Lettre à une petite fille

 

J'ai reçu une carte par la poste. 

Il s'agit de ça :

"Chaque année, autour de la « Journée internationale pour l’élimination des discriminations » du 21 mars, plus de 100 000 enfants et jeunes adressent un message de fraternité à des inconnus dans leur département sur une carte postale à 3 volets, invitant le destinataire à répondre. Une relation inédite se créée, fondée sur l’échange et la sensibilité."

http://www.laligue.org/jouons-la-carte-de-la-fraternite-2016/

 

Margaux, élève de CE1, a écrit : "Une maman inquiète. La solitude est froide. Le bébé et sa maman ont froid."

 

Je lui ai répondu.

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"Bonjour Margaux

Je t’écris ce courrier car j’ai reçu une carte à ton nom avec un message. Il s’agissait d’une carte présentant une maman avec son bébé et une dame âgée qui leur rend visite.

 

« Une maman inquiète. La solitude est froide. Le bébé et sa maman ont froid. »

 

J’ai été surpris en lisant ces trois phrases et j’y ai beaucoup réfléchi.

J’ai été surpris car je n'ai pas vu pas la même chose que toi sur cette photographie et je ne comprenais pas pourquoi, tu avais une interprétation aussi triste.

Ton message porte beaucoup de tristesse et de peur. De la tristesse pour cette maman et son bébé.

Je suis d’accord avec toi que la solitude et le froid sont des situations qui peuvent être très difficiles et il y a effectivement des gens qui en souffrent dans le monde. Des adultes, des personnes âgées, des enfants et des bébés.

Mais quand je regarde cette image, sans rien en connaître au préalable, je vois une dame âgée qui vient rendre visite à une maman, elle sourit en regardant le bébé et la maman n’a pas l’air inquiète. Il n’y a pas de solitude mais au contraire de l’aide, de la solidarité, de la fraternité, de l’amour. Regarde le visage du bébé, il ne pleure pas, il regarde tranquillement au-dessus.

Il y a donc plusieurs éléments dans cette photographie qui me font penser à une situation plutôt sereine.

Et c’est pour cela que j’ai essayé de comprendre pourquoi tu avais ressenti autant de tristesse devant cette photographie.

Je ne te connais pas et je ne sais pas si tu souffres toi-même du froid et de la solitude. J’espère que ça n’est pas le cas et que tu es une petite fille la plus heureuse possible.

Maintenant, je me demande si les images qui viennent du monde adulte ne sont pas trop perturbantes pour toi et tous les enfants de ton âge parce qu’elles ne sont pas accompagnées des explications nécessaires. C’est juste une photographie et tu ne peux pas savoir ce qui se passe en réalité.

Comme le monde autour de toi est souvent montré dans ses aspects les plus tristes, peut-être que toi et les enfants en général finissent par être inquiets, par avoir peur et même par ne plus être capables de vivre comme des enfants. Les peurs des adultes finissent par devenir les vôtres.

C’est quelque chose qui me peine vraiment. Je pense que toi, comme tous les enfants, vous n’êtes pas assez protégés de toutes ces images. Les attentats, les guerres, les maladies, les réfugiés, les enfants qui ont faim, qui ont froid, qui ont peur…

Ce sont des choses très difficiles à comprendre.

Et j’ai peur finalement que tu imagines des choses tristes quand il n’y en a pas.

 

Toi, Margaux, comme tous tes camarades d’école, vous ne pouvez rien changer à ce monde. Vous ne pouvez rien faire pour qu’il aille mieux. Pas maintenant. Juste parce que vous êtes des enfants. Ce sont des problèmes d’adultes qui ne vous concernent pas.

Peut-être que lorsque tu seras adulte, Margaux, tu agiras pour la paix ou la santé, ou l’éducation des enfants, peut-être que tu aideras les gens qui en ont besoin.

Mais là, maintenant, je pense que pour toi, comme pour tous tes camarades, il serait bon que vous soyez protégés de toutes les images qui font peur et que vous ne pouvez pas vraiment comprendre.

Je n’ai plus de télévision depuis plusieurs années mais j’imagine bien, en ce moment, toutes les images que tu risques de voir.

Je pense que tout ça n’est pas bon pour toi parce que tu ne peux rien y changer.

 

Regarde de nouveau cette photographie et essaie d’imaginer cette fois le bonheur de cette maman qui reçoit une visite, le bonheur du bébé qui sent les câlins, qui entend des voix douces, regarde le décor aussi, il ne s’agit pas d’une maison en ruines, d’un pauvre abri ou même de la rue. C’est la pièce d’une maison, avec une tapisserie, du mobilier. Les gens ont des habits en bon état, on voit un sac à main suspendu au mur. Il n’y a pas de misère et de tristesse dans cette image mais juste une situation pour laquelle tu manques de repères.

 

Je pense aussi que tu manques d’informations sur la vie des autres peuples du monde. La façon dont nous vivons en France n’est pas nécessairement la même partout. Des enfants qui vivent dans la jungle amazonienne ne vivent pas comme toi et ils ne sont pas nécessairement malheureux. Tu peux en profiter pour demander à l’enseignant de ta classe de te montrer des livres sur les Peuples du monde, en Afrique, en Amérique du sud, en Asie. Il y a beaucoup de choses à apprendre et tu verras des enfants et des gens heureux. Ils ne vivent juste pas comme toi en France mais ils ne sont pas tristes pour autant.

 

J’ai quand même voulu connaître l’histoire de cette photographie Margaux et peut-être que tu avais entendu l’explication en classe.

Il s’agit d’une maman appartenant à la communauté des Roms. La dame âgée était médecin, elle est à la retraite mais il n’y a qu’elle pour soigner les gens. Il n’y a pas d’autre docteur. Elle vient voir si elle peut aider la maman et vérifier que le bébé est en bonne santé. Cette photographie cherche à montrer que certaines populations n’ont pas accès à une médecine moderne comme la nôtre en France. D'ailleurs, il a fallu que je comprenne la scène pour voir le stéthoscope de la dame âgée. Je n'avais pas bien regardé la première fois et l'image est assez sombre sur la carte. Je n'avais vraiment observé que les visages et un peu le décor. Ce qui prouve bien Margaux que même un adulte peut ne pas comprendre immédiatement une image. Alors, pour un enfant, c'est encore plus difficile. 

 

Mais, toi, Margaux, tu n’y peux rien à cette situation. Je comprends que cette photographie puisse te faire de la peine parce que tu ne comprends pas bien ce qu’elle montre mais cette tristesse ne changera rien. Elle ne fera que gâcher ta journée. La maman et le bébé ne se porteront pas mieux parce que toi tu es triste.

Je suis même certain que si cette maman apprenait que tu es triste en la regardant, elle serait triste elle aussi.

Personne ne peut rendre quelqu’un heureux en étant triste soi-même.

Bien sûr qu’il est important d’apprendre et de connaître, mais que ça te rende triste ou inquiète est par contre inutile.

Alors, puisque maintenant, tu ne peux rien faire pour cette maman et que cette tristesse ne sert ni à elle, ni à toi, je te propose autre chose Margaux : sois heureuse.

 

 Je vais te raconter un petit exercice pour le soir.

Quand tu es dans ton lit, tu fermes les yeux, tu mets tes mains à plat sur ton ventre et tu te concentres sur ta respiration, tu observes le mouvement à l’intérieur, les battements de ton cœur, les gargouillis de ton ventre.

L’objectif est que tu prennes conscience de cette vie en toi, que tu réalises que le bonheur, il est là, à l’intérieur de toi et qu’il est important de prendre soin de lui. Tu peux même penser à remercier cette vie en toi.

Imagine ce que tu veux, un soleil, une fleur, une couleur, quelque chose de beau, de chaud, de tendre, quelque chose que tu aimes, qui te rassure et te fait du bien. C’est la vie en toi et elle est magnifique.

Toutes les images qui t’auront inquiétée disparaîtront, toutes les colères ou les peurs, les tristesses et les questions sans réponses, tout ça s’effacera si tu regardes juste cette vie en toi, que tu l’écoutes, que tu apprends à la ressentir.

 

Et le matin, quand tu te lèves, tu peux aussi remercier pour cette vie et ta force, pour la joie de pouvoir être heureuse, juste parce que tu peux jouer, rêver, courir, regarder la nature, manger, boire, apprendre, retrouver tes amies, tous les gens que tu aimes...

Il est important de savoir s’offrir des moments de joie Margaux.

Et la joie qui brillera dans ton cœur fera du bien à tous les gens qui croiseront ta route.

 

Je te souhaite Margaux de trouver ce bonheur en toi.

 

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