Conscience morale et empathie.

Un débat philo en classe aujourd'hui (29 élèves de CM2)

Durée 1h15.

Les discussions sont bien plus longues que ce résumé...

 

"Imaginons que vous n'aimiez pas une personne, un enfant ou un adulte, et que vous passiez devant chez lui. L'envie vous prend de sonner à la porte et de vous sauver. Vous êtes excités par cette idée, vous avez un peu peur, vous savez que vous faites quelque chose d'interdit. Vous avez largement le temps d'aller vous cacher, personne ne peut vous voir. Vous allez sonner et au dernier moment vous vous arrêtez. Quelque chose en vous qui vous empêche d'aller jusqu'au bout de votre désir. Qu'est-ce que c'est ?

-On sait que c'est pas bien.

-C'est interdit. C'est une bêtise.

-Oui, d'accord mais d'où vient cette idée ?

-C'est nos parents qui nous ont appris que ça se fait pas.

-Comment vous pourriez nommer cette interdiction ? Qu'est-ce qui se passe en vous ? Essayez de vous imaginer dans cette situation et essayez de voir ce qui se passe en vous."

 

Silence...

 

"Je vous donne un autre exemple. Vous avez eu un skate board et vous avez déjà réalisé pas mal de figures avec. Vous décidez de tenter quelque chose de plus périlleux que ce que vous faites d'habitude. Vous allez descendre le sens interdit près du tennis, vous voyez où c'est ?

-Oui, c'est super raide comme descente.

-Et en plus quand vous allez arriver en bas, vous tournerez à droite et vous traverserez le carrefour devant la poste.

-Ah, non mais là c'est n'importe quoi, on va se tuer !!

-Qu'est-ce qui te fait dire ça ? C'est quoi à l'intérieur de toi qui te dit que c'est trop dangereux ?

-C'est pas raisonnable.

-Ah, voilà le mot que j'attendais ! mais, ça c'est un adjectif. Quel est le nom commun ?

-La raison.

-Et bien voilà, on y est. C'est donc la raison qui vous dit que c'est trop dangereux ou que de sonner à la porte c'est interdit. Mais d'où vous vient cette raison ? Est-ce que vous êtes nés avec ou est-ce qu'elle s'est installée peu à peu ?

-Ben, moi je dirais que pour la sonnette, c'est mes parents qui m'ont appris que c'était interdit.

-Et moi, pour le skate, je pense que c'est parce que je n'en suis pas capable.

-Ce sont donc des idées qui se sont installées avec vos expériences de vie. Mais alors comment expliquer que parfois, un enfant va sonner à la porte ou tenter cette descente ?

-Et bien son désir est le plus fort.

-Dans ce cas-là, on peut dire que parfois notre raison s'efface devant le désir. Mais est-ce que notre raison ne trouve pas des justifications pour nous pousser à le faire ?

-On s'invente des raisons alors ?

-Oui, c'est ça. Des raisons qui vont permettre d'étouffer la raison qui nous disait de ne pas le faire. On finit par se dire qu'on a raison alors que notre raison nous disait le contraire.

-C'est le même mot pour deux raisons différentes alors ?

-Oui, exactement. La raison finit par se rallier à des raisons. Il y a la raison générale et des petites raisons qui s'accumulent et sont parfois plus fortes que la raison générale.

-Oui, moi, ça m'est arrivé. J'avais caché le doudou de ma petite soeur parce qu'elle était entrée dans ma chambre. Je savais que c'était pas bien mais je trouvais qu'elle le méritait.

-Et donc tu as fini par écouter toutes les raisons que tu avais en tête alors que ta raison s'y opposait.

-Oui, c'est ça.

-Cette raison qui nous empêche parfois de commettre des gestes méchants, quel nom pourrait-on lui adjoindre ? Un autre mot qui montrerait que cette raison correspond à notre éducation.

-C'est la morale.

-Oui, très bien, c'est ça. Mais alors, puisque parfois, cette raison morale n'est pas assez puissante pour nous empêcher de commettre des actes méchants, que pourrait-on utiliser pour lui venir en aide ? "

 

Silence.

"Dans quel état êtes-vous lorsque vous savez que vous faites quelque chose d'interdit ?

-Moi j'ai le coeur qui bat fort !

-Beaucoup d'émotions alors ?

-Oui, c'est ça et j'aime bien ! 

-Oui, c'est sûr ! Mais puisque souvent ces actes amènent des conséquences pénibles, une punition ou un accident, il vaudrait mieux apprendre à les maîtriser. Qu'est-ce qui pourrait nous aider ? Etant donné que notre raison n'a pas toujours la force de résister aux émotions, qu'est-ce qui pourrait nous permettre de ne pas perdre le contrôle ? Il faudrait quelque chose qui soit au-dessus de la raison puisque parfois elle a des accès de faiblesse.

-Ah, oui, c'est la conscience !

-Bien ! Mais quelle conscience ? Est-ce que c'est une conscience morale construite en parallèle à la raison morale ? Est-ce que ça ne serait pas la même chose ?"

 

Silence.

"Imaginons que l'on inverse les rôles. C'est chez vous qu'un enfant va venir sonner juste quand vous êtes en train de faire la sieste, vous avez de la fièvre, vous êtes couchés et vous allez devoir vous lever pour ouvrir.

-Ah, ben celui-là, si je l'attrape !

-Tiens, tu n'as pas l'air d'apprécier sa farce ?

-Ben, non ,c'est nul ! Moi, je voulais dormir !

-Pourquoi est-ce que tu trouves ça nul alors que tout à l'heure vous trouviez ça plutôt rigolo ?

-Ah, oui, j'ai compris. C'est parce qu'on s'est mis à sa place.

-Est-ce que vous avez besoin d'avoir été éduqué par vos parents pour comprendre que c'est une farce qui n'est pas drôle du tout ?

-Ben, non, en fait, il suffit qu'on prenne sa place.

-Donc, on peut dire que la conscience morale est insuffisante pour qu'un individu se comporte correctement et qu'il vaut mieux qu'il apprenne à se mettre à la place des autres pour savoir ce qui est juste et bon. On appelle ça l'empathie. Personnellement, je pense que c'est une conscience plus essentielle encore que la conscience morale parce qu'elle relie les individus entre eux et ne vient pas d'une éducation qu'on peut parfois renier.

- C'est ça qui me met triste quand ma copine ne va pas bien ?

- Oui. Tu te mets à sa place. Et c'est aussi, plus profondément, la peur qu'il t'arrive la même chose. L'empathie nous relie parce qu'elle nous sommes tous humains et que l'histoire de chacun pourrait être la nôtre.

- Mais moi, si c'est pas ma copine, ça ne me fait rien. - Quand nous avons regardé le film "Effroyables jardins", tu n'as rien éprouvé, aucun tristesse, aucune peur, aucune émotion ?

- Ah, ben non, j'étais triste pour le garçon et puis j'ai eu peur aussi quand ils étaient dans le trou.

- Pourtant, ce ne sont pas tes amis."

Silence. Regards croisés.

" Voilà, c'est ça l'empathie. Nous sommes tous l'autre."

 

 

 

Commentaires

  • Thierry LEDRU
    • 1. Thierry LEDRU Le 21/10/2017
    Hello Tiff :) :) Oui, ces échanges sont très importants pour moi, ils sont même prioritaires. Tout le reste en découle...
  • Tiff
    • 2. Tiff Le 21/10/2017
    Chouette discussion :)
  • Thierry
    • 3. Thierry Le 25/02/2011
    L'objectif d'un état est de former des citoyens, c'est à dire des individus qui se conforment aux idées de la masse. A mon sens, l'éducation consiste à aider à la formation d'êtres humains. C'est totalement différent. Et ça n'est pas apprécié par la hiérarchie.
    • 4. Le 25/02/2011
    C'est tout de même bien dommage que l'on s'évertue à gâcher des petites têtes comme ça, elles pourraient devenir des merveilles. Il y a au moins toi qui fait tout ce que tu peux!
  • Thierry
    • 5. Thierry Le 19/02/2011
    Hello !
    C'est ce que je fais Monique :) Tout est enregistré dans un dossier à part. Et tous les textes personnels depuis la création du blog. Ca commence à en faire un sacré paquet ! J'ai une idée qui trotte dans ma petite tête :)
    A bientôt.
  • Monique
    • 6. Monique Le 19/02/2011
    toutes ces discussions instructives que tu as avec tes élèves, tu devrais les rassembler et en faire un livre.C'est très interessant.A bientôt
  • charlotte
    • 7. charlotte Le 15/02/2011
    Discussion très intéressante !!!

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