La Vie qui écrit en moi.

Voilà les idées que je cherche à transcrire dans le tome 3 de Jarwal...

 

Ca me prend un certain temps pour l'adapter à des enfants mais je ne lâche rien... Je laisse les choses s'installer, doucement. "Laisse la vie te vivre, elle sait où elle va. "

 

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La souffrance comme une issue. La dernière clé.

Le moi est une intuition, une connaissance directe, immédiate, sans le passage par le raisonnement. Il se construit bien entendu, du premier jour au dernier. Il n’est pas figé, fixe, constant. Il évolue, en bien ou en mal. Cette intuition est fondamentalement « expérimentale. » Toutes les situations, tous les évènements, des plus anodins aux plus traumatisants concourent à cette intuition et à sa progression dans le temps. Mais je vois une distinction profonde entre cette « existence » perçue par ce moi et la « vie » perçue par bien autre chose. L’existence est constituée par tout ce que le moi accumule. La vie n’a pas besoin d’accumuler quoique ce soit. Elle est. Constante et immuable.

Est-ce que le moi peut réellement la saisir, est-ce que le moi, dans le chaos de ses pensées, dans le fatras incommensurable de son existence peut réellement percevoir cette conscience du soi et de la vie. Le Soi. Qu’en est-il ? Le moi est une entité individuelle modelée par d’autres entités individuelles, par d’innombrables imbrications dans lequel le moi s’identifie. On peut clairement se demander si la notion de Soi et la conscience de la vie lui sont accessibles. Que peut-il saisir dans son fonctionnement, sinon, une idée mentalisée ? La vision d’un Tout et l’appartenance du Soi à ce Tout sont-ils de pures hallucinations d’un mental qui se gargarise d’un cheminement spirituel, comme un piédestal à sa magnificence ? Il serait bien plus profitable et honnête que ce soit le Soi qui conçoive le moi, que ce soit lui qui observe les agitations frénétiques de ce petit individu mais dans cette soumission de l’individu à son identification, c’est le moi qui part à la recherche d’un Soi dont il a entendu parler et qui comblerait son désir de séduction. Car celui-là qui est au cœur de son Soi est beau et sage…Vaste mystification. Que peut saisir une entité centrée sur elle-même quand elle se dit être en quête du Tout. La fourmi a t-elle conscience de la forêt dans laquelle elle travaille, de la planète sur laquelle elle existe, de l’Univers ? Possédons-nous une conscience plus élaborée que celle de la fourmi ? Oui, bien évidemment ou alors c’est que la fourmi cache bien son jeu… Bien, et alors ? Dès lors que le moi part à la recherche d’un Graal qui dépasse son entendement, que peut-il trouver d’autre qu’une entité à sa dimension, c'est-à-dire bien autre chose que le Soi ?

Alors, il nous faut chercher sur le chemin des religions…Mais les religions sont issues du mental. Aucune religion ne peut être un tremplin. Elles ne sont qu’une boucle qui ramène le moi vers lui-même. Puisqu’il en est l’instigateur. De toute façon, tant que le raisonnement, la linguistique, la dialectique, la logique, la rhétorique entrent en action, c’est le moi qui cherche ce qui ne lui est pas accessible. Dès lors qu’il y a un observateur et une quête, l’objet observé, l’individu reste dans un cheminement mentalisé et par conséquent le moi…

Il a conscience de sa recherche et s’en glorifie et imagine dès lors être sur la voie. C’est juste celle qui le ramène à lui-même. Mais par des chemins enluminés de métaphysique, ce qui donne un aspect valorisant à la quête…Vaste mystification. La métaphysique est lucide quand elle est capable de juger de son insuffisance. C’est le moi qui se regarde par des fenêtres plus larges. Mais il n’y a pas de nouvel horizon. Pas celui du Soi.

Faut-il donc passer par un autre canal que le moi pour saisir le Soi ? Mais s’il n’y a plus de moi, il n’y a plus de conscience, de vigilance, il n’y a plus rien qui puisse saisir puisque tout a disparu… Ca serait considérer que seul le mental a la capacité de saisir… Je ne pense pas que ça soit le cas. Là, il s’agit juste d’un formatage. On a appris à penser pour saisir.

« Je pense donc je suis. » Sacrée catastrophe que cette affirmation. « Je pense donc je fuis. » Je fuis la possibilité d’entrer dans une dimension qui m’échappe dès lors que je pense. Ca ne nous donne pas de piste quant à la quête de ce Soi. Pour l’instant, il reste insaisissable.

Mais n’est-ce pas justement la solution à l’énigme ? Puisque le moi ne peut pas saisir un Soi, autre qu’une enveloppe grossie de son propre moi, puisque le Soi ne peut pas être conscience de lui-même puisque cela reviendrait à concevoir un Soi détaché du Tout, c'est-à-dire immanquablement une individualité, ce qui serait antinomique dans l’idée du Tout, il n’est dès lors pas possible de saisir le Soi par le moi. Tout simplement. Le Soi aperçu par le moi est nécessairement une entité séparée du Tout et par conséquent autre chose que le Soi.

Le Soi est Conscience et non conscience. Il ne peut pas être conscientisé car il faudrait qu’il s’individualise et qu’il s’identifie à l’observateur. Le ciel ne peut pas voir le ciel. Il faudrait qu’il prenne de la hauteur !! L’Univers ne peut pas s’observer. Le Soi ne peut pas se connaître. Ni par lui-même puisqu’il ne serait plus le Soi mais une entité séparée du Soi, ni par le moi qui ne peut pas connaître ce qui le contient. Bon, ça semble à peu près se tenir tout ce charabia.

Mais alors qu’en est-il des expériences mystiques ? Des révélations qui font basculer parfois en quelques instants, des individus « basiques » à des êtres éveillés ? Qu’ont-ils aperçu, ressenti, perçu, « compris » (pas de façon rationnelle bien entendu…), que leur est-il arrivé ? Est-ce que le moi peut basculer dans une dimension qui ne serait pas le Soi mais un « simple » état de conscience modifiée ? Comment considérer que ces gens puissent évoluer dans un monde mentalisé en ayant eu accès à une vision unifiée de la vie ? Comment gérer ce genre d’antagonismes ? Comment passer du haut en bas, de l’intériorité mentalisée à l’universalité dés-identifiée ? Les voyageurs des NDE ? Les guérisons « spontanées » et inexpliquées ? Que s’est-il passé ? Le moi, dans ces expériences extrêmes, n’a rien à voir. Il est bien trop futile et insignifiant pour s’engager dans des voies aussi radicales. Ecoutons les paroles des « expérimentateurs »…C’est stupéfiant. Tellement éloigné de notre vision mécaniste et rigoriste de la vie. Le Tout s’est-il laissé découvrir, le Soi s’est-il révélé ?

Mais alors, tout ce que j’ai écrit au-dessus ne tient pas. Tout ça ne serait donc bel et bien que du charabia métaphysique. C’est sans doute qu’il faut chercher ailleurs. Et se passer même du langage.

La souffrance devient-elle la clé pour ouvrir l’enceinte ? Lorsque plus rien ne permet au geôlier de prendre conscience qu’il fabrique lui-même la prison qu’il s’obstine à ignorer, la souffrance réelle, physique, psychologique, existentielle, ne devient-elle pas l’ultime accès à la liberté ? Cette rupture, totale, incompréhensible, imprévisible, comme si parvenu à une altitude inconnue, le mental n’avait plus d’oxygène, que les pensées et les résistances ne pouvaient plus prendre forme, n’avaient plus de nourriture, une perte d’identification. La douleur a tout rongé, jusqu’à la dernière image, les rôles les plus essentiels, ni mari, ni père, rien, il ne reste rien que cette douleur insoutenable jusqu’à ce qu’elle disparaisse à son tour parce que le receveur abandonne la lutte.

Cette rupture, ce vide. Cette absence de tout, plus rien, aucune sensation, plus de corps, plus de peur, aucune pensée, le néant sans rien pour le voir, rien…

Comment expliquer qu’il n’y a rien. Ni même rien pour s’en rendre compte. Toute la difficulté pour l’exprimer vient du fait qu’il n’en reste rien. Puisqu’il n’y a plus rien pour s’en souvenir, pour que ça se grave. Rien ne s’est gravé dans ce rien.

Et puis cette phrase, soudaine, au milieu d’auras bleutées. « Tu n’es pas au fil des âges un amalgame agité de verbes d’actions conjugués à tous les temps humains mais simplement le verbe être nourri par la vie divine de l’instant présent. »

Ca n’était pas moi. Ca venait d’ailleurs. C’était trop long pour que je l’élabore moi-même dans cet état d’hébétude. Qu’est-ce que c’était ? « Qui » était-ce ? Des nuits entières à me poser cette question, des mois, des années, des heures à y penser en marchant, sur mon vélo, assis dehors, sous les étoiles, à tenter de retrouver dans ce vide environnant une source, un point de départ, un noyau de clarté, un point lumineux d’où aurait jailli cette fulgurance. Dans ce vide intersidéral que la douleur avait engendré, dans cette incapacité à être moi, à penser même, comment une telle complexité pouvait-elle se concevoir ?

Il existerait donc un autre émetteur ?...Et je pourrais recevoir ces émissions inconnues ?...Le Soi ? Ce vide était-ce cela « la vacuité ? »S'éveiller à la vacuité est-ce voir que personne ne souffre ici, qu’il y a une sensation mais personne pour en prendre livraison. La douleur porte-t-elle un enseignement salvateur ? Pointe-t-elle vers ce qui est au-delà de la douleur ?

« Les quatre nobles vérités qui sont à l'origine du bouddhisme sont: la vérité de la souffrance ou de l'insatisfaction inhérente, la vérité de l'origine de la souffrance engendrée par le désir et l'attachement, la vérité de la possibilité de la cessation de la souffrance par le détachement, entre autres, et finalement la vérité du chemin menant à la cessation de la souffrance, qui est la voie médiane du noble sentier octuple. »

Je ne sais pas ce qu’est ce sentier octuple. Je comprends par contre cet attachement à la douleur, comme à tout le reste. Toutes les identifications qui s’opposent au Soi, qui le couvrent comme autant de salissures. La douleur est un purificateur forcené. Elle brise la coquille et libère le noyau. Mais ce noyau n’est pas une entité individuelle. Il est le flux vital. L’énergie créatrice. Et dans l’amour inconditionnel, ineffable, incommensurable de l’énergie, il n’y a pas de mal, pas de douleur, pas de traumatisme puisqu’il n’y a plus de moi et que le moi entretient tout ce à quoi il est identifié. N’être plus rien efface jusqu’au mal tout comme il efface le bien. Il n’y a que ce qui est. Et ce qui est ne porte pas les fardeaux mentalisés du moi. Bien et Mal ne sont que des rumeurs. La douleur comme la libération du Tout en moi. Comment pourrais-je y voir du Mal ? Ce Bien dans lequel je m’imaginais exister et qui m’avait brisé. Bien et Mal, juste deux termes qui n’ont aucune réalité dans le flux vital. Cette absence de lucidité qui entretenait ces rumeurs. Et en venir à honorer la douleur lorsque le moi est éteint. Il y a autre chose. Une autre réalité, sans doute la seule. Lorsque le rêve éveillé est brisé et que toutes les rumeurs s’éteignent dans la lumière de la Conscience. Pas « ma » conscience mais l’Autre. Celle qui libère et unifie.

 

 


JARWAL.

TOME 3

Le travail avait cessé dans le village à la tombée du jour. Les Kogis avaient réintégré leurs huttes. Les palissades cernaient désormais le village. Un malaise immense dans le cœur de chacun, une séparation douloureuse, un cordon sectionné. Les horizons fermés cloisonnaient les âmes.

Jarwal et Gwendoline avaient été invités dans la hutte centrale, la Nuhé qui accueillait les sages et tous les individus chargés d’assurer la cohésion du peuple, celles et ceux qui participaient aux discussions les plus essentielles avant d’en référer au reste de la tribu.

Nasta avait demandé à Jarwal de s’asseoir près de lui. D’autres mamus avaient pris place à leurs côtés. Kalén s’était assis en face de Jarwal et traduisait les paroles de Nasta. A l’écart du groupe, deux femmes âgées expliquaient par gestes à Gwendoline comment tresser une mochilla. Elles souriaient constamment pour accompagner ses efforts.

Des flammes savamment entretenues diffusaient des parfums dansants de clarté, des arabesques joueuses qui dessinaient sur les visages des reliefs apaisés.

Malgré le poids des menaces, il flottait dans l’air une étrange plénitude.

« Vous n’avez pas l’air inquiets, annonça Jarwal. J’en suis étonné.

-Pour quelles raisons nous devrions être inquiets en cet instant ? Nous avons œuvré à la protection de notre peuple, la nuit est tombée, nous sommes réunis pour parler. La peur ne nous apporterait rien. Elle ne serait qu’une projection dans un avenir qui n’existe pas mais que nous imaginerions. Et cela ne changerait rien à la réalité. »

Kalén expliqua cet échange à Nasta et écouta sa réponse.

« Nasta dit que cette peur ou cette colère que tu fais naître en toi est la même que celle qui te tourmente pour ta mémoire. Les hommes pensent qu’il y a plein de peurs, la peur du noir, la peur des ennemis, la peur d’un animal sauvage, la peur d’un orage mais ce sont toutes les mêmes peurs. La peur n’existe pas en elle-même. Elle n’est que le résultat de l’incapacité des hommes à observer leurs émotions et ensuite à croire que cette peur est réelle. Elle n’est réelle que parce que ces hommes ne sont pas dans la réalité. Ils sont perdus en eux. Toi, tu es perdu en toi parce que tu as peur de t’être perdu. Et cette peur t’empêche de retrouver ta réalité alors qu’elle est toujours là. »

 

Jarwal regarda Nasta. Un visage impassible et pourtant une lueur particulière dans les yeux, deux filaments étroits, une vibration qui le touchait, comme une intrusion intérieure, un lien indéfinissable, l’impression que Nasta voyageait en lui.

Le sage parla de nouveau.

Kalén expliqua.

« Nasta dit qu’il est temps que tu deviennes ce que tu es et que tu cesses d’être attaché à ce que tu crois être. Il veut que tu t’assois face à lui et que tu poses tes mains sur ses genoux. »

 

Jarwal se leva et vint se placer devant le vieil homme. Celui-ci prit délicatement une longue pipe en bois et la garnit d’Aruaca. Il embrasa les feuilles et souffla lentement la fumée sur le visage du lutin.

Jarwal ferma les yeux, intrigué par cette pratique qui lui paraissait peu respectueuse. Il abandonna aussitôt ses réticences sachant qu’il n’en était rien.

Lorsqu’il ouvrit les yeux, Nasta s’était approché de son visage, presqu’à le toucher. Il fut surpris de se trouver ainsi nez à nez avec le visage ridé mais l’intensité des yeux le figèrent aussitôt et il se sentit aspiré. Ou envahi. Il ne savait pas dans quel sens les choses se passaient. Comme une vague d’océan qui montait et se retirait, comme un balancement d’arbre dans la houle du vent, un aller-retour qui l’étourdissait, un mouvement lancinant qui finit par ressembler à une alternance respiratoire…

Inspiration, expiration, inspiration, expiration…

Une nouvelle bouffée de fumée sur le visage. Les yeux fermés.

Nasta entretenait ce balancement hypnotique pour instaurer un rituel bien précis. Il devait se laisser porter, abandonner ses craintes. Il se concentra sur la pression de ses mains sur les genoux du sage. Il sentait à travers le tissu la musculature sèche du vieil homme assis en tailleur. Une chaleur qui le surprit dans la paume de ses mains comme si le vieil homme dégageait un rayonnement solaire.

Le balancement s’accentua encore et il eut l’impression que même son corps bougeait. Il s’aperçut qu’il n’entendait plus les discussions discrètes des femmes et de Gwendoline, qu’il n’entendait plus le crépitement du bois, qu’il n’entendait plus rien d’ailleurs. Il voulut ouvrir les yeux pour se relier à l’environnement disparu et n’y parvint pas. Une lourdeur de montagnes sur ses paupières.

Il sentit pourtant les mains de Nasta se poser sur sa tête, délicatement d’abord puis enserrer progressivement son crâne dans un étau.     

C'est là que tout accéléra...

Une vitesse stupéfiante, comme un plongeon en lui-même, une chute infinie au coeur d'un halo flamboyant.

 

 


 

Suite lorsque la Vie viendra écrire en moi.

 

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