L'expérience nécessaire

On a passé sept jours dans le massif de Belledonne, un massif qu'on aime infiniment. D'abord parce qu'il est complexe, que les itinéraires pour atteindre un sommet ne sont jamais évidents, que les balisages se résument à pas grand-chose et qu'il faut de l'expérience, l'oeil du montagnard pour trouver le cheminement parmi les chaos rocheux, les arêtes, les crêtes, les couloirs, les éboulis, les sentes, les vires.

Pour atteindre le sommet de la Belle Etoile, sur le versant du col du Glandon, on a marché 20 kilomètres, passé les 2000 mètres de dénivelée, six heures de marche effective, aller-retour et on a vu six personnes au bord des lacs des Sept-Laux et plus personne au-dessus...Seuls avec les bouquetins. Dans un silence minéral absolu. Le vallon final qu'il faut remonter est si large qu'il y a de nombreux passages possibles mais il faut trouver le bon, celui qui consommera le moins d'énergie possible car atteindre le sommet est une chose mais en montagne, la sortie est finie au retour en bas, et pas avant. Donc, il faut savoir se préserver. 

La sortie au Pic nord du Merlet n'a pas abouti par exemple. Parce que le final était devenu trop dangereux en raison de la brume tenace qui couvrait les sentes terreuses et les rendait trop glissantes, un cheminement invisible au-dessus des barres, les rochers mouillés, on a abandonné à 200 mètres du sommet après 1200 mètres de dénivelée et 3h30 de montée. Une chute sur l'arête finale aurait été fatale.

Par contre, on a atteint le sommet de l'Aup du Pont malgré une arête finale quelque peu délicate dans des couloirs ruiniformes où les prises n'avaient rien de bien solide. Mais rien n'est venu nous assurer qu'il était temps de faire demi-tour.

L'expérience.

La montagne n'est pas un lieu de facilité. Dès qu'on sort des sentiers balisés et qu'on s'engage dans des pentes aléatoires, on ne sait pas si on sortira en haut mais décider d'un demi-tour fait partie de l'expérience. Et pour accumuler de l'expérience, il faut rester en vie.

L'expérience, c'est ce qui permet d'assurer le cheminement. Elle se nourrit des milliers d'heures passées pour se projeter en avant en appliquant les connaissances pour que le pas à faire soit le plus sûr possible. 

C'est évidemment cette exigence qui nourrit notre amour pour les montagnes.

Là-Haut, l'individu construit intérieurement un espace qu'il connaît, un assemblage parfaitement stable, chaque pièce du puzzle venant s'ajouter aux autres pour que l'image entière s'étende, s'agrandisse, prenne une ampleur qu'il n'est même pas possible d'estimer car on ne peut présager des événements, des situations complexes, des moments de sérénité, des peurs assumées, des émotions engrangées, des bonheurs accumulés et des savoirs acquis. Et tout ça construit l'expérience. Tant qu'on reste en vie. 

Dans un couloir où je passais en premier à la recherche de l'itinéraire, Nathalie a préféré s'engager dans une brèche sur la gauche et elle s'est retrouvée bloquée, n'arrivant ni à monter, ni à descendre. J'étais trois mètres au-dessus d'elle et je suis redescendu au mieux pour revenir sous elle et la guider vers le couloir que j'avais commencé à remonter. Tous les deux, on a senti que la situation était tendue. Il ne fallait pas tomber, pas là. Mais on a vécu l'épisode du canyoning ( voir le lien "Délivrance") et de nombreux autres cas où la tension était réelle et ces expériences-là sont comme des ancrages qui affermissent les prises glissantes sous les pieds, décuplent l'acuité de la vision pour trouver "la" prise qu'il fallait trouver, nourrissent les forces nécessaires pour passer le pas. 

L'expérience. 

 

 

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