Quand des chercheurs appellent à nous préparer à l'effondrement climatique
« Nouveau débat climatique : comment s’adapter à la fin du monde ». Dans un récent article, le magazine américain Bloomberg s’interroge : l’effondrement écologique est-il déjà en cours ? Et si oui, comment s’y préparer ? De plus en plus intéressés par ces questions, certains chercheurs américains préconisent des mesures radicales. D'après eux, la question n’est plus « Quand ? » mais « Comment s’y préparer ? ».
« Si certains des scénarios les plus extrêmes des crises écologiques se produisent, nous serons, en Occident, contraints de faire face à de telles transformations, non pas par choix politique, mais par nécessité. » L’étude du chercheur Jonathan Gosling date de décembre 2016, mais elle n’a jamais semblé aussi actuelle : série d'ouragans particulièrement violents en 2017, sécheresse exceptionnelle dans le nord de l’Europe et incendies jusqu'en Arctique cet été, inondations en Caroline du Nord en septembre… Les évènements extrêmes semblent gagner en fréquence et en intensité. Est-ce déjà la fin du monde ? La société moderne peut-elle s’y préparer ? Et quelles sont les implications politiques et sociales du dérèglement climatique actuel ? Autant de questions que pose Bloomberg dans un article publié le 26 septembre, en prenant l’étude de Gosling pour point de départ.
« Adaptation profonde »
Une étude dans laquelle l’anthropologiste, aujourd’hui en retraite, préconisait non seulement une « décarbonisation rapide » et la mise en place d'« infrastructures résistantes aux tempêtes », mais aussi la construction de « systèmes d’eau et de communication pouvant résister à l’effondrement des réseaux électriques » et la « sauvegarde des réserves de nourriture, à travers la protection des insectes pollinisateurs ». Dans le cas contraire, prédit Gosling, « nous nous retrouverons à un point catastrophique, où tous nos systèmes de valeurs seront proches de la rupture. Nous n’aurons plus les capacités - économiques, sociales, politiques - de pouvoir jouir de niveaux de richesse et de prospérité matérielle indéfiniment croissants ».
Des recommandations d’une urgence extrême, relayées aujourd’hui par d’autres scientifiques. Jem Bendell, professeur à l’université de Columbia, utilise ainsi le terme « adaptation profonde » (« deep adaptation ») pour décrire un ensemble de mesures à prendre, à la fois « physiques et culturelles » : côté physique, « se retirer des côtes, fermer certaines installations industrielles, planifier une rationalisation alimentaire, permettre aux paysages de retrouver leur état naturel » ; côté culturel, « renoncer à ses attentes concernant certains types de consommation, et apprendre à s’appuyer davantage sur les personnes autour de nous ».
Déplacements de population
Particulièrement importante pour les Etats-Unis, la question du déplacement des foyers situés sur les côtes est probablement « le point le plus coûteux », note Bloomberg. Depuis 1989, l’Agence fédérale américaine de gestion des situations d’urgence a ainsi dépensé 2,8 milliards de dollars pour racheter « seulement » 40 000 maisons dans des zones « particulièrement sujettes aux inondations ». Un chiffre bien en deçà des quatre millions de citoyens américains qui devront déménager quand le niveau des mers sera monté d’un mètre, comme le prévoyait une étude publiée en 2016 dans la revue Nature Climate Change. Si rien n’est fait, la situation débouchera sur « la migration totalement incontrôlée de centaines de milliers, voire de millions de personnes sur le sol américain », note Rob Moore, expert en politique au Natural Resources Defense Council et spécialiste des inondations.
Professeur à Harvard et ancien directeur de la revue scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences, William Clark soutient quant à lui un « changement d’échelle » dans notre travail d’adaptation. « Plutôt que de simplement demander aux gens d’arroser moins souvent leur gazon, par exemple, les gouvernements doivent envisager des projets d’infrastructures à long terme, comme le transport d’eau vers des régions de plus en plus arides et des villes éloignées de l’océan », écrit Bloomberg.
De même, Cameron Harrington, professeur de relations internationales à l’Université de Durham en Angleterre et coauteur du livre Security in the Anthropocene, explique que l’adaptation aux bouleversements climatiques nécessitera que les gouvernements cessent d’envisager ces problèmes comme une simple « menace pour la sécurité ». Les Etats devront, au contraire, trouver de nouvelles solutions transfrontalières, par exemple en partageant leurs ressources en eau douce. « Nous ne pourrons pas ériger suffisamment de murs à nos frontières pour empêcher les effets du changement climatique », prévient Harrington.
« Réponses collectives »
Parmi les plus pessimistes (ou réalistes, c’est selon), Guy McPherson, professeur émérite de ressources naturelles à l’Université de l’Arizona, affirme que l’effondrement de notre civilisation interviendra peu après la disparition de la couverture glaciaire arctique en été, provoquant une augmentation brutale des températures partout dans le monde et des pénuries de carburant et de nourriture généralisées. D’après lui, un tel phénomène pourrait même intervenir « dès l’année prochaine ».
Mais pour Jem Bendell, il s’agit moins de savoir quand le changement climatique ébranlera définitivement l’ordre social occidental que de commencer à l’évoquer et à s'y préparer. Interrogé sur la proximité de sa pensée avec celle du mouvement survivaliste, il objecte que son objectif est, justement, d’atténuer les dommages qui seront causés par un effondrement inévitable, pas de « chercher à survivre plus longtemps que les autres ». Et de conclure : « Il s’agit de réponses collectives, destinées à réduire au maximum les préjudices. »
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