalisa soudainement qu’il était entrain de sourire et il était incapable de retrouver dans sa mémoire la trace récente d’un tel évènement.

Il devait rejoindre la gare. Taxi. Les éternels embouteillages. Il repensa aux routes silencieuses des Monts du Cézallier.

Il s’installa dans le hall d’attente, il prit le livre et scruta de nouveau la photographie. L’épicière… Le regard était toujours aussi intense, aussi profond et lumineux, des lèvres charnues, un sourire éclatant, une joie de vivre communicative. Elle avait de longs cheveux bruns, très fins. Là, au moins, il se permettait de la dévisager longuement.  

 

Son train arriva. Il s’assit dans le compartiment, sortit son ordinateur et l’alluma. Il retourna sur le site de Diane.

Musique et diaporama, des photographies de paysages lointains, des montagnes, des plages, des déserts et des forêts, des villes aussi, des visages d’enfants. Elle avait certainement beaucoup voyagé.

Il parcourut la page d’accueil et cliqua sur un titre de livre. Plusieurs chapitres s’affichèrent. Il se laissa guider par le hasard.

 

 

 INCONNAISSANCE DE SOI. 

« Ai-je un corps ou suis-je mon corps ? »

 

Si je parviens à répondre à la question, il aura bien fallu que j’aille chercher la réponse en moi, c'est-à-dire dans l’antre qui contient ma conscience. Je ne peux concevoir que cette conscience, ou cette raison, soit une entité extérieure que je vais saisir dans mon environnement pour m’en servir. Ma conscience est incarnée. Ma réflexion est inséparable de mon corps, elle y est enracinée comme dans une terre. Mon corps est par conséquent un support, une enveloppe mais il est aussi un « filtre » par lequel toutes les expériences viennent à mon cerveau. Si je peux penser à mon corps, c’est bien parce que je le ressens, je le perçois, j’en reçois également une image. Par contre, il est évident que cette image évolue avec le temps et l’accumulation des expériences. Ce corps n’est pas figé et la conscience que j’en ai fluctue.

Mon corps n’est pas mon être.

Je ne suis pas seulement ce corps, comme une pierre est une pierre, mais je dispose d’une capacité consciente à « m’extraire » de ce corps pour l’identifier. Ma conscience est par conséquent indépendante de ce corps, elle ne lui est pas seulement inhérente, elle n’est pas intrinsèquement englobée, elle a un pouvoir d’auto réflexion. Elle reçoit les informations reçues par le corps, elle les analyse mais elle a en plus la capacité à conscientiser ce processus. J’ai conscience de ma conscience. Elle n’est pas qu’un récepteur comme peut l’être un ordinateur en état de marche, elle a également le pouvoir d’observer l’expérience et  l’expérimentateur. »

 

Un bouleversement cataclysmique. Une envie foudroyante de pleurer de bonheur. Il tourna la tête vers la fenêtre et se laissa hypnotiser par les paysages. Il fallait qu’il se calme. C’était incroyable, stupéfiant, inconcevable. Une coïncidence qui relevait du surnaturel. Et lui revenait de nouveau en mémoire cette invraisemblable envie d’enlacer Diane à sa première apparition, comme s’il venait de retrouver quelqu’un de cher… Cette idée qu’il connaissait déjà le parfum de sa peau. Non, c’était impossible, il ne devait pas perdre pied, il devait se raisonner, c’était juste un hasard inhabituel, un peu surprenant, mais rien d’exceptionnel. Elle était journaliste, elle écrivait des livres, ses textes lui parlaient au cœur…

« Mais, bon sang, tu n’as pas de cœur ! » se fustigea-t-il intérieurement. Arrête tes conneries. Tu vas tomber amoureux, c’est ça ? Et qu’est-ce qui en toi va aimer ? Une pompe artificielle ? Ton cerveau ? Tes intestins peut-être ! »

Une colère soudaine, comme si tout ça prenait une dimension insupportable, l’impression de ne rien contrôler et que la vie l’emportait où elle voulait.

« Et voilà, c’est la vie qui est responsable maintenant. C’est facile comme ça ! Tu deviens neuneu mais ça n’est pas de ta faute. »

Il ne pouvait même pas dire s’il avait réellement aimé Alice un jour, ni même s’il aimait Chloé. Il avait aimé l’argent et le pouvoir, il avait aimé son travail et ne l’aimait plus. Il avait fondamentalement aimé les images de lui-même que ce pouvoir lui procurait. Il n’avait existé que dans ces ersatz de vie artificielle. Qu’est-ce qui avait disparu ? Non pas les thèmes, ceux-là, il les avait identifiés mais le contenant, quel récipient lui avait-on ôté ? Et quel était donc cet amour versatile ? S’agissait-il vraiment de ça ou d’une illusion d’amour ? Son cœur avait-il emporté avec lui la source de ce bonheur ? Mais alors, d’où lui venait désormais cet amour pour le silence, la solitude, les grands espaces ? Et ce désir impétueux de lire ? Ce cœur artificiel ne pouvait délivrer la moindre émotion. Le cerveau avait-il pris le relais ? Mais alors pourquoi lui avait-il fait varier intégralement le chemin emprunté ? Pourquoi ressentait-il cette attirance flamboyante pour Diane ? Était-ce l’étrangeté de son parcours, de journaliste parisienne à épicière dans un coin perdu de France, était-ce la profondeur de ses écrits et de cette démarche spirituelle qu’il avait jusqu’alors totalement ignorée ? Étrangeté… Oui, c’était bien le mot qui convenait. L’étrangeté de ce soi révélé. Comme un immigré qui aurait investi la place. De quel lieu secret venait-il ?   

Une vie artificielle. L’expression s’imposa de nouveau. Un cœur artificiel était venu valider cette réalité. Il pensa soudainement à ces athlètes handicapés, amputés ou frappés dès leur naissance par une malformation incurable. Ils portaient une prothèse, deux parfois et sublimaient leur existence au-delà de l’imaginable. Il avait vu cet athlète sud africain qui participait aux jeux olympiques des valides alors qu’il courait avec deux prothèses. Un reportage, toute sa vie, il avait eu du mal à supporter la vision de ses deux moignons lorsqu’il retirait son harnachement, ce corps tronqué de petit garçon. Et pourtant, de le voir courir, déclenchait en lui une émotion d’une puissance rare.

Il tenta de retrouver les premières émotions qu’il avait éprouvées après la greffe.

La peur ? Elle avait disparu. Les chirurgiens étaient très satisfaits et il devait lui-même faire un effort d’imagination pour se représenter dans sa poitrine ce cœur fabriqué. Il n’y avait que le système électrique extérieur qui lui rappelait sa présence.

La colère ? Elle avait disparu. Le mal était fait, il avait été opéré, il était vivant, il restait à voir la suite.

La dépression, l’abattement, le désespoir au regard d’une vie envolée ? Non, il avait éprouvé un certain soulagement, quelque chose d’inexplicable, comme un naufragé ayant perdu ses proches et tous ses biens, un survivant ayant nagé pendant des jours et des nuits et atteignant enfin le sable d’une plage. Seul au monde, privé de tout. Mais heureux d’être en vie. Incapable même de regarder derrière soi, de chercher une autre trace de vie, le signe d’un semblable. Le champ de ruines dans son dos n’avait plus aucun attrait. Il aurait été incapable de reprendre l’entreprise. Il avait su quelques jours après l’opération qu’il allait tout quitter. Physiquement, matériellement, dans la vie quotidienne. Le chemin intérieur était déjà entamé. Il savait que personne ne le comprendrait. Lui-même n’expliquait rien. C’était comme ça. Une rupture totale.

L’apparition foudroyante de cette conscience. Comme si cette perte de son intégrité physique avait abattu une muraille. Ce corps en action agissait comme un étouffoir, un hallucinogène illimité, une dépendance maintenue, renforcée, volontaire, mais une volonté aveugle, un rêve nourri par l’agitation permise par ce corps auquel il s’était identifié, sans aucun retour sur soi, aucun regard intérieur, une perdition adorée dans un environnement matériel, des valeurs associées à l’élaboration constante d’enluminures. Il s’était abandonné, corps et âme, à sa condition sociale jusqu’à en perdre totalement de vue son existence réelle. Son corps n’était en rien responsable, il n’était qu’un ouvrier auquel avait été attribuée la conduite du chantier et il avait agi en ouvrier modèle. Être le meilleur, être en haut de la hiérarchie sociale.

Quelque chose le gênait dans cette réflexion. Son corps ne pouvait pas avoir d’objectif en lui-même. C’était comme accuser une automobile d’avoir quitté la route. Il y avait nécessairement un conducteur. Mais si ça n’était pas cette conscience dont il jouissait désormais, qui donc pouvait l’avoir aveuglé à ce point, aussi longtemps ?

Diane écrivait qu’il s’agissait d’entités ignorées. 

Il lut encore quelques pages et éprouva le besoin de dormir, comme un explorateur fatigué.

 

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