L'effort physique.

Une nouvelle virée de quatre jours dans les Hautes Alpes. Considérablement surpris par la "désertification" de la montagne. Dans toutes nos virées de l'été, le même constat. L'impression qu'aujourd'hui l'effort physique est lié au ludique. Dans les stations de ski en été, on voit les remonte pentes qui déposent quelques marcheurs au sommet, ils vont faire un pique nique et ils redescendent, certains de la même façon, d'autres à pied quand même. Les VTT sont montés sur les remonte pente de la même façon et les gens font de la descente parce que c'est marrant...Les guides de haute montagne galèrent comme jamais pour finir leurs mois, obligés de se tourner vers des activités ludiques, de courte ampleur, via ferrate, rando aquatique, les gens ont besoin d'être "encadrés", très peu essaient d'apprendre par eux-mêmes, il faut pratiquer vite et tout de suite, sans se soucier d'un apprentissage, d'un objectif sur le long terme. On a fait deux sorties VTT dans des coins perdus, des paysages extraordinaires, il n'y avait personne...On a découvert une gorge perdue au fond d'une vallée, on a remonté la rivière vers la source, aucun chemin, des passages d'escalade, de la broussaille, des épineux, des détours, des impasses, un jeu constant dans une nature vierge de toute trace, un silence incroyable, à des kilomètres de la première route, une eau pure, transparente, des falaises gorgées de soleil, une solitude totale. Je me souviens quand j'avais vingt ans que des coins comme ça étaient explorés, on rencontrait du monde, des amateurs qui se lançaient dans des sorties un peu aventureuses, sans savoir si ça allait passer, si ça ne finirait pas en galère totale ^^Mais ils y allaient et moi avec. Années après années, cet état d'esprit disparaît. L'alpinisme, c'est à Chamonix parce que c'est à la mode. mais des grandes voies il y en a ailleurs. Mais quand on donne leur nom, ça ne parle pas, ça n'a pas l'impact "médiatique" de la voie Rébuffat à l'aiguille du Midi, il faut du tape à l'oeil aussi, de l'aventure dans laquelle on va acquérir un statut, une reconnaissance...C'est sûr que si je dis qu'on a fait le pilier nord du Grand Ferrand, personne ne connaît et pourtant, faut la sortir cette voie là...Cette reconnaissance, cette valorisation est générale désormais. Les gens vont dire qu'ils ont fait du canyonning, de la via ferrate, de l'escalade, du VTT mais tout ça est aseptisé, encadré, sécurisé à outrance, il n'y a pas d'engagement, pas de découverte réelle, pas de recherche personnelle, c'est juste du ludique et du tape à l'oeil...
Et je ne parle pas des enfants qui ont totalement disparu...On a essayé en rentrant tout à l'heure de se souvenir si on avait vu des enfants dans nos sorties, pas les plus dures bien entendu mais au moins les sorties comme celles que nos enfants faisaient. Pas un seul...En deux mois de crapahutage...Pas un seul...Par contre on se souvenait de ces deux garçons qui râlaient en montant un petit chemin dans une forêt parce qu'il faisait trop chaud et qu'ils voulaient aller à la piscine. Ils étaient à 5 minutes du parking.
C'est désolant...Une génération perdue. Je le vois tous les ans avec les enfants de ma classe. Le sport ne les intéresse, parfois, que s'il y a de la compétition (du foot de préférence pour les garçons, pas grand-chose pour les filles...)et qu'ils vont pouvoir aller boire aux vestiaires à tous moments...Mais alors, aller en montagne, là, il faut se battre... Ils n'y voient aucun intérêt, les sportifs qu'ils connaissent et vénèrent ne vont pas marcher sur des chemins...Et puis, ça ne rapporte rien...Ni argent, ni médaille, ni gloire...Le même fonctionnement que les adultes, il faut que l'effort physique apporte une récompense qui se montre, qui se partage. L'effort "gratuit" est une abomination. Il faut que ça soit rentable...Si je dis à mes élèves que la marche est un sport, eux n'y voient qu'une corvée, comme celle de venir à l'école à pied...La plupart vienne d'ailleurs en voiture...Je me souviens de mes premiers élèves en Bretagne, ils venaient à l'école à pied, à travers champs, sur des chemins, ils se retrouvaient en cours de route, ils n'arrivaient pas toujours à l'heure :) Mais comme ils étaient heureux...Les petites écoles de campagne ont fermé, remplacées par des gros groupes scolaires avec un ramassage en car...

Et la montagne est déserte. Au grand bonheur des chamois et des marmottes.

L'humanité s'étend dans les plaines.

Commentaires

  • Thierry
    • 1. Thierry Le 26/08/2010
    C'est vrai que d'aller marcher en montagne avec un sac à dos et une paire de chaussures, ça n'a rien de consumériste, quelle horreur :)Quelle horreur ces marcheurs qui cherchent à s'extraire de la fange des vallées alors qu'on peut y trouver tous les bonheurs d'un bon citoyen, la plage avec ses brasseries et ses stands à frites, ses galeries marchandes, ses camping bondés, genre HLM à caravanes, tout le monde sur la même route, attirés comme des bouts de ferraille par un aimant, "ouah comme t'es bien bronzé et puis alors ce petit ensemble est une merveille, tu l'as acheté où ? On était à Palavas les flots, il y a un supermarché avec une galerie marchande extraordinaire ! Oh dis donc, ça c'est des belles vacances ! Oui, c'est sûr et on y retournera l'an prochain..."
    Bon, allez, je suis méchant là...Oh, puis non finalement...
  • Lajotte Françoise
    • 2. Lajotte Françoise Le 26/08/2010
    Bonjour,
    Il y a bien longtemps que je ne suis pas partie vraiment en vacances et encore plus longtemps en montagne. Mes enfants n'ont pas connu les vacances à la mer... Ils ont énormément crapahuté, en étaient heureux et en garde de bons souvenirs et, à présent qu'ils sont adultes, le goût de la nature sauvage. Je ne m'étais pas imaginé que les chemins de montagne étaient à présent désertés, pourtant, hélas... c'est bien la logique de ce monde: immédiateté, consommation,paraître, etc... Une immenses fabriques de marionnettes à fils auxquelles on dicte aussi les désirs, les voeux... Je reçois de plus en plus de pubs qui me disent que c'est la voiture que je veux, le produit que je cherche... Il paraît que ce que j'aime c'est de recevoir tout prémaché, prédigéré, déjà pensé, là tout de suite, il paraît que c'est ça mon bonheur. Bizarre... C'est tout ce qui me fait horreur. Je suis aussi une marionnette ratée et sûrement débile: j'ai le goût de l'effort, j'aime le silence dans la nature et, j'espère que cela ne se soigne pas!
    Amitié,
    Françoise.

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