La sobriété

 

 

Transition écologique : plus sobres, plus heureux ?

 

Moins consommer revenant à moins polluer, l’idée de sobriété s’impose progressivement comme un impératif face à une menace écologique grandissante. Mais dans des sociétés édifiées sur l’abondance, sobriété rime avec austérité. Peut-on être heureux avec moins ? Réflexions philosophiques.

Publié le : 24/08/2023 - 18:09Modifié le : 24/08/2023 - 21:43

6 mn

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Kateryna Kovarzh, Getty Images, iStockphoto

Kateryna Kovarzh, Getty Images, iStockphoto © Kateryna Kovarzh, Getty Images, iStockphoto

Par :Sophian AUBINSuivre

Rires spontanés, ton enjoué. L’enthousiasme de Justine a quelque chose de contagieux. La trentenaire confie se sentir “tellement mieux” depuis qu’elle a fait certains choix. 

Le confinement pandémique a suscité un déclic chez Justine et son compagnon : consommer autrement s'est imposé comme une évidence.

En 2020, ils se mettaient au vert, optant pour une vie sans viande ni aucun produit industriel, libérée du plastique, de la voiture et des réseaux sociaux. Une révélation : épurée, leur vie est devenue plus belle. 

Au point que le couple envisage l’étape supérieure : quitter Montreuil (Seine Saint-Denis), pour s’installer dans un “éco-hameau”, petite communauté vivant dans le respect de l’environnement et dans une autonomie relative.

Moins consommer pour la planète 

Environ 1 200 en France, selon la Coopérative Oasis, ces temples du mieux-vivre ont le vent en poupe. 

Et ce, plus encore depuis le Covid-19, constate Fariboz Livardjani, trésorier et secrétaire de “Saulcy En Vert”, paisible micro-hameau niché dans les Vosges. 

"La clef de notre succès est à chercher dans la société, explique modestement ce toxicologue. Toujours plus de gens cherchent une alternative à une vie devenue trop anxiogène."

Mais pour la plupart des adeptes de la sobriété, le choix est d’abord écologiquement motivé. 

Sur une planète qui brûle et se noie au gré d’un climat déboussolé, la problématique environnementale s’est muée en menace toujours plus tangible. 

Et face aux désastres annoncés par le Giec, la sobriété apparaît comme un choix scientifiquement avisé : consommer moins, c’est diminuer les émissions de gaz à effet de serre, responsables du dérèglement climatique. 

Il s’agit de refuser individuellement de contribuer à un désastre collectif, explique, en somme, Emmanuelle, 53 ans, membre comme Justine d'une association éco-responsable. “Faire le maximum, à mon petit niveau”, explique-t-elle.

"Polluer, ça fait mal"

Les études démontrant une corrélation entre la dégradation de l'environnement et celle de la santé humaine constituent un autre facteur de “déclic” écologique, note Xavier Briffault, chercheur en sciences sociales et philosophie de la santé au CNRS.

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“Nous sommes passés d’une écologie éthique à une écologie de santé publique, poursuit le sociologue. "En d’autres termes, fini le 'polluer c’est mal', nous réalisons que 'polluer, ça fait du mal'", poursuit Xavier Briffault.

Justine allait mal, lorsqu’elle a décidé de faire sa “transition”. Exténuée par sa vie parisienne,  la jeune femme se découvrait une maladie potentiellement liée aux perturbateurs endocriniens. Ces substances déréglant les systèmes hormonaux du corps humain sont issues de la pollution chimique de notre environnement.

“Je me suis dit que j’étais en train de bousiller ma vie et accessoirement la planète” résume Justine. 

Animal social

Au cœur de son mieux-être aujourd’hui : le sentiment d’avoir plus de temps.  Dans sa vie privée, Justine a déserté les réseaux sociaux. En renonçant à ce type d’habitudes, elle s’est aperçue qu’elles étaient chronophages, et selon elle, stériles. 

Emmanuelle fait le même constat. “Le temps que je ne passe plus sur les écrans a libéré de l’espace pour ce qui m'intéresse vraiment, notamment lire, aller au cinéma.”

Leurs emplois du temps allégés, les éco-sobres octroient de longues heures à des activités choisies, comme réconciliés avec le temps. “Chercher à devenir énergétiquement sobres nous rend de plus en plus heureux”, constate Justine. 

En évitant l’avion, elle a découvert ce qu’elle qualifie de “vrai voyage” : de longs périples alternant vélo, trains et ferry, jalonnés de rencontres. Vivant plus lentement, Justine ressent une plus forte connexion avec autrui, son compagnon en premier chef.

"C’est normal que cela nous fasse tant de bien, nous les humains sommes des animaux sociaux", explique Emmanuelle.

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Le constat de ces personnes fait écho aux conclusions de disciplines comme l’économie comportementale ou la psychologie. Parmi ces travaux, ceux énoncés par l'université d'Harvard, en Californie. En 2023, elle publiait ce qui est peut-être la plus grande étude jamais réalisée sur la question.

Résumé de quatre-vingt ans de recherche : la clef du bonheur réside dans une existence plus simple, en plus grande communion avec nos congénères.

L’idée que vivre plus chichement ouvre les portes de l’épanouissement contredit pourtant le socle capitaliste qui régit les sociétés occidentales.

Dans l’après-guerre, celles-ci se sont construites sur une double causalité : la croissance économique crée de la richesse, et la richesse engendrerait toujours plus de satisfaction. 

Mais - par-delà toute considération idéologique - ce modèle se heurte aux limites de la physique. Notre monde étant fini, notre croissance ne peut être infinie, martèle, comme d’autres scientifiques, l’ingénieur consultant en énergie et climat, Jean-Marc Jancovici.

Au réalisme de ce polytechnicien, d'aucuns opposent les promesses de la technologie : puisqu'elle ne cesse de progresser, elle pourrait hypothétiquement permettre la production  d’une énergie toujours plus propre, de recycler indéfiniment nos déchets.

"Je serais tellement plus sereine si un tel monde existait”, confie Anne-Laure. La sobriété écologique habite le quotidien de cette jeune entrepreneure depuis plusieurs années. Mais cette autodiscipline a aussi vocation à apaiser la constante culpabilité qu’elle ressent vis-à-vis de son empreinte environnementale.

Ex-salariée d’un grand cabinet d’audit financier, Anne-Laure se reconnaît dans l’éco-anxiété. C’est un sentiment d’inquiétude chronique ressenti face aux menaces écologiques. Ou une angoisse à l’idée que celles-ci condamnent la vie sur notre planète telle que nous la connaissons.

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Selon une étude menée dans une dizaine de pays, dont la France, 45 % des jeunes sont touchés par l'éco-anxiété.

Sobriété désirée

Transports, alimentation, orientation professionnelle : les angoisses environnementales appellent à une sobriété de tous les instants.

Certes, puissant moteur de mobilisation, la panique est au cœur du discours écologique, qui se résume par : “Consommons moins, ou nous allons tous mourir”, analyse Xavier Briffault. "Ici, la sobriété est subie, comme s’il existait une dichotomie entre le bien-être humain et celui de la planète."

De manière inattendue, une sensibilité environnementale s’est pourtant exprimée au cours de la période pandémique, au gré des confinements. 75 % des Français de 18 à 24 ans déclaraient désirer accorder plus de place à la nature dans leur vie.

En cultivant le lien affectif qui unit l’humain à la beauté du vivant, grandirait finalement en nous un désir de sobriété, parie ce chercheur du CNRS. De quoi offrir à la cause écologique un nouveau slogan ? “Consommez moins et mieux, vous serez plus heureux !”

 

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