Devenir prof...

Au fil des années, j'ai vu diminuer les enfants désirant devenir maître, maîtresse ou prof.

Depuis quatre, cinq ans, il n'y en a plus un seul...


Le ministère de l'Éducation finance quelques clips ineptes pour inciter les jeunes à se faire enseignants. Et je n'en ai vu aucun qui corresponde à la réalité de la profession : les mutations par exemple ne sont pas ce que l'on vous dit, elles sont le règne de l'arbitraire et du désespoir, et la gestion de la violence ordinaire ne se fait pas en claquant des doigts. Ils n'évoquent pas plus ce qui est à la source de l'intérêt passionné que je porte à ce métier depuis quarante ans. Pendant ce temps, un institut féru de statistiques nous apprend qu'enseignant est le métier qui fait le plus horreur aux demandeurs d'emploi.

Comment ? Malgré les vacances, malgré tout ce que le café du commerce dit de l'attractivité de ce métier de feignasses, malgré les salaires faramineux ! Pensez, 1 500 euros net par mois au terme de cinq ou six ans d'études complexes pour avoir le droit d'enseigner au fin fond d'un département hostile dans deux ou trois établissements distants de quelques dizaines de kilomètres à des élèves peu motivés dotés de parents agressifs...

Repoussoir

Eh bien, non. Les chômeurs préfèrent, de loin, être conducteurs de locomotive... Quitte à rêver comme des gosses, ils ne rêvent pas sur le tableau noir ou, plutôt, comme les nouvelles technologies sont désormais la tarte à la crème des néo-pédagogues, sur le tableau interactif (j'ai jadis pensé que certains pouvaient avoir un intérêt à imposer le renouvellement du parc informatique et autres joujoux inutiles et dispendieux, mais non, c'est par bêtise et conviction qu'ils croient qu'un ordinateur peut remplacer un maître). Ils ne rêvent pas sur les classes surchargées ni sur les programmes simultanément ambitieux et incohérents, et que l'on n'est pas près de réécrire, alors que c'était la priorité des priorités.

Ils ne rêvent pas sur ce qui était le coeur du métier, la transmission des savoirs, parce qu'on a vidé ce coeur et que l'on envisage très sérieusement de le remplacer par une mécanique "curriculaire" (sic !) qui mettra les "compétences" de l'élève au centre du système. Non, ils ne rêvent plus sur "le plus beau métier du monde", parce que les apprentis sorciers de la pédagogie en ont fait un repoussoir, à force d'imposer aux futurs enseignants leurs lubies et leurs propres incompétences.

Crise de recrutement

De ce désamour, je ne veux pour preuve que la raréfaction des candidatures dans les concours de recrutement. Dans certaines disciplines, il y a aujourd'hui plus de postes offerts que de candidats - et les jurys n'osent même pas les affecter tous sur les postes, tant le niveau est parfois bas. Particulièrement en sciences. Marian Balastre, sur l'excellent site Skhole, analyse en détail les chiffres, l'évolution du taux de candidatures sur les quinze dernières années (90 % de candidats en moins, pour un nombre de postes globalement constant), et pointe une évidence : "Les candidats eux-mêmes n'ont plus soit le niveau, soit l'attrait pour la transmission d'une discipline académique ; en échange, l'idéologie pédagogiste de la gestion éducative des compétences des élèves, qui se développe actuellement pour pallier la ruine du modèle transmissif, n'attire évidemment pas les "cerveaux", les étudiants cultivés et ambitieux intellectuellement."

Encore fallait-il le dire. Quand une profession peine à faire le plein, ce n'est pas dans les élites qu'elle recrute. Et comme l'avoue sous cape le ministère, qui fait pourtant de son mieux pour anéantir le dernier secteur qui marche, c'est dans les classes prépas que l'on trouve les derniers vrais spécialistes.

Quelques suggestions...

J'imagine que Vincent Peillon a payé (fort cher) les "consultants" qui ont imaginé cette campagne de promotion du métier effarante. Ce n'est pas dans ses propres services, actuellement occupés à se déchirer entre eux, et quelle que soit la compétence réelle de certaines petites mains de la DGESCO, que l'étincelle surgira pour faire des spots publicitaires convaincants. Mais je voudrais faire au ministre, arrivé porteur d'espoirs et qui, s'il fait les frais, comme on le susurre, d'un prochain remaniement, partira sous les huées, quelques suggestions qui produiraient chez les étudiants en herbe l'ambition d'entrer dans la carrière professorale.

D'abord, ne pas mentir au départ sur les taux effectifs de recrutement. À quoi bon lancer des étudiants dans des études de philo (qui ne débouchent que sur l'enseignement), alors que cette discipline, qui n'existe par définition qu'en terminale, n'offre pas grand nombre d'opportunités ? Autant imposer un numerus clausus réaliste. Cela allégera d'autant les cours, en les peuplant d'étudiants motivés, et non de fantômes - spooks, disait le héros malheureux de Philip Roth dans La Tache - venus s'inscrire pour bénéficier de la Sécu étudiante.

Augmenter les enseignants !

Ensuite, quitte à prévoir (c'est gouverner, n'est-ce pas...), réinstaurer le système des IPES, qui dans les années 1960 garantissait (sur concours) un traitement mensuel minimum aux candidats au professorat, en fin de L1 ou de L2, en échange d'un engagement décennal à servir l'Éducation nationale. Cela vaudra mieux que toutes les bourses, toujours insuffisantes et attribuées sur des critères sociaux opaques. Les ambitieux pauvres - j'en fus - auront à coeur de le réussir, au lieu de se voir proposer une béquille insuffisante pour avoir le droit d'occuper un siège en université. Le mérite reconnu vaut toujours mieux que le saupoudrage de charité.

Sur ce plan, cesser de se voiler la face et admettre que les enseignants français sont parmi les plus mal payés de l'UE - moitié moins, en moyenne, que leurs confrères allemands par exemple. Les syndicats disent tout haut qu'ils n'admettront pas un gel du point d'indice pour la cinquième année consécutive... Ils se cachent derrière leur petit doigt : il faut augmenter les traitements de départ de 50 %. Je dis bien les traitements, et pas un absurde système de primes qui ne se retrouveront point dans le calcul, in fine, de la retraite. Mais nous n'avons pas d'argent ! Ah, oui ? C'est pour ça que vous changez le parc informatique tous les deux ans - pour rien ? C'est pour ça que vous payez les conseillers du ministre plus de 10 000 euros par mois - sans compter une foultitude d'administratifs de tout poil, qui font des rapports sur les gens qui font des rapports... Des profs et des élèves - cela suffit.

Cela, c'est l'aspect matériel - mais il n'est pas négligeable, dans un monde où être, c'est avoir, et où l'on évalue les gens à l'aune de ce qu'ils gagnent. Demandez donc aux élèves ce qu'ils pensent d'un enseignant qui s'échine pour 1 500 euros par mois. On déplore la féminisation du métier ? Ma foi, on méprisera moins des enseignantes qui gagneront au départ 2 300 euros par mois.

Toujours moins

Mais surtout, le grand surtout, c'est dans les programmes et dans la pédagogie qu'il faut sévir. Redonner aux enfants le goût de l'étude, c'est parler à leurs passions - et non à leur raison, qui est encore en construction. Un pédagogue doit fasciner, ou il n'est bon à rien. Dans quelque matière que ce soit. Et il fascinera d'abord par sa maîtrise de ce qu'il enseigne. La formation des maîtres ne peut se résumer à trois recettes de pédagogie assénées par des pseudo-spécialistes en "sciences de l'éducation", qui ont imposé aux étudiants de passer sous les fourches caudines des masters "professionnels" au lieu de chercher à approfondir leurs savoirs fondamentaux : les gourous du pédagogisme croient manifestement que l'on est suffisamment bon en maths avec un petit niveau licence. Enseigner ne consiste pas à maîtriser les programmes, mais à en savoir dix fois, cent fois plus. La formation des maîtres doit procéder essentiellement d'une immense culture disciplinaire.

Et d'une exigence maintenue. Le SNUipp, engagé dans une réflexion sur les programmes du primaire qui est un jeu de massacre des programmes de 2008, souhaite reporter à plus tard (aux calendes grecques, sans doute) certaines notions que Xavier Darcos avait souhaité voir enseignées en CP : nous voici au retour de l'apprentissage de la division en CM2 - ça arrangera certainement le "curriculum" des gosses. "Toujours moins" - telle est leur devise. À croire que non seulement ce ne sont plus les meilleurs étudiants qui se font enseignants, mais ce ne sont pas les meilleurs enseignants qui se font syndicalistes. Pas dans le primaire, en tout cas.

Un rêve de bobo

Ah, j'oubliais : il est urgent de confier la formation pratique des enseignants, après leur recrutement, à leurs pairs, et aux meilleurs d'entre eux, et non à des administratifs ou à des obsédés de schémas pédagogiques collés arbitrairement sur des élèves qui ne leur ont rien fait. Le problème n'est pas les rythmes scolaires, mais le contenu de la scolarité. Et je n'échangerai jamais un cours de français ou de maths contre deux heures de macramé. L'aménagement des rythmes scolaires version Peillon est un rêve de bobo parisien ignorant des réalités du terrain. Et la charge que ces divertissements imposés va faire peser sur les finances locales pèsera aussi certainement dans le choix des électeurs dans trois semaines. Surtout dans les communes les plus pauvres : les socialistes ont le chic pour se brouiller avec les pauvres. Sans doute parce qu'il y a beau temps qu'ils ne le sont plus eux-mêmes.

Ce ne sont que des pistes, bien entendu, mais leur mise en application peut être rapide, si l'on s'abstenait enfin de convoquer, dès qu'il s'agit de changer une virgule dans un décret, une commission ad hoc peuplée des indispensables incompétents qui sévissent depuis trente ans.

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