L'animisme
- Par Thierry LEDRU
- Le 19/07/2025
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En envoyant Jarwal le lutin en Colombie, dans la Sierra Nevada, là où vivent les Indiens Kogis, l'idée était bien d'explorer cette vision du monde et de la part d'un lutin, c'était une voie incontournable.
Jarwal le lutin : la Création
Le 03/01/2012
"Jarwal était surpris de ce bien-être qui l’envahissait à de brefs instants, de cette joie indéfinissable qui survenait sans aucune raison apparente. Cette idée que le monde qui l’environnait était extérieur à lui devenait absurde. Il n’y avait pas de rupture entre son observation et l’élément observé, ni entre lui, l’observateur et le Monde. Tout cela formait un Tout. Il en devinait même une impression encore plus fascinante. Le Monde existait à travers ses regards tout comme lui s’inscrivait dans ce Monde. L’un et l’autre se nourrissant. Deux éléments constitués de la même matière, animés de la même énergie, juste séparés en apparence par des formes multiples.
Il était un lutin entouré d’un Monde infini mais rien, en dehors de cette imagination illimitée de la Création, ne séparait les œuvres. Il y avait en lui, tout comme au cœur des arbres, des animaux, du ciel, de l’eau des éléments identiques. La Vie avait peut-être créé les formes pour accueillir des esprits capables d’observer la Vie.
La Vie s’observait à travers sa Création et elle existait par conséquent pour elle-même à travers l’attention que lui portaient toutes les formes créées. Les Kogis, les Maruamaquas, Gwendoline, le Petit Peuple, les oiseaux, les poissons, les arbres, les fleurs, les papillons et les chevreuils, les scarabées et les renards, tout ce qui vibrait au cœur de la Vie permettait à la Vie de se réjouir d’elle-même.
Peut-être ces formes innombrables n’étaient-elles que la matérialisation de la joie de la Vie pour elle-même, des émotions magnifiques qu’elle tenait à voir évoluer au cœur d’une nature mirifique. Les êtres humains et le Petit Peuple étaient peut-être nés de ses émotions les plus fortes. Peut-être représentaient-ils l’apogée de son amour pour elle-même. Et dès lors ces créatures portaient en elles l’ultime tentative de la Vie, l’apogée de son amour. L’objectif de ces formes animées, de ces âmes magnifiées consistait à honorer la Vie pour cet amour d’elle-même.
Tout ce qui vivait du flux originel portait un Amour ineffable. Seuls les hommes s’étaient séparés de cet Amour, avaient éteint cette conscience de la Vie en eux. Comme une création aléatoire, une tentative avortée, une esquisse inachevée. Les hommes devaient apprendre à devenir ce que la Vie leur proposait. Au risque de ne jamais devenir des êtres humains.
Un sourire intérieur et cette envie irrépressible de serrer la main de Gwendoline. Un partage indispensable.
Elle le regarda intensément, une certaine surprise et puis cet abandon au bonheur qui devenait si simple. Des mots d’amour dans le silence brillant des yeux."
Publication de l'Ecole Jungienne de Psychanalyse Animiste -
"L’animisme, ou le seul langage qui nous relie encore au monde
Réapprendre à écouter la terre plutôt que l’interpréter
« Les animistes sont des personnes qui reconnaissent que le monde est peuplé de personnes, dont beaucoup ne sont pas humaines, et que la vie se vit toujours en relation. »
— Graham Harvey, Animism: Respecting the Living World (trad. personnelle)
Le vertige d’un monde délié
Nous vivons une époque paradoxale. Jamais nous n’avons été aussi informés, connectés, outillés. Et pourtant, jamais nous n’avons été aussi seuls. Déliés de la terre, séparés du ciel, méfiants vis-à-vis des eaux, sourds aux messages du vent, nous habitons un monde désenchanté. Ce n’est pas un monde sans dieux : c’est un monde sans liens.
Les anciennes cosmogonies, les mythes, les saisons — tout cela, que nous reléguons au folklore — portaient en réalité une grammaire relationnelle. Le sol n’était pas un sous-sol, mais une matrice. L’arbre n’était pas un objet paysager, mais un être. Et la nature, loin d’être un décor, était un vis-à-vis.
L’animisme, ce qui reste quand on cesse de régner
Le mot « animisme » est souvent mal compris. On l’associe à des superstitions primitives, à des peuples lointains, à des pratiques chamaniques plus ou moins ésotériques. Mais l’animisme n’est pas une religion. C’est un mode de relation. C’est le nom donné à cette expérience directe que tout est vivant.
L’animisme ne demande pas d’y croire. Il demande d’écouter.
« Nous sommes des êtres spirituels, et nous avons besoin de spiritualité plus que jamais. Nous devons comprendre que la nature nous a donné naissance, qu’elle est notre maison et notre source de bien-être. »
— David Suzuki, The Sacred Balance (trad. française de l’édition 2009, Les Éditions Ecosociété)
La clé de cette spiritualité n’est pas une croyance imposée. Elle est une perception retrouvée.
Le chamanisme n’est pas la réponse : il est une mémoire
Le retour massif du chamanisme dans les sociétés occidentales interroge. Pourquoi des cadres, des thérapeutes, des artistes se tournent-ils vers la Mongolie, la Sibérie ou l’Amazonie pour trouver ce qui leur manque ?
Parce que nos terres ont été dépossédées de leurs mythes, et que notre langue n’a plus les mots pour dire l’âme du monde.
Mais attention : importer le chamanisme tel quel ne suffit pas. Car ce n’est pas notre mémoire, ce ne sont pas nos rythmes. Ce sont les rêves d’un autre peuple, les chants d’un autre monde. Le chamanisme peut être un miroir, une inspiration, un tison pour rallumer le feu. Mais il ne saurait devenir notre propre parole.
Ce que nous avons à retrouver, c’est notre propre façon d’être en lien avec le vivant, ici et maintenant, sur cette terre, avec cette langue, avec ces saisons.
Nos anciens savaient
Nous avons été animistes. Cela n’est pas réservé aux peuples dits “premiers”. L’Europe elle-même fut tissée de présences. Il y avait des esprits dans les sources, des génies dans les arbres, des nymphes dans les montagnes. Le monde était habité.
Les druides, les sages, les femmes-herboristes, les conteurs de veillées… Tous vivaient dans un monde peuplé, dans un monde où chaque chose avait une parole à offrir.
Puis est venue l’époque du soupçon, de la désacralisation, de la pensée-machine. Mais l’âme ne meurt jamais : elle se retire. Et aujourd’hui, elle nous appelle à la rejoindre là où elle s’est réfugiée : dans la douceur d’une lumière matinale, dans le chant d’un merle, dans la patience d’un ruisseau.
Rythme du monde, rythme de l’âme
Il ne s’agit pas seulement d’écologie. Il s’agit de rythme. Le grand désaccord de l’homme moderne, c’est qu’il ne bat plus au même tempo que le monde. Il s’est désaccordé.
L’animisme n’est pas un regard passéiste sur le monde. C’est un art d’habiter le présent dans sa densité vivante. C’est un recentrage. Une respiration. Une manière de se souvenir que nous ne sommes pas des cerveaux embarqués dans une machine biologique, mais des êtres traversés par des souffles plus vastes.
Le monde nous parle, mais savons-nous encore l’écouter ?
Les peuples animistes ne croient pas que la nature est sacrée. Ils savent qu’elle l’est. Cette connaissance n’est pas métaphysique. Elle est intime, sensorielle, quotidienne.
L’arbre ne se demande pas s’il doit pousser. Il pousse. La pluie ne justifie pas son action. Elle tombe. Le renard ne joue pas un rôle. Il suit sa nature. Le monde agit selon sa nécessité vivante, et c’est cela qui est juste.
« Chaque chose étant ordonnée à elle-même en faisant ce qu’elle sait faire, chaque chose étant dans son énergie propre, tout est juste. »
— Bertrand Vergely, Dieu veut des dieux, Le Passeur éditeur, 2018
Et nous ? Savons-nous encore ce que nous savons faire, profondément ? Sommes-nous encore capables de vivre dans notre propre rythme, et non dans celui imposé par la machine, le calendrier, le marché ?
Vers une spiritualité incarnée
L’animisme ne réclame pas de temples. Il réclame des lieux d’écoute. Il nous invite à faire silence, à ouvrir la main au lieu de la refermer, à consentir à ne pas tout comprendre. Il nous invite à redevenir élèves du monde.
Il ne s’agit pas de croire que la pierre a une âme. Il s’agit de laisser l’âme venir à soi quand on touche la pierre. Il ne s’agit pas de parler aux animaux. Il s’agit de les regarder dans les yeux et se souvenir de ce que nous avons oublié.
Le retour au vivant n’est pas une option
Nous vivons une époque où l’homme cherche un sens à son existence alors que le monde entier cherche un sens à la présence de l’homme. L’animisme est la seule réponse possible, non parce qu’elle est à la mode, mais parce qu’elle est fondamentale, oubliée, refoulée.
L’Occident ne retrouvera pas le lien par la technologie, ni par la psychologie seule, ni par la consommation éthique. Il le retrouvera en se tenant de nouveau humblement devant ce qui est, et en acceptant que le monde est sujet, pas objet.
Nous ne sommes pas au centre. Nous sommes dans le tissu. Et cela change tout."
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