Ascension
- Par Thierry LEDRU
- Le 15/07/2025
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On marche, Là-Haut.
Je ne tombe pas, mon corps suit le rythme, ma cheville tient, les mollets durcissent au fil des kilomètres mais j'ai appris à les détendre en visualisant l'enroulé du pied, jusqu'à la poussée totale des orteils, la musique dans les oreilles, les yeux rivés sur les pierres, sur les racines ou levés vers les sommets quand le chemin est plus facile. Des sorties de cinq, six heures, plus de mille mètres de dénivelée, les mains qui serrent les bâtons, les épaules qui poussent dans les montées ou supportent les appuis dans les descentes, on court parfois et il m'arrive d'en rire intérieurement.
Je suis Là-Haut, rien d'autre ne compte. Je continue l'ascension dans ma vieillesse, celle qui s'ajoute jour après jour mais qui ne peut éteindre la joie de l'effort, la sueur sur mon front, la brûlure de mes cuisses, le bonheur de l'eau du torrent, les cieux ouverts depuis les cimes.
J'ai vécu un moment très intense dans une descente raide, technique, des sangles rocheuses, couvertes de pierres qui glissaient sous les pieds. Dans un appui sur la cheville gauche, celle qui est devenue fragile, alors que rien ne le justifiait, j'ai eu un coup au ventre, l'impression que le pied allait se défausser et que j'allais tomber et j'ai senti la douleur dans mon corps, une électrification extrêmement précise, comme si la cheville se tordait, le craquement, la chute. Invraisemblable.
Je sais, depuis le temps, combien le corps garde en mémoire les traumatismes et ça n'est pas la première fois que surgit ainsi un souvenir traumatique. Je n'ai eu aucune pensée qui aurait pu raviver la peur, aucun déséquilibre, rien qui ne vienne justifier ce choc émotionnel. Et pourtant...
Je suis convaincu que tous nos traumatismes devraient être pris en charge pour être épurés. Nous gardons en mémoire des charges dangereuses. Cette peur fulgurante aurait pu m'amener à prendre un mauvais appui, à me priver de ma concentration pendant un quart de seconde, le temps suffisant pour plonger en avant.
Là, il ne s'agissait que du souvenir de la dernière entorse, rien de bien dramatique au regard des hernies discales. Ou de la menace générée par la sténose.
La puissance de l'inconscient est redoutable. Cette mémoire incontrôlable, ce chaos intérieur, il faut l'étreindre, l'explorer, l'ausculter, le disséquer parce qu'il est mortifère et qu'il porte atteinte à la vie. Je n'existe pas dans ce passé mais j'en ai gardé des traces. Je n'existe pas dans la menace de la sténose mais il arrive qu'elle impose sa présence dans l'instant. Cette gestion du temps, je l'apprends en montant Là-Haut. Ni passé, ni futur, juste le pas en cours, celui que je dois réussir, celui sur lequel je dois offrir toute mon énergie. Pour rester debout.
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