Agriculture et élevage : impact environnemental
- Par Thierry LEDRU
- Le 02/03/2023
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Salon de l'agriculture :
quel est l'impact de l'alimentation sur l'environnement (et comment le réduire) ?
Article rédigé par
Thomas Baïetto - Brice Le Borgne
France Télévisions
Publié le 28/02/2023 06:06
Temps de lecture : 10 min.
L'alimentation et l'agriculture sont l'une des causes des crises environnementales. (ASTRID AMADEU / FRANCEINFO)
A l'occasion du Salon de l'agriculture, qui se tient à Paris jusqu'au 5 mars, franceinfo fait le point sur le lien entre la façon de se nourrir et les crises écologiques.
Réchauffement climatique, destruction de la biodiversité, pollutions diverses... Notre assiette est au carrefour des crises environnementales. Le système agricole et la pêche, qui permettent de la remplir au quotidien, sont à la fois l'une des principales causes de ces bouleversements et leurs premières victimes, comme le montrent les sécheresses de ces dernières années ou l'effondrement de certains stocks de poissons. C'est aussi de là qu'une bonne partie des solutions émergeront.
A l'occasion du Salon international de l'agriculture, qui s'est ouvert samedi 25 février à Paris, franceinfo vous explique comment notre alimentation grignote l'environnement et suggère des pistes pour améliorer la situation.
Quelles sont les conséquences de notre alimentation sur le climat et la biodiversité ?
C'est le sujet qui fâche. Notre alimentation, via l'agriculture et la pêche, joue un rôle central dans la destruction de notre environnement. L'agriculture fait partie des principaux secteurs émetteurs de gaz à effet de serre (GES), ces fameux gaz qui réchauffent notre climat. Elle est aussi, de loin, la première cause de déforestation (près de 90% selon la FAO*, l'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agiculture. En Amazonie, la forêt est coupée pour installer des cultures ou faire pâturer des bovins. Les élevages de ruminants et les rizières rejettent du méthane, un puissant gaz à effet de serre. Et les engrais azotés dégagent du protoxyde d'azote, un autre GES.
Au niveau mondial*, l'agriculture pèse 18,4% des émissions, c'est moins que l'industrie (29,4%) mais davantage que les transports (16,2%). En France, elle représente 19% de nos émissions, à égalité avec l'industrie.
Ce que nous mangeons est également relié à toutes les principales causes de disparition de la biodiversité : le changement d'usage des sols, avec la déforestation ; l'exploitation directe, avec la pêche, le réchauffement climatique ; les pollutions, avec les pesticides ou les nitrates, et les espèces invasives. Directeur de recherche à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), Michel Duru décrit un cercle vicieux provoqué par la simplification de notre alimentation, qui ne repose plus que sur une poignée de cultures, comme le blé ou le maïs. "Le fait qu'un tout petit nombre d'espèces, comme les céréales, soient cultivées sur de grandes surfaces conduit à un effondrement de la biodiversité dans les paysages, explique-t-il. Il n'y a plus le gîte et le couvert pour les ennemis naturels des ravageurs de ces cultures et le sol s'appauvrit". Cette situation conduit les agriculteurs à "utiliser davantage d'engrais et de pesticides", deux éléments qui vont à leur tour aggraver la perte de biodiversité.
L'impact de l'agriculture ne se résume cependant pas à ces dégâts. Les prairies permanentes, utilisées pour certaines formes d'élevages, stockent du carbone, comme les forêts. Avec les prairies temporaires, elles constituent également "des zones refuges pour beaucoup d'espèces végétales et animales", relève Michel Duru.
Quels sont les aliments qui réchauffent le plus le climat ?
Produits locaux, circuits courts… Depuis des années, l'accent est mis sur l'importance de manger local. Au point de donner une image trompeuse du problème. "Lorsqu'on parle des impacts environnementaux des aliments, le transport et l'emballage sont très surestimés dans la conscience collective", observe Audrey Rimbaud, l'une des pilotes du projet Agribalyse, une base de données qui analyse les conséquences de nos aliments sur l'environnement.
En réalité, pour lutter contre le réchauffement climatique, la provenance d'un aliment compte moins que sa nature, animale ou végétale. En règle générale, la viande, les produits laitiers ou les œufs ont un impact nettement plus fort que les légumes, fruits et légumineuses. Dit autrement, votre kilo de bananes peut faire plusieurs fois le tour de la planète en avion avant d'être plus nocif pour le climat que la côte de bœuf bien de chez nous. Les seuls aliments végétaux qui réchauffent plus le climat que certaines viandes, comme le poulet, sont le café et le chocolat, deux moteurs importants de déforestation.
Cela ne veut pas dire qu'il faudrait abandonner le "local" et le "de saison". Ces deux critères redeviennent pertinents pour comparer deux produits de même type – des tomates par exemple. "Les produits qui ont le meilleur bilan, de loin, sont végétaux, de saison et locaux", résume Christian Couturier, expert et président de l'association Solagro.
Et pour l'environnement en général ?
L'environnement ne se résume pas au climat. Le projet Agribalyse, porté par l'Agence de la transition écologique (Ademe) et l'Inrae, propose un score unique pour chaque aliment, fondé sur 16 indicateurs – les émissions de GES, mais aussi l'acidification des sols, l'épuisement des ressources en eau ou les pesticides. "Il est important d'être prudent dans l'utilisation des indicateurs. Ce sont aujourd'hui les meilleures données disponibles, mais elles sont en constante évolution, toutes les dimensions n'étant pas encore bien prises en compte", met en garde Audrey Rimbaud, ingénieure à l'Ademe. A l'heure actuelle, deux sujets ne sont pas encore bien intégrés dans le score unique : la biodiversité et le stockage carbone dans les sols.
La prise en compte de ces indicateurs ne bouleverse pas radicalement le classement des aliments les plus polluants. Elle devrait toutefois permettre, avec l'intégration de la biodiversité, de distinguer les pratiques agricoles. Si l'on s'en tient au seul critère du climat, l'agriculture biologique et conventionnelle ont un impact comparable. La non-utilisation, en bio, d'intrants, produits des énergies fossiles, est compensée par un rendement plus faible et une consommation d'espace plus importante. Mais l'agriculture biologique, qui n'utilise ni engrais azotés, ni pesticides de synthèse, est "très positive en termes de biodiversité", constate Michel Duru, même si son impact, via le labour notamment, n'est pas nul. Elle contribue également à restaurer la qualité de l'air – les engrais azotés polluent l'air, notamment en Bretagne – ou de l'eau – les pesticides rendent l'eau non potable dans certaines régions.
Pourquoi la viande et les produits laitiers ont-ils un impact si fort ?
La première raison est assez simple : il est souvent moins polluant de cultiver des céréales directement pour l'alimentation humaine que de les utiliser pour nourrir des animaux, qui serviront ensuite à approvisionner des humains. Cette étape se traduit par des consommations de ressources (eau, énergie) supplémentaires.
La seconde raison sonne comme une blague : les rots des ruminants (vaches, moutons, chèvres), qui dégagent un puissant gaz à effet de serre. "Parce que les ruminants émettent du méthane lors de la digestion, on peut avoir une différence qui peut aller de 1 à 30 entre des produits végétaux et des produits issus de ruminants", détaille Carine Barbier, chercheuse au Centre international de recherche sur l'environnement et le développement (Cired) et coordinatrice de l'étude Simulation prospective du système alimentaire et de son empreinte carbone. Cela explique pourquoi le poulet et le porc, qui ne ruminent pas, affichent un impact moindre et pourquoi les produits laitiers, qui proviennent des ruminants, figurent en haut de la liste.
En matière de climat, cette réalité est valable quel que soit le type d'élevage : intensif, en bâtiment, avec une alimentation majoritairement à base de céréales, ou extensif, avec une alimentation majoritairement à l'herbe. Alimentées en céréales, les vaches d'élevage intensif sont en effet plus productives que celles nourries à l'herbe et émettent donc moins de méthane par litre de lait ou kilo de viande. A l'inverse, les secondes se nourrissent principalement avec un aliment, l'herbe, qui émet moins de gaz à effet de serre lors de sa production que le soja (déforestation) ou le maïs (engrais). Ces deux éléments s'équilibrent.
Entre ces deux types d'élevage, "le gain est assez limité en termes de gaz à effet de serre, à production de viande et de lait identique", confirme Carine Barbier. Cela ne signifie pas pour autant que l'impact environnemental de ces deux méthodes est identique. "Un élevage extensif permet de moins recourir à des aliments issus de cultures (céréales, oléoprotéagineux) qui, en agriculture conventionnelle, mobilisent des engrais, des produits phytosanitaires et parfois de l'irrigation. Ce mode d'élevage est bénéfique pour la biodiversité et la fertilité naturelle des sols et limite la consommation d'eau. Il favorise également le bien-être animal", complète l'économiste.
Comment améliorer la situation ?
Réduire les conséquences environnementales de l'alimentation suppose "des changements radicaux", estime Michel Duru. "Ce n'est pas une adaptation de l'agriculture qu'il faut, mais une transformation, voire une bifurcation", martèle l'agronome de l'Inrae.
• En mangeant moins de viande, de produits laitiers et de produits transformés. Il n'existe pas aujourd'hui de scénario de lutte contre le réchauffement climatique qui fasse l'économie d'une diminution, dans les pays développés, de la consommation de viande et produits laitiers. En France, les scénarios de l'Ademe pour la neutralité carbone en 2050 (PDF, page 14) tablent sur une diminution entre 10 et 70% de la consommation de viande.
Cette diminution, qui ne signifie pas que tout le monde doive devenir végétarien ou vegan, passe par une augmentation de notre consommation de légumineuses – des protéines végétales – comme les lentilles, les haricots blancs ou les pois chiches, mais pas seulement. "Il faut savoir qu'on consomme presque deux fois plus de protéines que nos besoins nutritionnels. On peut donc réduire de 40% notre consommation de protéines animales sans même chercher à les substituer par des protéines végétales", précise Carine Barbier.
Enfin, les produits ultra-transformés – sodas, soupes à réhydrater, nuggets… – sont à la fois mauvais pour la santé et pour l'environnement, puisqu'ils favorisent une agriculture standardisée et simplifiée, nocive pour la biodiversité.
• En privilégiant les produits locaux et de saison. Entre deux produits semblables, leur provenance et la saison restent des critères de choix importants. Selon la base de données Agribalyse, le kilo de haricots verts importé par avion a un impact presque quinze fois supérieur (6,51 kg éqCO2, contre 0,45 kg éqCO2) aux haricots français. Toujours selon la même source, cultiver des tomates hors saison en France produit plus de deux fois plus de gaz à effet de serre que des fruits de saison. La raison est simple : le chauffage des serres se fait au gaz, une énergie fossile.
• En réduisant le gaspillage alimentaire. Dans ses scénarios, l'Ademe table également sur une réduction des pertes et des gaspillages de 50%, tout au long de la chaîne de production.
• En responsabilisant les industriels et en informant les consommateurs. Ce changement de régime n'est pas qu'une question individuelle. Chercheuse en nutrition comportementale à l'Inrae, Lucile Marty regrette que l'accent soit aujourd'hui surtout mis sur le consommateur : "Cela déresponsabilise les industriels, qui se disent 'Tant que les consommateurs le mangent, on le produit'". Or, "ce qu'on mange est en grande partie déterminé par ce qu'on nous propose", rappelle-t-elle. Cette réalité est valable dans les cantines, les restaurants et les supermarchés.
Changer l'offre, en proposant des repas et produits végétariens par exemple, aurait donc "beaucoup d'effets". Mais, "pour que ce changement soit accepté, il faut une information du consommateur", poursuit Lucile Marty. Dans une étude publiée en janvier 2023*, la chercheuse et ses collègues ont démontré l'intérêt d'un affichage environnemental sur les produits, similaire au Nutri-Score. Un tel affichage est d'ailleurs prévu par la loi Climat et résilience et devrait être mis en place dans les prochaines années, sur la base du projet Agribalyse.
• En allant vers de nouvelles méthodes agricoles, avec moins de pesticides et d'engrais. Cette transition passe également par des "changements considérables dans l'agro-industrie", expose Michel Duru. Trois des quatre scénarios de transition de l'Ademe passent par une augmentation importante des surfaces cultivées en agriculture biologique, entre 30% et 70% du total. Selon l'agronome, cette transition implique une diversification des cultures. "Les travaux scientifiques montrent que pour réduire les pesticides, il faut s'éloigner le plus possible de la monoculture", explique-t-il, en citant également l'intérêt de l'agriculture de conservation des sols.
• En accompagnant les agriculteurs. Cette transition ne peut se faire sans un important dispositif d'accompagnement des agriculteurs, une profession aujourd'hui très fragile économiquement et socialement. Carine Barbier, du Cired, relève par exemple la baisse actuelle du nombre d'élevages bovins laitiers pour des raisons économiques. "Dans nos scénarios, les cheptels de vaches laitières ne baissent pas d'autant", souligne-t-elle.
• En changeant de politiques publiques. Tous ces changements sont loin d'être engagés en France et en Europe. "Nos politiques publiques ne sont pas la hauteur, résume Carine Barbier. La politique agricole commune a une responsabilité énorme, c'est un levier pour réorienter et accompagner cette transition."
* Les liens suivis d'un astérisque renvoient vers des sites ou contenus en anglais.
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