Libre arbitre (2)
- Par Thierry LEDRU
- Le 26/02/2012
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Dans le déroulement de vie d'une personne, on peut considérer que l'éducation favorise l'émergence de trois paramètres : la culture s'impose en premier lieu, elle se renforcera dans certains domaines pour devenir une réelle connaissance à travers diverses expériences, puis, dans certains cas et pour certaines personnes, viendront prendre place les convictions.
Un petit enfant africain, un petit enfant européen ou un petit enfant asiatique n'aura pas le même bagage culturel, ses connaissances et ses convictions seront influencées par cet environnement culturel.
-Culture : accumulation de « savoirs. »
-Connaissances : une culture à laquelle s'ajoute une expérience. Savoir et faire. Avoir et être.
-Convictions : idées profondément ancrées à travers les connaissances accumulées.
Dès lors se pose le problème du libre arbitre...
« La notion de libre arbitre, synonyme de liberté, désigne le pouvoir de choisir de façon absolue, c'est à dire d'être à l'origine de ses actes. »
Mais si nous gardons à l'esprit les influences environnementales, est-ce qu'il est possible d'envisager ce libre arbitre ? Ne sommes-nous pas plutôt fondamentalement « enfermés » dans des fonctionnements qui nous échappent ? Le libre arbitre ne nous est-il pas retiré au fur et à mesure de notre avancée, au fil des expériences de vie ?
Ne s'agirait-il donc pas davantage d'une liberté à prendre ?
Un sujet qui se voudrait libre est sensé pouvoir choisir de lui-même ce qu'il choisit, sans être poussé à l'avance d'un coté ou d'un autre par quelque influence ou cause que ce soit. Si l'individu « choisit », c'est qu'il dispose de plusieurs options et surtout qu'il bénéficie d'un complet contrôle de lui-même. Il se doit d'être « vierge » de toutes influences... Mais est-ce que c'est possible ? Ne conviendrait-il pas plutôt d'être capable d'identifier clairement l'ensemble de ces influences afin de s'en détacher et de pouvoir assumer dès lors l'intégralité du choix ?
La diversité des conditions de vie, les relations sociales, le poids du passé, l'intégration, le formatage intellectuel, ne maintiennent-ils pas insidieusement un détournement de l'esprit, une direction donnée ?
Les conditions objectives n'enferment-elles pas l'esprit dans un conditionnement subjectif ?
Sur quoi repose la notion de libre arbitre ?
N'est-elle pas simplement une certaine forme de prétention, un déni de l'enfermement ?
Un exemple :
J'ai décidé de réfléchir sur la notion de libre arbitre, sur l'idée essentielle de ma liberté. Je tente de cerner les tenants et les aboutissants (en voilà une expression bien « culturelle »...) et aussitôt me viennent à l'esprit les résidus de mes cours de philosophie : Platon, Spinoza, Nietzsche, Schopenhauer... La culture est là (enfin, bon, quelques restes de culture...). Jaillissent aussi mes quelques expériences de vie à travers lesquelles je peux constater que beaucoup trop d'éléments m'ont échappé pour que je puisse affirmer que mes choix se sont faits en toute liberté. Intervient dès lors la conviction que ce libre arbitre n'est qu'une illusion...
Est-ce que cette réflexion porte fondamentalement une liberté totale ou n'est-elle qu'un imbroglio anarchique de multiples données chaotiques...Un immonde fatras en quelque sorte ...
Bien sûr que j'ai décidé librement de mener cette réflexion... Tiens, non, d'ailleurs, ça n'est même pas certain...C'est peut-être plus justement une certaine souffrance liée à un désordre intérieur, une inquiétude de voir à quel point tout m'échappe... Ce sont mes conditions existentielles de vie qui m'ont amené à réfléchir. Je n'ai fait que réagir à un tourment. Je n'ai pas été libre d'entamer cette quête et je ne peux que tenter de la mener à son terme pour m'en libérer... Mais alors, pour être libre, il faudrait s'être libéré... Ça paraît absurde et pourtant il s'agit bien sans doute de cela.
Le libre arbitre ne serait que l'effort à mener pour être davantage libéré de tout ce que l'on porte. Plus profondément encore, le libre arbitre ne serait que la conscience de mon enfermement et l'éventuel élargissement de la cellule...
Je peux quand même me réjouir de taper librement sur mon clavier, c'est un acte que je maîtrise, que j'ai pensé, que je pense et que j'élabore. GRTDFCVHKKIO...Voilà ce que ça donnerait si je n'avais pas de culture. Chouette, je suis donc libre par ma culture et la connaissance expérimentale que j'en ai. Tiens, d'ailleurs, je vais aller me faire un café et je reviens. Yeah, je suis libre de me lever et d'aller faire un café. Comme la vie est belle et riche de trésors !
Aucune moquerie là-dedans d'ailleurs... J'ai la chance extraordinaire de posséder encore toute mon intégrité physique. Peut-être d'ailleurs devrais-je m'en contenter et arrêter de me prendre la tête. Mais je suis aussi un être tourmenté qui a besoin d'explorer les espaces intérieurs. C'est peut-être culturel, peut-être historique (ma petite histoire personnelle bien évidemment), l'écheveau des traumatismes irrésolus pourrait-on dire.
Excellent ce café.
Bon, je suis libre de taper sur mon clavier parce que j'ai enregistré toute la connaissance nécessaire mais je ne suis pas libre des pensées qui m'envahissent et tourneboulent. Il faut donc que je les saisisse au vol et que je les autopsie. Sacrée boucherie en perspective...
Philosophiquement parlant, si je veux pouvoir autopsier ces pensées, il faut que je me libère des émotions qui les nourrissent sinon, je ne ferai qu'entretenir leur croissance en générant d'autres émotions comme autant d'engrais. Je me dois d'être lucide. D'ailleurs, si je continue à me répéter que mon libre arbitre est une illusion, je crée en moi une émotion mortifère qui me désole et me ronge et si par contre je décide que je suis libre, je libère un bonheur hallucinogène qui trouble ma lucidité.
Je dois donc être neutre ou pour parler scientifiquement me soumettre à une lobotomie volontaire. Cela fait-il du libre arbitre et du contrôle qu'il suppose une donnée évidente ? Est-il si évident que nous avons un contrôle sur nos pensées et nos émotions ? La plupart de nos supposées « actions », ne sont-elles pas en réalité des réactions mécaniques qui répondent à autant de facteurs intérieurs (émotions, préjugés...) et extérieurs (les circonstances) que nous ne contrôlons pas ? Et nos supposées pensées ne sont-elles pas toujours la résultante de pensées antérieures ?
Prenons l'exemple d'un arbre au milieu d'une forêt. Bien sûr qu'il continue à croître et à se dresser vers la lumière mais son environnement influe sur cette croissance. La proximité des autres arbres, le climat, l'intervention humaine, un accident de parcours dans une tempête redoutable. Il n'existe pas de croissance libre.
La multitude des expériences de vie et mon environnement immédiat et même planétaire conditionnent ma croissance. Et l'ensemble de mes pensées n'est qu'un courant agité par cet environnement lui-même.
D'ailleurs, si je remonte encore plus loin vers la source ou vers la graine, je n'ai même pas choisi ce que je suis. Je n'ai pas choisi délibérément ma naissance. Est-il envisageable de parler de liberté innée ? Je ne pense pas. Il ne peut s'agir que d'une liberté qui s'acquiert. Ou plutôt de la désintégration progressive de tout ce qui peut porter atteinte à la liberté.
Disons qu'il n'y a aucune liberté. Mais qu'il est éventuellement possible au fil du temps d'en acquérir.
Une liberté qui concerne uniquement l’énergie que je mets dans mes actes mais en gardant à l’esprit que ces actes sont générés par des influences que je me dois d’identifier. Sinon, quelle que soit la qualité de mes actes, ils ne pourront être qualifiés de « libres ».
Pour que cette identification se réalise, il est nécessaire d’entrer dans le « juste milieu ».
Je ne suis rien à 100%, ni libre, ni enfermé mais je peux naviguer entre ces deux extrêmes en agissant lucidement, c'est à dire d'identifier, avant même d'agir, toutes les influences qui pourraient troubler la pensée et l'acte à venir.
La quête de ce libre arbitre devient dans cette constance de l'analyse une sorte de tuteur contre lequel je dois m'appuyer pour crôitre. Il y a aura inévitablement des ralentissements dans cette croissance, des erreurs d'itinéraire, comme une plante qui s'éloignerait de son tuteur et piquerait du nez, il y aura des flamboyances aussi, comme des paliers franchis vers le haut, puis des moments de repos...
Rien ne sera jamais définitif, rien ne sera jamais figé.
C'est une ascension à mener avec tous les événements inhérents à la tâche.
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