Le clitoris
- Par Thierry LEDRU
- Le 31/08/2017
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C'est effrayant en fait... En 2017... Et personnellement, je vois cela comme un déni de "la femme".
"Prof de SVT depuis dix-huit ans, j’ai découvert cette année ce qu’était vraiment le clitoris"
"Il faut faire la promotion du clitoris."
A 44 ans, quand Jérôme apprend ce qu’est vraiment le clitoris, il constate le même manque d’information auprès de ses élèves. Ce professeur de SVT se réjouit de la parution cette année du premier schéma détaillé du clitoris dans un manuel scolaire.
Floriane ValdayronDepuis douze ans, Jérôme est professeur de Sciences et Vie de la Terre (SVT) dans un lycée mulhousien. Avant cela, il avait enseigné dans divers collèges pendant six ans. Pourtant, ce n’est que cette année, à 44 ans, qu’il a appris ce qu’était réellement le clitoris.
L’enseignant est loin d’être un cas isolé : d’après un rapport du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes paru en juin 2016, une adolescente de 15 ans sur quatre n’a pas conscience d’avoir un clitoris. 84% des filles de moins de 13 ans ne savent pas comment représenter leur sexe alors qu’elles sont capables, à 53%, de dessiner le sexe masculin.
Pour la rentrée 2017, les éditions Magnard publient le premier manuel scolaire représentant en détails le schéma du clitoris. Jérôme s’en réjouit. Pour lui, informer les jeunes sur leur corps est une nécessité :
"Je suis professeur de SVT depuis dix-huit ans dans l’enseignement secondaire. A côté de ça, je suis papa ; j’ai deux jumelles de 4 ans et demi. Ça me paraît évident et essentiel qu’on les informe sur le clitoris quand elles seront au collège.
Comme les garçons, c’est important que les filles se connaissent, qu’elles sachent et comprennent comment elles sont faites. C’est par l’information que l’on peut découvrir son corps et le plaisir.
L’éducation que l’on fait en SVT est principalement fondée sur l’anatomie, la biologie et les hormones. On aborde les choses de manière très mécanique ; on ne parle pas beaucoup de ce qui touche au plaisir. Même si des sages-femmes et des infirmières interviennent pour aborder l’éducation sexuelle autrement qu’à travers les aspects anatomique et mécanique, cela reste insuffisant.
Quand j’étais étudiant, le clitoris était déjà réduit à un petit bouton
Dans le courant de l’année, j’ai vu passer un tweet avec l’image d’un clitoris imprimé en 3D. Il s’agissait de l’œuvre de la chercheuse Odile Fillod, qui avait créé en 2016 un modèle de cet organe à taille réelle. J’ai cliqué sur le lien qui accompagnait la photo. En plus de trouver l’article très intéressant, j’ai réalisé que je n’étais pas au courant de l’immensité du clitoris. J’ai pourtant une maîtrise en SVT.
Au cours de ma formation, j’ai étudié l’embryologie, la manière dont se forment les organes reproducteurs, et l’influence du cerveau sur la reproduction. Le plaisir était absent des programmes.
C’était déjà tabou quand j’étais élève dans le secondaire. Au collège, on avait étudié l’anatomie, mais on ne savait rien. Comme aujourd’hui, les manuels scolaires réduisaient le clitoris à un petit bouton, c’était tout. Il était nommé mais il ne s’agissait que d’un point minuscule, quasiment invisible. Au lycée, on étudiait seulement les hormones. On n’est jamais revenu sur le clitoris.
Plus largement, en société, on ne parlait jamais de ça. Seules des idées préconçues très simples circulaient, avec notamment les clichés sur les femmes vaginales et clitoridiennes.
Les années 1990 ont changé la donne, quand des Rwandaises ont immigré en France à cause de la guerre qui sévissait dans leur pays. Certaines étaient excisées ; ce sujet a donc fait surface. On disait que cette mutilation était atroce, qu’on enlevait aux femmes l’organe du plaisir. Moi je ne savais pas exactement en quoi cela consistait.
Mes lycéens connaissent très bien l’anatomie masculine mais pas féminine
Cette année, quand j’ai lu l’article sur le clitoris, je travaillais sur le thème féminin/masculin avec des élèves de première ES. J’ai décidé que j’allais leur en parler au prochain cours.
En général, ils connaissent tous très bien l’anatomie masculine, car elle est visible de l’extérieur. Mais je me suis dit qu’ils ne devaient pas savoir grand-chose de l’anatomie féminine puisque les manuels ne montrent que des coupes internes avec les organes vus de l’intérieur. Alors j’ai demandé à mes élèves ce qu’ils connaissaient du clitoris.
Ils m’ont dit qu’il mesurait un ou deux centimètres au maximum, que le clitoris était l’organe du plaisir féminin et qu’il était visible de l’extérieur. Ils ne savaient pas que le clitoris avait plus de terminaisons nerveuses que le pénis par exemple. Ni qu’il était constitué d’un gland et d’un prépuce, certes visibles de l’extérieur, mais que le gland se prolongeait à l’intérieur du corps.
L’anatomie est étudiée au collège ; techniquement, les lycéens devraient savoir tout ça. Mais ce n’est pas de leur faute si les manuels ne transmettent pas ces informations.
J'étais stupéfait en voyant le schéma du clitoris
Quand je leur ai montré le schéma du clitoris, j’ai senti que mes élèves étaient gênés. Les garçons étaient un peu rigolards. Les filles ne disaient pas grand-chose. Elles observaient, elles écoutaient. Dans son ensemble, la classe était très attentive.
Bien qu’ils ne l’aient pas exprimé verbalement, j’ai surtout remarqué la surprise des adolescents ; ça se voyait sur leur visage et quand ils chuchotaient entre eux. Je pense qu’ils étaient aussi stupéfaits que moi quand j’ai découvert ce qu’était réellement le clitoris.
Ça ne sert à rien de se vanter d’avoir un pénis.
Pendant nos cours de SVT, nous avions précédemment parlé de la notion de plaisir chez les hommes et les femmes, en faisant le rapprochement avec les animaux puisque nous avons le même mécanisme qu’eux. Nous avions insisté sur une différence de taille : le cortex cérébral, qui est très développé chez les humains.
Le jour où j’ai montré à la classe ce qu’était le clitoris, le sujet est revenu : des filles disaient qu’elles avaient l’impression que certains garçons se comportaient comme des bêtes qui voulaient leur sauter dessus. On a entamé un dialogue autour de la nécessité du dialogue et des caresses.
On est parti du clitoris pour parler du comportement entre les êtres humains ; c’était très constructif. J’ai dit aux garçons qu’ils devaient relativiser l’importance qu’ils apportaient à la taille de leur sexe et que ça ne servait à rien de se vanter d’avoir un pénis qui dépasse, puisque les filles ont la même chose. On en a parlé librement, de manière légère.
Parler du clitoris pourrait faire évoluer les mentalités
Dans notre société, il y a une différence de traitement entre les garçons et les filles, c’est indéniable. Les jeunes hommes se targuent de leurs attributs, alors que le clitoris a été occulté pendant longtemps. Les adolescentes aussi devraient pouvoir être fières de leur anatomie. Je pense que parler du clitoris et éduquer les jeunes à cet organe pourrait vraiment faire évoluer les mentalités ; et avec un peu de chance, les comportements.
Après avoir fait le cours sur le sujet, j’ai raconté à mes collègues la réaction des élèves. Je leur ai dit que ce serait génial que l’on se procure une imprimante 3D pour imprimer le modèle d’Odile Fillod. On ne peut décemment pas se contenter de la maquette de l’école – qui est récente, elle a deux ans – où le clitoris n’est pas représenté dans sa totalité.
Je trouve cela très bien que les éditions Magnard publient un manuel avec un véritable schéma. Cependant, les livres ne sont qu’un des supports à notre disposition. Nous devons aussi exploiter les ressources internet. Dans l’établissement dans lequel j’enseigne, nous avons ainsi prévu de mettre à jour ce que nous allons transmettre aux élèves à la rentrée. Il faut que les savoirs soient actualisés.
Un pas tardif vers l’égalité femmes-hommes
L’initiative de Magnard est très positive, mais c’est le seul éditeur de manuels à l’avoir prise. C’est trop peu. Il faut faire la promotion du clitoris. Quand j’ai découvert l’étendue du sujet, j’en ai parlé à des amis. Je vois bien que c’est quelque chose qui intrigue car je retrouve souvent la même surprise chez les gens. Je ne suis pas le seul qui ne connaissait pas cet organe dans sa globalité.
Je ne sais pas à quoi est dû le retard de la France ; peut-être à des tabous, à une méconnaissance. J’ai l’impression qu’une sorte d’inertie s’est transmise. C’est hallucinant que la première reproduction d’un clitoris dans un manuel scolaire n’arrive qu’en 2017, mais je préfère voir ça comme un pas tardif vers l’égalité femmes-hommes.
Je suis plein d’espoir. Je pense que les gens vont très rapidement mettre leurs connaissances à jour. Les consciences vont s’éveiller à travers l’éduction au collège et au lycée. Bientôt, le clitoris invisible, ce sera fini !
Propos recueillis par Floriane Valdayron
"On commence à peine à en parler" : la lente évolution de la représentation du clitoris
L'organe est, pour la première fois, représenté en détail dans un manuel scolaire pour la rentrée 2017.
Camille AdaoustFrance Télévisions
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Le clitoris débarque dans les manuels scolaires. A la rentrée, les élèves de collège et lycée, en cours de Sciences de la vie et de la Terre (SVT), vont pouvoir découvrir la forme, la vraie, d’un clitoris. Enfin, seulement ceux qui consulteront le manuel des éditions Magnard. Car la lente évolution de la représentation de l’organe du plaisir féminin n’a pas encore atteint tous les livres scolaires.
L’organe est en effet passé par plusieurs phases, d’une période de progrès scientifiques à une véritable omerta. Franceinfo a demandé au sexologue Jean-Claude Piquard, auteur de La Fabuleuse Histoire du clitoris (éditions H&O), de retracer l’histoire de l’organe du plaisir féminin.
Au XVIe siècle, la découverte
En 1558, c’est la grande découverte. L’anatomiste italien Colombo parle, pour la première fois, du clitoris. Il décrit essentiellement sa fonction érogène. "Il faut attendre 1600 pour la première représentation graphique. C’était déjà très proche de la réalité. On voyait le gland, le corps et les deux piliers, raconte Jean-Claude Piquard. L’époque a assisté à de grands progrès sur l’organe féminin."
1850, la grande étape
En 1850, les études de l’anatomiste allemand Georg Ludwig Kobelt sont publiées en français. Il y fait de grandes découvertes sur le clitoris : les bulbes vestibulaires, par exemple, que l'on voit sur l'illustration ci-dessous. "Il a également compris, en suivant les nerfs, que le clitoris regroupait une très grande terminaison nerveuse", ajoute Claude Piquard .
Dans les écrits médicaux publiés au XIXe siècle, le sexologue salue une grande connaissance de l’organe. "Il était connu et reconnu en tant qu’organe du plaisir féminin." A l’époque, "les spasmes sexuels" féminins sont considérés comme nécessaires pour l’augmentation de la fertilité. "De 1750 à 1880, la masturbation était conseillée en couple", relate Jean-Claude Piquard.
1880, la dégringolade
"Seulement vers 1880, la médecine découvre que la procréation est liée à la rencontre entre le spermatozoïde et l’ovule, et que l’ovule dépend du cycle menstruel, plus du tout du plaisir féminin", poursuit Jean-Claude Piquard. De nécessaire, le clitoris devient rapidement dangereux. "La masturbation en couple, à l’époque, était vue comme un moyen de contraception. Et pour la pensée nataliste, elle était un vrai problème", précise-t-il. Cette image, qui veut démontrer les méfaits de la masturbation, illustre son propos :
Freud, que Jean-Claude Piquard surnomme "le grand exciseur", vient alors empirer la situation. Il répand l’idée qu’une fois pubère, une jeune fille ne doit"investir que son vagin, et non plus son clitoris, pour devenir une femme", rapporte Jean-Claude Piquard.
L’omerta des années 1960
Le silence sur le clitoris atteint son apogée dans les années 1960 d’après le spécialiste. "Le clitoris a peu à peu reculé." Dans les traités anatomiques, les Gray's Anatomy, qui sont mis à jour tous les dix ans environ, seules quatre lignes sont consacrées au clitoris pendant la période. Sur les illustrations, il disparaît peu à peu, comme le montre l'image ci-dessous. "Quand on pense qu’avant ça, quatre pages détaillaient l’organe, expliquaient sa neurologie, etc", regrette le sexologue, qui parle d’une "mise à nuit". Il a pu consulter les dictionnaires de l’époque, dans lesquels le mot "clitoris" n’est même plus défini. "La science a reculé devant une idéologie nataliste", déplore-t-il.
Le sexologue tient à rappeler un épisode qu'il juge significatif : "Le clitoris et la vulve ont fait une petite apparition dans les manuels de sciences naturelles dans les années 1980, mais ils ont été rapidement supprimés après une attaque en justice de groupes religieux."
La lente prise de conscience, jusqu'à 2017
C’est l'urologue australienne Helen O'Connell qui vient briser l’omerta, en 1998. Elle décide de publier un dessin détaillé du clitoris, que l'on peut observer ici. "Mais la médecine sexologique a pris beaucoup de retard", note Jean-Claude Piquard.
Dans les classes, le clitoris est rarement abordé. Dans le cadre de son mémoire, Annie Sautivet a réalisé une étude (publiée sur le site de Jean-Claude Piquard) en 2009 dans un collège de Montpellier (Hérault). Elle y explique que seules 16% des jeunes filles de 4e interrogées et 35% des élèves de 3e connaissent les fonctions du clitoris. Les professeurs racontent, en effet, que l'organe n'est que rarement évoqué pendant les études de médecine. "Au cours de ma formation, j’ai étudié l’embryologie, la manière dont se forment les organes reproducteurs, et l’influence du cerveau sur la reproduction. Le plaisir était absent des programmes", confirme un professeur de SVT de Mulhouse (Haut-Rhin) à L'Obs.
"Dans les manuels, il faut attendre 2017 pour que le clitoris revienne. Et un seul a franchi le pas", note Jean-Claude Piquard. Pour cette rentrée en effet, seule l’édition Magnard a illustré l’organe dans sa totalité, comme le montre ce montage publié sur Facebook.
"On commence à peine à en parler, il y a des initiatives", se réjouit Jean-Claude Piquard, qui évoque l’impression en 3D d’un clitoris par la chercheuse Odile Fillod, en 2016. Pour le sexologue, le clitoris a pourtant encore beaucoup de chemin à faire. Et pour accélérer les choses, Jean-Claude Piquard n’hésite pas à dessiner l’organe grandeur maximale dans des champs : 120 mètres, comme le décrit France Bleu, pour dénoncer le silence autour de cet organe.
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