Accident ischémique transitoire
- Par Thierry LEDRU
- Le 20/08/2025
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Je ne sais plus quand c'est arrivé. Je devais avoir environ quarante ans. Le trouble principal a pris la forme d'une diplopie binoculaire, sans que ça soit exactement ça. Très troublant et désagréable. Quand je tendais mon bras devant mes yeux, je voyais deux mains et elles étaient à trois kilomètres. Impossible de les fixer. Un vertige très puissant.
Un caillot de sang s'est baladé dans les tuyaux.
Mon médecin généraliste m'a envoyé passer un examen. Rien n'a été décelé. Il aurait fallu passer des examens plus approfondis mais j'ai laissé tomber. J'ai lu quelques documents sur le phénomène. Et puis, je ne m'en suis plus occupé.
Mes parents ont tous les deux été victimes d'un AVC à un an d'intervalle. Et quand je vois dans quel état ils sont aujourd'hui (tous les deux en fauteuil roulant, mon père aveugle, démence sénile, perte totale d'interactions sociales, ils ne savent plus qui je suis, ma mère appelle la sienne à longueur de journée, grabataire etc...), je me dis qu'il ne faut surtout pas que j'arrête la montagne, le vélo, le trail, le ski de rando, le skating, tout ce qui fait pulser mon coeur et en espérant qu'un jour, tout va lâcher d'un coup sec.
Mourir debout, dehors, là-haut, en pleine conscience, que je puisse au moins profiter de ce moment unique. Peu importe l'âge auquel ça arriverait. Peu importe les conditions. Mais mourir debout. C'est tout ce que je souhaite. Et vivre totalement d'ici-là.
Qu'un médecin vienne me dire que je dois relâcher, que je suis un client à risques et patati et patata et je lui répondrai que c'est mon choix. Je n'ai aucunement le projet de durer le plus longtemps possible.
Je me souviens de cette femme de 84 ans, retrouvée morte en montagne, dans un secteur peu fréquenté. Elle était partie seule, sans prévenir personne. La famille a fini par s'inquiéter et des recherches ont été lancées. Deux randonneurs ont finalement trouvé le corps, près d'un lac d'altitude.
Evidemment, les donneurs de leçons s'en sont donnés à coeur joie : "On ne va pas en montagne, tout seul, la montagne c'est dangereux, encore une facture salée pour les secours, on devrait faire payer la famille" et patati et patata...Les hyènes sont moins puantes.
Cette femme connaissait très bien la montagne. Elle n'est pas tombée. Elle s'est éteinte. Elle est montée au plus haut, là où ses forces pouvaient encore l'amener. Il faut imaginer le paysage sur lequel elle a fermé les yeux.
Je ne me souhaite rien d'autre que ça.
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