Coronavirus : crise écologique

 

La crise sanitaire est liée aux actions humaines, selon un écologiste

« Notre santé et celle de la planète doivent passer avant la santé des marchés financiers. »

Vue aérienne de la déforestation d’une plantation de palmiers utilisés dans la production d’huile de palme.

Plantation de palmiers utilisés dans la production d’huile de palme en Papouasie.

PHOTO : © ULET IFANSASTI / GREENPEACE / ULET IFANSASTI

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Ahmed Kouaou

La propagation fulgurante de la COVID-19 et le chamboulement planétaire qu’elle provoque devraient-ils nous inciter à repenser notre rapport à la nature, le modèle agricole et la mondialisation?

Écologiste de la santé, Serge Morand est également chercheur dans deux organismes français, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD).

Confiné en Thaïlande où il se trouve actuellement pour les besoins de ses travaux, il observe avec beaucoup d’intérêt ce qui se passe sur la scène mondiale.

D'après lui, la crise du coronavirus est à inscrire dans la continuité de l’explosion des épidémies d’origine animale.

Ce phénomène est indissociable de plusieurs actions humaines qui ont pour conséquence de détériorer la faune et la flore. La perte de la biodiversité avec la disparition de forêts, l’élevage intensif, la chasse aux animaux sauvages sont parmi les éléments accélérateurs de la crise écologique et, partant, de la crise sanitaire.

Serge Morand, écologiste de la santé et chercheur.

Serge Morand, écologiste de la santé et chercheur

PHOTO : SERGE MORAND

Même si on ne connaît pas avec exactitude les conditions de sa transmission à l’homme, on sait que le coronavirus est d’origine animale. Et ce n’est pas le premier du genre?

Les coronavirus forment un groupe très diversifié de virus que l’on retrouve chez de nombreux mammifères et oiseaux. Ces virus sont bien connus dans les élevages de volailles et de porcins, mais aussi chez l’animal domestique comme le chat.

Les chauves-souris et probablement aussi les rongeurs sont à l’origine de plusieurs émergences récentes chez l’humain. Les virus hébergés chez les chauves-souris n’infectent pas directement les humains. Des hôtes intermédiaires sont nécessaires, comme la civette, dans le cas du premier SRAS, ou le chameau, dans le cas du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (SRMO).

Ces hôtes intermédiaires semblent nécessaires pour permettre un passage des coronavirus de chauve-souris vers les humains.

Il y a pour ainsi dire une tendance lourde dans la propagation d'épidémies d’origine animale...

L’émergence de coronavirus provenant des chauves-souris est l’expression la plus dramatique de l’augmentation continue des émergences de nouvelles maladies infectieuses, dont les agents sont hébergés chez les animaux sauvages, mais aussi chez les animaux domestiques. Ces maladies infectieuses sont nommées zoonoses.

Mais il faut souligner que l’on assiste également à une augmentation globale du nombre d’épidémies de zoonoses connues. Il y a de plus en plus de pays qui signalent des épidémies et de plus en plus d’épidémies qui touchent de nombreux pays.

Encore une fois, le coronavirus à l’origine de la COVID-19 était encore isolé dans une population de chauves-souris quelque part en Chine du Sud au mois d’octobre ou novembre 2019, et seulement quelques mois plus tard, il est présent dans les populations sur toute la planète.

Des cochons dans une porcherie.

L'élevage intensif nuit de différentes manières à l'environnement.

PHOTO : ASSOCIATED PRESS / GERRY BROOME

Vous désignez différents facteurs qui sont à l'origine de ce genre d'épidémies, dont la déforestation. Comment ce phénomène peut-il en être la cause?

La crise écologique est la cause première de cette crise sanitaire comme de nombreuses crises sanitaires précédentes.

Nous sommes entrés dans l’Anthropocène [époque géologique dont le commencement correspond au début de l’incidence à grande échelle de l’activité humaine sur la biosphère] vraiment dans les années 1950 avec l’augmentation de l’empreinte écologique, de l’urbanisation, du nombre d’animaux d’élevage, et la baisse des couvertures forestières, des habitats naturels et des agricultures traditionnelles.

Les animaux sauvages voient leurs territoires en régression, principalement du fait de l’industrialisation de l’agriculture et de l’élevage.

Les données de l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) nous montrent que le nombre de cochons a triplé entre 1970 et 2017 pour atteindre 1,5 milliard de têtes, celui des poulets a quintuplé pendant la même période et on en compte au moins 25 milliards à tout moment sur la planète.

Ces crises sanitaires résultent de l’augmentation des contacts entre une faune sauvage dont les territoires sont grignotés par les animaux domestiques, dont l’augmentation des effectifs assure l’amplification des pathogènes et leurs transmissions aux humains.

L’élevage intensif est montré du doigt. Pourquoi?

L’élevage intensif industriel est en premier lieu source de problèmes environnementaux directs, déjà avec les pollutions engendrées par les mégafermes : ammoniac relargué dans l’atmosphère, nitrates polluant les sols, les cours d’eau et les eaux côtières marines, sans compter l’utilisation massive de divers biocides comme les antibiotiques.

Deuxièmement, l’élevage intensif nécessite des sources de protéines végétales importantes pour nourrir des animaux sélectionnés pour assurer une croissance rapide (certaines lignées sélectionnées ne peuvent survivre sur des pâtures naturelles).

Ces protéines végétales sont produites grâce à l’industrialisation de l’agriculture. Ainsi, on « déforeste » l’Amazonie pour produire le soja qui sera exporté vers des lieux lointains, comme l’Europe ou la Chine.

Cette agriculture intensive nécessite intrants et biocides, comme les pesticides et les insecticides, sources de « défaunation » et de pollution.

Enfin, l’élevage intensif est source de maladies infectieuses émergentes. Le virus de la grippe H1N1, à l’origine de la pandémie de 2009 heureusement peu virulente, est originaire d’une mégaferme nord-américaine.

Une membre de l’agence Kenya Wildlife Service, qui s’occupe de la conservation de la nature, se trouve à côté d'une pile de défenses d'éléphant confisquées, qui représentent près de 105 tonnes d’ivoire.

L’agence Kenya Wildlife Service, qui s’occupe de la conservation de la nature, a confisqué près de 105 tonnes d’ivoire, le 20 avril 2016.

PHOTO : REUTERS / THOMAS MUKOYA

Il y a aussi le phénomène du braconnage et tout notre comportement avec les animaux sauvages...

Le trafic d’animaux sauvages est également une activité illégale en pleine expansion.

Des scientifiques et des ONG, comme Traffic, nous alertent sur les conséquences pour ces animaux, mais également, en raison des sommes considérables générées par ce crime, sur les effets sur les pays impliqués dans la corruption, le blanchiment d’argent.

La banque mondiale a estimé les coûts de toutes les activités illégales sur la nature à plus de 1000 milliards de dollars par an.

Les animaux sauvages trafiqués alimentent le circuit des amateurs de nouveaux animaux de compagnie, la médecine dite traditionnelle et la consommation de viandes de brousse.

Le trafic doit être combattu en raison de son impact sur la biodiversité, sur les sociétés, avec la corruption, et pour notre santé.

À la lumière de cette crise mondiale, que préconisez-vous pour en sortir?

Il faut en priorité revoir notre modèle agricole mondialisé et réinsérer les activités de production agricole dans les territoires et non sur les places financières.

Une démondialisation de l’agriculture évitera de déforester l’Amazonie pour nourrir des animaux en Europe qui, grâce aux subventions, sont revendus sur le marché international.

Relocaliser les agricultures permettra d’assurer la sécurité alimentaire, de générer les revenus décents pour les agriculteurs tout en préservant la biodiversité et la santé des consommateurs.

Cela veut dire aussi repenser notre consommation alimentaire, ce qui ne pourra se faire qu’en réduisant les inégalités économiques afin d’assurer aux plus pauvres l’accès à une alimentation saine.

Les services de santé publique y gagneront, car ils ne feront plus face à l’explosion des maladies non communicables, comme le diabète et l’obésité.

Les résistances seront fortes de la part des grands groupes de l’agro-industrie, de la distribution et des transports. Mais notre santé et celle de la planète doivent passer avant la santé des marchés financiers.

Un dernier mot?

Cette crise sanitaire va conduire la recherche à s’interroger sur son rôle. Comment doit-elle s’organiser? Quels savoirs doit-elle mobiliser afin de répondre à l’urgence écologique?

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Ahmed Kouaou

 

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