"Et au fait, la collapsologie ? "

 

Cet article pose tout le problème de la main-mise des réseaux sociaux et de la frénésie de l'actualité.

Les premiers s'accaparent les idées pour créer du buzz et de l'audimat et la seconde renvoie aux abysses les problèmes les plus cruciaux parce que l'audimat reste le maître absolu. Quelle que soit l'importance de l'idée, dès qu'elle n'est plus suivie, entretenue, approfondie, il faut que les réseaux sociaux, et les médias les plus importants en font partie, trouvent un autre sujet, une autre source de buzz.

Est-ce que la situation planétaire au regard de la collapsologie s'est améliorée ? Non, aucunement, bien évidemment. On continue à rouler à tombeau ouvert vers le mur ou le ravin. Ceux qui s'informent le savent. En même temps, je n'ai pas besoin des réseaux sociaux et des médias mainstream pour en avoir conscience. Mais il n'en reste pas moins que cette manipulation de masse me désole.

En fait, je pense que les médias officieux, ceux qui ont la plus grande audience, entretiennent cette inconscience mais la plus grande responsabilité, c'est la masse qui la porte. Il faudrait que les gens qui se servent des réseaux sociaux soient beaucoup plus exigeants sur les sujets qu'ils veulent lire et les algorithmes suivraient le mouvement.

Sur ma page Facebbok, les sujets qui me sont proposés en lecture sont les reflet de mes centres d'intérêt. C'est certain que ceux ou celles qui passent leur temps à lire ou regarder des sujets insignifiants ne risquent pas d'influencer favorablement les algorithmes.

Chacun et chacune est reponsable de son ignorance ou de son évolution, même à travers les réseaux sociaux. 

 

 

Usbek & Rica

Au fait, qu’est devenue la collapsologie ?

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Au fait, qu’est devenue la collapsologie ?

Couverture de l'ouvrage de Pablo Servigne et Raphaël Stevens paru en 2015.

« 2015, c’était l’époque de la COP21 et du Laudato si’ du pape François. Il y avait quelque chose de l’ordre de la fin du monde qui était dans l’air », se souvient Pablo Servigne aujourd’hui. Pour l’ingénieur agronome de formation, devenu l’une des figures médiatiques les plus en vue sur le sujet, le concept avait alors permis de combler « un angle mort de la société. » À savoir l’articulation des différents risques majeurs dans des domaines variés – le climat, la biodiversité, le pétrole, la finance, etc. – pour penser les « méga-risques » auxquels la civilisation humaine est confrontée.

Ce que c’était à l’époque

Il y a dix ans, le concept fait mouche auprès des militants écolo, inspirant la création de collectifs comme Extinction Rebellion (qui lutte explicitement contre « l’effondrement écologique et sociétal  ». Mais la collapsologie séduit aussi une audience plus large, sans forcément que cette notion ne soit vraiment bien comprise. Porté par le buzz médiatique, le mot a fini par « échapper [à ses créateurs] comme le monstre de Frankenstein », raconte Pablo Servigne. Alors que l’objectif de départ était de fonder une discipline scientifique, la collapsologie s’est peu à peu muée en « un mouvement social pluriel regroupant diverses tendances : les effondristes, les gens qui disent que c’est foutu, ceux qui disent que ce n’est pas le cas… C’est un peu passé à la trappe, comme un film hollywoodien qu’on regarde pour se faire un peu peur et qu’on oublie aussitôt. »

« C’est un peu passé à la trappe, comme un film hollywoodien qu’on regarde pour se faire un peu peur et qu’on oublie aussitôt. »

Pablo Servigne

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Au fond, ajoute Pablo Servigne, « le système politique actuel n’est pas du tout conçu pour traiter des enjeux aussi complexes et énormes ». Les adeptes de la collapsologie, eux, ont fini par s’épuiser à force d’explorer ses nombreuses ramifications (apprendre à faire son potager, imaginer des voies pour mettre en place la sobriété énergétique, etc.) Tant et si bien qu’après quelques années, plus grand monde ne se revendiquait de ce mouvement.

Ce que c’est devenu

Une rapide recherche sur Google Trends confirme ce diagnostic : après un pic au printemps 2020, la courbe des recherches Google du mot « collapsologie » s’effondre brusquement. La pandémie de Covid-19 a confirmé l’existence de chocs systémiques. Mais elle a aussi eu l’effet inverse : « Certains se sont dit : il y a eu un choc systémique global et il ne s’est rien passé, la société est toujours là », constate le chercheur, sorti du monde universitaire et qui se décrit comme « in-terre-dépendant ».

Capture d'écran sur le site Google Trends, montrant l'évolution des recherches Google du mot "collapsologie" entre 2015 et 2025.

Idem pour l’intensification de l’urgence écologique. Alors que la situation n’a jamais été aussi préoccupante – la limite des +1,5 °C prévue par l’Accord de Paris a officiellement été enterrée en juin 2025, et une septième limite planétaire est en passe d’être franchie – « tout le monde en a marre de l’écologie et de la collapsologie », soupire Pablo Servigne. « Du côté des écolos, il faut du positif sinon ça ne marche pas (ce qui me semble assez vaseux), et de l’autre côté, celui de la droite et de l’extrême droite, les gens n’ont en ont plus rien à faire et l’assument clairement. »

Surtout, la « disqualification de la collapsologie a bien fonctionné  », relève le politiste Bruno Villalba. Lorsque le concept était encore en vogue, des voix s’élevaient de tous les côtés pour le critiquer. À droite, par des « anti-catastrophistes » comme Luc Ferry et Pascal Bruckner. Mais aussi à gauche, où la réception a été assez ambigüe. Si certains ont « repris un certain nombre d’arguments clés de la collapsologie, notamment sur l’état de gravité de la crise écologique et son accélération actuelle », poursuit l’auteur de l’ouvrage Les collapsologues et leurs ennemis (PUF, 2021), d’autres ont gardé leurs distances, en dénonçant par exemple un risque de dérive « réactionnaire » (et « incitant au repli »), à l’image de l’organisation altermondialiste ATTAC. Dans une tribune parue dans Libé en 2019, l’historien des sciences et de l’environnement Jean-Baptiste Fressoz pointait quant à lui du doigt un courant « anthropomorphique » (faisant peu de cas du vivant non-humain) et « occidentalocentré ». « Les critiques sont essentiellement venues de philosophes, des gens qui sont un peu hors sol, réagit Pablo Servigne. Beaucoup d’entre elles reposent sur des malentendus, même s’il y a aussi eu quelques critiques constructives. »

« Il y a un vrai travail conceptuel à faire pour fonder la collapsologie en tant que discipline »

Pablo Servigne, chercheur et auteur du livre "Comment tout peut s'effondrer" (Seuil, 2015)

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Autre élément qui n’a pas servi la réputation du mouvement : sa propension à penser en dehors des cadres, en incluant dans son champ une dimension « intérieure » forte, incarnée par la « collapsosophie ». Un concept théorisé dans le livre Une autre fin du monde est possible (2018), consistant à se préparer mentalement à la perspective des effondrements en s’appuyant sur la philosophie et la spiritualité. « L’intuition et l’émotion occupent une place clé dans la collapsologie. Sauf que dans une société très cartésienne, où le rapport à l’émotion n’est pas valorisé dans l’espace politique, qui est le lieu de l’affrontement et de la violence, il est très facile de vous disqualifier quand vous faites appel à ce type de ressorts », souligne Bruno Villalba. 

Au-delà du « collapso-bashing », la « contre-proposition politique de la collapsologie n’a pas été suffisante, juge le professeur de science politique à AgroParisTech. Qu’est-ce qu’elle apporte fondamentalement de plus que la proposition de l’écologie politique ?  » Selon lui, la brèche ouverte par Pablo Servigne et ses collègues n’a pas débouché sur des pistes concrètes pour construire un futur à la fois crédible et souhaitable, capable notamment d’articuler « fin du monde » et « fin du mois » (comme le voulait le slogan qui avait tenté de raccrocher les Gilets jaunes au mouvement climat en 2019).

De fait, beaucoup n’ont retenu de la collapsologie que le diagnostic déprimant. « La collapsologie a été caricaturée en “tout est foutu”, mais je n’ai jamais dit ça, regrette Pablo Servigne. Tout ce qu’on a fait, c’est lancer une alerte. Les gens ont flippé, c’est normal. » La notion de « catastrophisme éclairé » empruntée au philosophe Jean-Pierre Dupuy, consistant à considérer le cataclysme comme certain pour avoir une chance de l’éviter, n’a selon lui pas été bien comprise. 

Ce que ça pourrait devenir demain

À écouter Pablo Servigne – qui s’apprête à publier en octobre un nouveau livre sur l’entraide, intitulé Le réseau des tempêtes : Manifeste pour une entraide populaire généralisée (éd. Les Liens qui libèrent) – tout n’est pas « foutu » pour la collapsologie. Avec Raphaël Stevens, le chercheur planche désormais sur la suite d’Une autre fin du monde est possible (2018), pour imaginer une « collapso-praxis ». Son objectif : poser des pistes d’action, justement.

Portrait de Pablo Servigne © Pascal Bastien

« J’ai bien envie de redomestiquer le mot de “collapsologie” et d’essayer de voir ce que ça donne », confie Pablo Servigne. Le chercheur se dit convaincu qu’une « deuxième vague de la collapsologie » est en train d’arriver, dans un contexte marqué non seulement par la « désagrégation » croissante de la société et de la biosphère, mais aussi par le retour des fascismes – qui constitue, selon lui « l’un des stades de l’effondrement » – et les bascules à venir entraînées par la percée fulgurante des IA

À ses yeux, « il y a un vrai travail conceptuel à faire pour fonder la discipline », chose que Raphaël Stevens et lui n’ont pas pris le temps de faire. « Mais ça prend des décennies de fonder une discipline », estime Pablo Servigne, qui cite l’exemple de la climatologie, construite sur un agrégat de différentes disciplines scientifiques allant de l’océanographie à la physique des fluides. 

À l’international en tout cas, les recherches sur le sujet vont bon train. Mais pas forcément sous la bannière de la « collapsologie ». De nouveaux mots sont en train d’émerger, comme celui de « polycrise », devenu « le buzzword à l’ONU » – une alternative « beaucoup plus neutre, gentille et bureaucratique » au néologisme né d’une boutade dix ans plus tôt, estime Pablo Servigne. Qui reste plus que jamais persuadé que « le problème, ce sont les gens qui n’acceptent pas l’effondrement de la société, empêchant les choses d’évoluer. » Autrement dit, même si le mot collapsologie disparaît, le futur qu’il décrit reste toujours d’actualité.

 

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