Le Wei Chi : l'opportunité de transformation
- Par Thierry LEDRU
- Le 15/03/2020
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Je l'ai déjà décrit ici. Dans une crise, quelle que soit sa nature", le "wei" concerne la crise en elle-même et le "chi" concerne l'opportunité de transformation qu'elle contient.
Il s'agit donc de se projeter dans un avenir immédiat et lointain afin que les leçons de la crise soient appliquées.
Dans le cas de la crise actuelle, les changements à opérer sont gigantesques...Entre les annonces politiques en cours sur ces changements nécessaires et les mises en oeuvre, il faudra juger sur pièces. "Les promesses n'engagent que..."
Il reste à savoir si la population occidentale est à même de prendre en considération l'inévitable transformation de leur existence. Lorsque je vois les comportements d'un grand nombre d'individus, j'en doute quelque peu...Il faut donc attacher notre attention à ceux et celles qui sont déjà engagés dans cette voie de transformation et à agir à notre mesure.
"Ce ne sont ni la politique, ni les religions en place, ni l’accumulation de connaissances scientifiques qui vont résoudre nos problèmes — pas plus que les psychologues, les prêtres, les spécialistes.
La crise, elle est dans notre conscience, c’est-à-dire dans notre esprit, dans la manière que nous avons de considérer le monde sous un angle étriqué et limité.
C’est là qu’est la crise.
L’esprit humain a évolué sur des millions et des millions d’années, il est conditionné par le temps et l’évolution.
Un esprit conditionné de la sorte, avec la conscience étroite, limitée, exclusive qui est la sienne — considérant la crise qu’il traverse dans le monde actuel — peut-il jamais être changé ?
Peut-il amener un changement radical au sein de ce conditionnement ?"
Krishnamurti à Ojai le 9 mai 1981.
Pas la peine de faire un dessin : le coronavirus écrase la réalité, il est la réalité. À force de venir vers nous à toute vitesse, le futur vient de nous percuter. Nous voici dans un mélange de Years and Years et de Contagion. À côté des conséquences qu’il provoque, plus rien n’existe. Et quoi qu’il se passe désormais, à l’issue de cette crise majeure, mondiale et totale, plus rien ne sera comme avant. On écrit souvent cela par habitude, par paresse intellectuelle, mais cette fois, on peut dire que la formule n’est pas usurpée.
Comme nous l’écrivions dans l’édito de notre dernier numéro, la frontière entre réalité et fiction se brouille, celle entre présent et futur s’efface. Pendant quelques semaines, peut-être davantage, nos vies quotidiennes vont être bouleversées. Nous allons vivre au rythme des consignes officielles, mais aussi du décompte macabre des personnes infectées, puis décédées. De notre capacité à rester disciplinés et à nous entraider les uns les autres dépendra notre salut collectif et individuel. Mais au terme de cette période, à considérer que l’atmosphère redevienne respirable – ce qui à ce jour reste heureusement l’hypothèse la plus probable – nous aurons à nous interroger sur notre modèle de civilisation.
Dans son discours à la nation prononcé jeudi 12 mars, le président de la République a posé les bases d’un virage majeur : « Il nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile au grand jour les faiblesses de nos démocraties. Ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite, sans condition de revenus, de parcours ou de profession, notre État-providence ne sont pas des coûts ou des charges, mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe. Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie, au fond à d’autres, est une folie. »
Il s’agit là d’un changement de cap jamais vu depuis 1945. Ceux qui militaient sur le plan idéologique pour un tel choix doivent se pincer pour y croire : le « président des riches » n’a pas hésité une seconde avant de se jeter dans la défense sans ambiguïté d’un Welfare State qu’en son temps Roosevelt avait bâti sans l’ombre d’une hésitation. Si le coronavirus n’est pas un châtiment divin provoqué par notre amour du capitalisme, ses conséquences dans un paysage balayé par ce dernier s’avèrent désastreuses. De ce point de vue, le choix du président n’est pas dicté par son inclination conceptuelle, mais par la nécessité. C’est le seul choix possible en pareilles circonstances. Certains diront que Macron a été insincère, et c’est peut-être là notre « chance » : le pragmatisme l’a emporté.
Pas d’ONU sans seconde guerre mondiale. Pas de sécurité sociale sans régime de Vichy. L’espèce humaine est incorrigible : elle attend la catastrophe pour réagir.
Bien sûr, il faudra que ce discours soit suivi d’effet. Emmanuel Macron ne pourra pas refaire le coup de Jacques Chirac, lyrique à la tribune de l’ONU sur la question du réchauffement climatique, craintif dans son action quotidienne. Mais précisément : c’est le moment de le prendre au mot. Tout anathème nous fera perdre du temps.
Nous nous sommes souvent posés la question, en tant que journal dédié à l’avenir : peut-on prendre de grandes décisions « à froid » ? La réponse est non, et cette crise vient de le prouver : pas d’ONU sans seconde guerre mondiale. Pas de sécurité sociale sans régime de Vichy. L’espèce humaine est incorrigible : elle attend la catastrophe pour réagir. C’est hélas dans les moments les plus tragiques qu’on prend soudain conscience de la nécessité absolue de contraindre la main invisible. Et c’est quand on le croit moribond, achevé par le libéralisme triomphant, que l’État est appelé à la rescousse. L’État qui organise, l’État qui protège, l’État qui soumet la loi de la jungle à sa propre loi à lui, celle de l’intérêt général.
Interdépendants, reliés par une communauté de destins, les êtres humains ne peuvent plus longtemps vivre dans la défiance, l’égoïsme et le saccage
Parce que nous pensons qu’un jour viendra où nous pourrons à nouveau nous toucher et nous embrasser les uns les autres, cela signifie continuer à armer intellectuellement les générations actuelles et futures pour le monde d’après. Interdépendants, reliés par une communauté de destins, les êtres humains ne peuvent plus longtemps vivre dans la défiance, l’égoïsme et le saccage.
Si nous n’avons pas pu ou su éviter ce qui nous arrive, qu’au moins cela nous serve de leçon : un monde fondé sur la compétition et la prédation court à sa perte. Cette leçon, puissions-nous ne jamais l’oublier.
En attendant de recommencer à croire au futur, que chacun se protège et prenne soin de ses proches. Parfois, revenir à l’essentiel est le meilleur des programmes politiques."
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