Qu'en est-il de la 5G ?

Un commentaire d'un internaute à la suite de cet article :

"L'intérêt principal des industriels de la 5G est-il ? :

- votre santé

- les dividendes des actionnaires

- l'environnement

Vous avez une minute. Une seule réponse possible."

 

Des antennes-relais au sommet du mont Aigoual, dans le Massif central, le 13 septembre 2019.
Des antennes-relais au sommet du mont Aigoual, dans le Massif central, le 13 septembre 2019. (BENJAMIN POLGE / HANS LUCAS / AFP)

Il y a comme de la friture sur la ligne. Près de 70 élus, parmi lesquels des nouveaux maires écologistes de grandes villes (Marseille, Bordeaux ou Lyon), ont demandé à Emmanuel Macron et au gouvernement un moratoire sur le déploiement de la 5G. Leur requête, formulée dans Le Journal du dimanche, le 13 septembre, a été balayée d'un revers de la main par Emmanuel Macron dès le lendemain. Le président a assuré que "la France [allait] prendre le tournant de la 5G", ironisant au passage sur ceux qui préféreraient "le modèle amish" et le "retour à la lampe à huile".

Pour appuyer leur revendication, qui reprend l'une des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, les signataires de la tribune avancent pourtant une série d'arguments contre la téléphonie mobile de cinquième génération. Franceinfo les a passés en revue, afin de voir s'ils disent vrai ou "fake", alors que les enchères pour l'attribution des premières fréquences doivent se tenir fin septembre, avec en ligne de mire des offres commerciales d'ici à la fin de l'année.

"Cette décision intervient sans étude d'impact climatique et environnemental" : vrai

Des sénateurs ont conduit une mission d'information sur l'empreinte environnementale du numérique. Au cours de leurs travaux, ils ont entendu début février le président du conseil d'administration de l'Agence de la transition écologique (Ademe), Arnaud Leroy. Celui-ci a réclamé "une étude d'impact environnemental sérieuse sur le déploiement de la 5G". Dans son rapport, rendu fin juin, la mission du Sénat écrit qu'elle "regrette" cette lacune. Elle demande une évaluation "complète", sur l'ensemble de la chaîne technologique (de la fabrication à l'utilisation, des antennes aux smartphones).

S'appuyant sur le Code de l'environnement, le président du Sénat en a fait la demande début mars par courrier au Haut Conseil pour le climat. De son côté, le gouvernement vient, mi-septembre, de confier une mission conjointe à l'Ademe et à l'Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques des postes et de la distribution de la presse).

Réaliser une telle étude risque toutefois de ne pas être chose aisée. "Il faut disposer de données qui viennent des constructeurs d'équipements et ces données ont été très longues à obtenir. Elles sont arrivées il y a un peu moins d'un an en ce qui concerne la consommation énergétique", relève Hugues Ferreboeuf, directeur de projet au Shift Project, un groupe de réflexion sur la transition énergétique. Frédéric Bordage, fondateur de GreenIT.fr, qui milite pour un numérique plus responsable, voit lui un obstacle plus grand encore : "Aucun pays n'a déployé totalement la 5G avec un parc de terminaux, des contenus disponibles et des usagers qui l'utilisent concrètement."

La 5G est "une nouveauté technologique dont l'utilité reste à démontrer" : à nuancer

Signataire de la tribune, le maire écologiste de Grenoble, Eric Piolle, avait fait de son propre aveu "un petit raccourci légèrement provocateur", en affirmant au "Grand Jury" sur LCI début juillet que "grosso modo, la 5G, c'est pour nous permettre de regarder des films pornos, même quand vous êtes dans votre ascenseur, en HD". Cette vision est toutefois réductrice.

La promesse technologique de la 5G est celle d'une téléphonie mobile avec "un meilleur débit" et "plus de capacité", permettant d'échanger "une quantité beaucoup plus importante de données", résume l'Arcep"L'industrie va s'appuyer sur ces très hauts débits pour proposer de nouveaux usages, de nouvelles expériences", assure Frédéric Bordage.

"Les utilisateurs vont pouvoir regarder une vidéo en très haute définition en déplacement, en se servant de leur smartphone comme d'une box", illustre l'expert. "On pourra évoluer vers des jeux vidéo en très haute définition, en réalité virtuelle et en streaming", ajoute Hugues Ferreboeuf.

Nicolas Guérin, président de la Fédération française des télécoms et secrétaire général du groupe Orange, imagine des villes intelligentes.

Avec la 5G, vous pourrez avoir des réseaux d'éclairage public qui vont s'allumer s'il y a des besoins, s'il y a des voitures ou des gens qui passent.Nicolas Guérin, président de la Fédération française des télécoms

"Vous pouvez rendre vos poubelles intelligentes. Vous pouvez constater leur taux de remplissage et mieux organiser vos tournées de ramassage", indique encore Nicolas Guérin.

L'Arcep liste d'autres applications possibles : l'agriculture connectée, les robots industriels, les navettes autonomes, la gestion du trafic automobile, la télémédecine...

"Son déploiement en France aboutira à un 'effet rebond' (...) synonyme d'une très forte consommation d'énergie" : vrai

C'est l'une des inquiétudes des élus qui ont signé cette tribune : la 5G "est conçue pour permettre des débits dix fois supérieurs à la 4G sur les smartphones". De quoi entrainer une forte consommaton d'énergie. "Les antennes 5G consomment trois fois plus d'électricité que les antennes 4G, mais produisent 15 fois plus de débit, donc à débit constant elles sont 5 fois plus efficaces énergétiquement aujourd'hui et, d'ici cinq ans, dix fois plus efficaces énergétiquement", oppose Nicolas Guérin. 

Mais ce calcul de l'efficacité énergétique à usage constant est biaisé. Olivier Roussat, le président-directeur général de Bouygues Telecom, l'a lui-même exposé, lors de son audition devant le Sénat début juin. "La 5G permet, lorsque l'on transporte des données, de le faire avec moins d'énergie. En revanche, elle augmente considérablement les débits et permet donc un usage beaucoup plus important, donc de transporter davantage de données, ce qui est beaucoup plus consommateur. Il est donc erroné d'affirmer que la 5G permettra des efforts en matière d'énergie. Après la première année de déploiement, la consommation énergétique de tous les opérateurs affichera une augmentation importante."

Cet effet rebond se produira, c'est tout à fait certain. Il est complètement consubstantiel au fonctionnement de l'écosystème numérique depuis 15 ans.Hugues Ferrebœuf, directeur de projet au Shift Project

"Au lieu de regarder des vidéos en SD ou en HD sur son smartphone, on va les regarder en 4K ou en 8K, illustre Hugues Ferrebœuf. Et à chaque fois qu'on change de standard de qualité, on multiplie par trois le volume de données qu'on utilise." L'expert en veut pour preuve le cas sud-coréen, où le déploiement de la 5G est déjà bien avancé. "En Corée du Sud, un opérateur a constaté que ses clients 4G, en passant à la 5G, multipliaient par trois le volume de données qu'ils consommaient sur le réseau en quelques semaines."

La 5G va entraîner "un renouvellement d'une large part du matériel, augmentant encore l'empreinte écologique" : vrai

"Le déploiement de la 5G va exponentiellement accélérer l'exploitation de ressources naturelles non renouvelables, la pollution due à l'extraction des métaux rares, et la génération de quantité de déchet pas ou peu recyclable", craignent les signataires de la tribune. En cause notamment : la conception d’appareils adaptés à la nouvelle technologie.

Tout comme il a fallu acheter un portable compatible pour bénéficier de la 4G, il faudra faire l'acquisition d'un smartphone équipé d'une puce 5G pour se connecter au nouveau réseau. 

Quand on accélère l'obsolescence des smartphones 3G ou 4G en déployant la 5G, on augmente significativement ses impacts environnementaux.Hugues Ferrebœuf

A l'heure actuelle, la fabrication des smartphones, tablettes et autres objets connectés représente 47% de la pollution générée par le numérique, loin devant le réseau (28%) et les centres de données (25%), évalue l'Ademe dans une analyse de novembre 2019. Pour produire un appareil électronique, il faut entre 50 et 350 fois son poids en matières premières, soit 800 kilos pour un ordinateur portable. Un smartphone contient 70 matériaux différents, dont quelque 50 métaux, qu'il faut extraire au prix d'une forte pollution, chiffre l'Ademe dans une autre étude. Le numérique est responsable d'environ 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre à la surface du globe. Cette empreinte carbone pourrait même doubler d'ici à 2025, compte tenu de l'augmentation des usages.

Trois Français sur quatre ayant actuellement un smartphone, selon l'Ademe, même si tous ne passent pas à la 5G dans l'immédiat, "des dizaines de millions" d'appareils seront malgré tout mis au rebut, estime Frédéric Bordage. Bien que le président de la Fédération française des télécoms mette l'accent sur les efforts des acteurs du secteur en matière de recyclage, l'Ademe évalue à 15% seulement le nombre d'appareils collectés. En outre, la complexité des alliages rend leur réutilisation compliquée. En faisant naître de nouveaux usages, la 5G va accélérer ce phénomène, redoute Frédéric Bordage. "Cet effet rebond est certainement la source d'impacts environnementaux dont on doit avoir le plus peur."

Cependant, pour Numerama, il n'est pas dit que la 5G précipite ce renouvellement du parc. Les Français changent déjà de téléphone tous les deux ans en moyenne et 88% le font alors que leur appareil fonctionne encore, pointe l'Ademe. Leur prochain changement de smartphone pourrait donc tout simplement coïncider avec l'arrivée des offres 5G. Les sites spécialisés invitent d'ailleurs les consommateurs à ne pas se précipiter sur les nouveaux smartphones 5G, tant que le réseau n'est pas pleinement déployé.

La 5G "aboutira à une hausse du niveau d'exposition de la population aux ondes" : vrai

"Il y aura forcément une exposition plus importante, puisqu'on va exploiter des bandes de fréquences supplémentaires", commente Hugues Ferrebœuf. Deux nouvelles bandes vont en effet être ouvertes pour la 5G : celle des 3,5 GHz dans un premier temps, puis celle de 26 GHz. Reste à savoir quelles seront les conséquences pour la santé.

Une évaluation spécifique sur les effets en la matière a été demandée à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), qui a rendu un rapport préliminaire (PDF) en octobre 2019. L'Anses y constate "un manque important voire une absence de données relatives aux effets biologiques et sanitaires potentiels" d'une exposition aux fréquences 5G. L'expertise finale, attendue au premier semestre 2021, après le lancement des offres commerciales, doit indiquer si les connaissances actuelles peuvent être extrapolées à cette nouvelle technologie.

En attendant, le gouvernement a confié en juillet à quatre administrations une mission portant notamment sur cet enjeu de santé publique. Celles-ci ont passé en revue les dizaines de milliers d'études parues dans le monde sur les radiofréquences et les milliers menées sur la téléphonie mobile.

Elles ont rendu leur rapport en septembre, précisant qu'"il n’existe pas, selon le consensus des agences sanitaires nationales et internationales, d’effets néfastes avérés à court terme" des ondes sur la santé, lorsque les valeurs limites d'exposition recommandées ne sont pas dépassées. Les effets à long terme sont "difficiles à mettre en évidence" et "à ce stade, pour l'essentiel, non avérés". Ils font toujours l'objet de débats au sein de la communauté scientifique.

"La réglementation actuelle est basée sur les phénomènes d'échauffement et elle nous protège des effets thermiques", assure Yves Le Dréan, membre de l'Institut de recherche en santé, environnement et travail à Rennes. "Même si vous avez un appareil qui émet au maximum de la norme, on va mesurer un échauffement de quelques dixièmes de degrés au niveau de la peau. Mais on est très loin d'un effet thermique. L'énergie de ces ondes ne sera pas suffisante pour provoquer des dommages cellulaires", souligne l'expert.

"L'arrivée de la 5G risque surtout d'aggraver les fractures numériques existantes" : à nuancer

Les habitants des grandes villes seront les premiers à bénéficier de la 5G et ceux des campagnes risquent d'attendre longtemps. Les acteurs du secteur n'en font pas mystère. "Les opérateurs ont tout intérêt à l'installer dans les zones urbaines", a reconnu le PDG de Bouygues Telecom devant les sénateurs. "Les opérateurs télécoms lancent en général leurs services dans les zones où la clientèle est la plus importante, en pratique les zones les plus habitées", explique l'Arcep. C'est là où ils ont déjà bâti un réseau dense d'antennes 4G, sur lesquelles ils pourront ajouter des émetteurs 5G.

Pour éviter que la 5G n'augmente la fracture numérique, il faut compléter la couverture 4G afin que 99% du territoire y ait accès dans des conditions d'efficacité satisfaisantes. Il est aussi nécessaire que la couverture assurée par la 5G soit la même qu'en 4G.Hugues Ferrebœufà franceinfo

En échange de l'attribution des nouvelles fréquences, le gouvernement a fixé des obligations aux opérateurs en matière de couverture. Au moins 25% des sites 5G devront se situer en zone industrielle ou rurale. La 4G doit également être renforcée sur tout le territoire, rappelle l'Arcep. Dans le cadre de ce "new deal mobile", les zones rurales sont prioritaires pour la construction des nouveaux relais. Les opérateurs devront aussi offrir la 4G+, c'est-à-dire un débit quatre fois plus élevé que le débit obligatoire actuel de la 4G. "Les zones blanches vont être résorbées quoi qu'il se passe sur la 5G", promet le patron de la Fédération française des télécoms.

"Le déploiement massif d'objets connectés allant de pair avec la 5G participe de l'accaparement de données personnelles" : possible

La 5G et surtout la multiplication annoncée des objets connectés pourront entraîner plus de transmissions de données sur internet, expose l'Arcep. Le risque est donc accru de voir des informations personnelles être captées par les entreprises du secteur, mais aussi par les pirates informatiques.

Ce risque est d'autant plus réel qu'il est à la base du modèle économique des acteurs dominants du secteur du numérique.Hugues Ferrebœufà franceinfo

Les enceintes connectées et les assistants vocaux ont déjà fait parler d'eux non seulement parce qu'ils enregistraient leurs propriétaires à leur insu, mais aussi parce que Google, Amazon ou Apple avaient recours à des oreilles humaines pour écouter les fichiers audio de leurs propriétaires, comme l'a révélé Bloomberg fin 2019.

Ces objets peuvent aussi être vulnérables. En août, Amazon a ainsi corrigé une importante faille de sécurité de son assistant vocal Alexa. Celle-ci permettait d'accéder aux informations personnelles de ses utilisateurs (adresses, numéros de téléphone, historique des données bancaires).

Il existe toutefois un garde-fou. Le Règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD) européen est censé encadrer la manière dont les géants du numérique gèrent les informations dont ils disposent sur leurs utilisateurs.

La dernière phrase de l'article m'a bien fait rire...Je rappelle à ceux qui l'ignoreraient que nos conversations sont analysées par l'entremise des smartphones et cela a des fins de ciblage publicitaire : 

 

Mythe ou réalité : votre téléphone vous espionne-t-il vraiment ?

https://www.cnetfrance.fr/news/mythe-ou-realite-votre-telephone-vous-espionne-t-il-vraiment-39896041.htm

Il vous est probablement déjà arrivé d’actionner Google Assistant ou Siri sans le faire exprès. D'après ma propre expérience, l’assistant de Google se lance (trop) souvent quand ce n'est pas souhaité, au moins une fois par jour. Il me répond quelque chose, à côté de la plaque forcément, mais le problème n’est pas là : au fond, le fait que mon smartphone réagisse dès que je dis « OK », signifie que ce dernier est perpétuellement en  « veille », guettant des mots-clés bien précis.

Il vous est aussi, peut-être, déjà arrivé de discuter avec des amis d’un sujet anodin (exemple, un projet de voyage au Mexique), puis de découvrir quelques heures plus tard, en surfant sur le web avec votre smartphone, des publicités liées à vos conversations passées (une pub pour le Mexique). Coïncidence ? Nos smartphones nous « surveilleraient »-ils ?

 

« Écoutes clandestines » contre fantasmes

En 2018, un consultant en cybersécurité canadien expliquait à Vice qu’outre les assistants personnels, des applications tierces auraient aussi accès aux données captées par nos micros.

« De temps à autre, des extraits audio sont envoyés aux serveurs (comme ceux de Facebook), mais, officiellement, on ne sait pas quels en sont les déclencheurs. Ça peut être le moment, le lieu ou l’utilisation de certaines fonctions. Les applications ont l’autorisation d’utiliser le microphone et s’en servent occasionnellement. Toutes les applications locales cryptent les données qu’elles transmettent à leurs serveurs, il est donc très difficile de déterminer quel est exactement le déclencheur », indiquait-il et la rumeur était née.

Des médias américains, comme Forbes, se sont ainsi fait l’écho « d’écoutes clandestines » prétendument menées par Facebook, en relayant par exemple une tribune de la société d'études de marché américaine Forrester qui rapportait qu'au moins 20 de ses propres employés avaient vécu le phénomène des publicités étrangement liées à des conversations anodines.

Pour que de telles publicités ciblées, basées sur nos conversations existent, il faudrait qu’une entreprise (Facebook, Google, Apple, par exemple), soit techniquement capable d’activer votre micro, de capter du contenu audio, de l’analyser, puis d’envoyer des informations tirées de ces analyses à des clients annonceurs.

Des démentis en bloc

Évidemment, les géants du Web démentent avoir jamais eu pour objectif de nous écouter et de nous enregistrer, afin de partager tout cela avec des publicitaires. « Nous n’avons jamais utilisé les microphones des téléphones pour influencer la publicité et le fil d’actualités », explique par exemple Facebook. Son fondateur, Mark Zuckerberg, est allé jusqu’à combattre « la rumeur » devant le Congrès américain en 2018.

Si comme le font valoir certains commentateurs, notamment des blogueurs et des chercheurs, le risque d’un bad buzz est « trop grand » et empêcherait naturellement les entreprises privées de « cibler leurs publicités en fonction de conversations écoutées », une chose est certaine : ces rumeurs ne viennent pas de nulle part. Ainsi, nos appareils mobiles sont bel et bien capable de capter des sons et de nous enregistrer, même quand ils sont en veille, grâce à des micros intégrés.

Un journaliste de France Info expliquait par exemple en juin 2019 avoir découvert, après avoir téléchargé tout ce que Google avait collecté sur lui, que l’entreprise avait enregistré plus de 700 sons, pendant au moins 2 ans, afin de « reconnaître le son de sa voix » et d'améliorer la reconnaissance vocale de ses produits.

 

Une simple coïncidence ?

Nos micros peuvent très bien s’activer seuls. Sans que nous le voulions, vraiment ? Normalement, pour qu’une application ait accès aux micros de votre smartphone Android ou iOS, vous devez l’accepter au moment de l’installation. Mais sachant que seuls 7% des internautes français lisent attentivement les conditions d’utilisation, il est permis de douter de l’accord « éclairé » de la majorité des utilisateurs.

Rassurez-vous, tout de même : les fabricants de smartphones tentent de verrouiller au maximum les systèmes d’exploitation (OS) pour éviter que les utilisateurs ne se méfient trop d’eux. Google, par exemple, bloque l’accès à la caméra et au micro pour toute application tournant en arrière-plan. Mais ces fonctionnalités, « No camera for idle uids » et « Don't record audio if UID is idle », n’existent que depuis Android Pie 9. Or, combien d’utilisateurs continuent d’utiliser des smartphones « anciens », pas mis à jour, avec d’anciennes versions d’Android ?

De l'espionnage, vraiment ? 

Sur le sujet d’un possible « espionnage » audio de nos smartphones, les chercheurs sont divisés. En septembre 2019, l’entreprise de sécurité informatique britannique Wandera a réalisé des tests sur un iPhone et un Samsung Galaxy : dans une « salle de test audio », ils ont diffusé des enregistrements de conversation portant sur de la nourriture pour animaux, en boucle.

Résultat : « nous n'avons rien trouvé qui suggère que nos téléphones activent le microphone ou transfèrent des données en réponse aux sons. La consommation de données et la consommation de la batterie ont été minimes et, dans la plupart des cas, il n'y a pas eu de changement du tout. Nous n'avons pas vu de publicité d'aliments pour animaux de compagnie passer sur nos écrans après les tests ».

En outre, Wandera a analysé la consommation de données des assistants virtuels (Siri, Google Assistant) : « les volumes des données de nos tests sont beaucoup plus faibles que celles des assistants sur une période de 30 minutes, ce qui suggère que l'enregistrement constant des conversations et le téléchargement dans le cloud ne se produit sur aucune de ces applications testées. Si c'était le cas, on s'attendrait à ce que l'utilisation des données soit aussi élevée que la consommation de données des assistants virtuels. » 

D'autres solutions pour pister les utilisateurs 

L’entreprise de cybersécurité rappelle en outre que les annonceurs « n'ont pas besoin d'écouter nos conversations, parce qu'ils ont d'autres moyens astucieux pour pister les utilisateurs. Les données de localisation, le comportement de navigation, les adresses IP, les cookies et les profils de médias sociaux fournissent suffisamment d'informations pour prédire ce que vous voudrez acheter ».

Et s’il ne s’agissait que d’une coïncidence, finalement ? Si des publicités viennent vous parler de sujets que vous venez d’aborder avec vos amis, par exemple un voyage au Mexique, c’est peut-être parce que vous avez visité des sites qui ont fait naître en vous l’idée inconsciente de partir en voyage en Amérique latine, et que ces visites en ligne ont « guidé » les algorithmes de Facebook ou Google de la même façon. Ou peut-être, aussi, que les voyages au Mexique sont à la mode en France. Ou encore que vos propres amis ont effectué des recherches sur le Mexique peu de temps après avoir discuté avec vous, et que les algorithmes ont fait le lien.

 

Techniquement, c’est possible

Mais au-delà des théories du complot, d’autres scientifiques ont mené leurs propres tests, et viennent contredire ceux menés par les experts de compagnies de cybersécurité telles que Wandera. En Allemagne, deux chercheurs en IA et en réseaux de l’Université Technique de Berlin ont réalisé une véritable enquête, compilant des recherches antérieures et menant leurs propres expérimentations, afin d’étudier « la faisabilité de l'écoute des smartphones ».

Dans leur étude, dévoilée en juillet 2019 lors de l’IFIP (International Federation for Information Processing - Fédération internationale du traitement de l’information), en Caroline du Sud, ils « remettent en question l’hypothèse répandue selon laquelle les craintes d’espionnage sont infondées ».

Ainsi, écrivent-ils, « tout en confirmant l'absence de preuves empiriques confirmant les soupçons d’entreprise écoutant secrètement leurs utilisateurs à des fins publicitaires, nous ne pouvons exclure la possibilité que des attaques sophistiquées d'écoute clandestine à grande échelle soient couronnées de succès et ne soient pas détectées. En tenant compte des mécanismes de contrôle d'accès existants, des méthodes de détection et d'autres aspects techniques, nous soulignons les vulnérabilités et les lacunes de la recherche qui subsistent ».

Le rôle des "bibliothèques logicielles" 

Les chercheurs berlinois remarquent notamment que pour « inclure des fonctions d’analyse et de publicité » dans leurs applis, nombre de développeurs utilisent des codes écrits par d’autres sociétés, dans des « bibliothèques logicielles ». Ces bibliothèques tierces « partagent des permissions multimédias, comme l'accès au microphone, avec leur application hôte correspondante et bénéficient souvent d'un accès direct à Internet ».

Mais outre le fait qu’elles sont facilement privilégiées par les développeurs, « il est problématique de constater que ces derniers ont souvent une compréhension limitée ou nulle du code de la bibliothèque utilisée, qui peut également être modifié de façon dynamique au moment de son exécution », notent-ils. Ainsi, non seulement les utilisateurs, mais aussi les développeurs d'applications eux-mêmes peuvent ne pas être au courant de potentielles fuites en matière de protection de la vie privée, fondées sur l'abus des permissions accordées.

Un problème, des vulnérabilités 

Une vulnérabilité récemment mise à jour par la société de sécurité Checkmarx illustre bien ce dernier problème. Une faille d’Android permettait ainsi d’espionner les utilisateurs via la caméra et le microphone de leur smartphone, et était exploitable via des applications « vérolées », sans qu’il y ait besoin de demander l’autorisation des utilisateurs (donc à leur insu). Google semble avoir corrigé la faille, mais combien d’autres vulnérabilités similaires n’ont pas encore été découvertes ?

Techniquement, tout semble donc possible. « Le fait qu'aucune preuve d'écoute clandestine mobile à grande échelle n'ait été trouvée jusqu'à présent ne doit pas être interprété comme une évidence générale. Cela pourrait seulement signifier qu'il est difficile, voire impossible, dans les circonstances actuelles, de détecter efficacement de telles attaques », notent les chercheurs de l’Université Technique de Berlin.

En outre, ils constatent aussi que les fabricants tels qu’Apple et Google eux-mêmes pourraient fort bien être capable d’espionner leurs utilisateurs. Mais leurs OS étant « opaques » (même dans le cas d’Android, qui est basé sur un code open source, mais dont plusieurs applications et composants systèmes propriétaires sont fermés), « il n'y a aucune raison de supposer que les OS s'abstiennent d'utiliser des techniques sophistiquées d'obscurcissement pour dissimuler leurs pratiques de collecte de données ».

« Faisabilité technique » contre « faisabilité économique »

Concernant la « faisabilité économique » de telles pratiques, l’étude explique que les données collectées étant surtout susceptibles d’être analysées « hors contexte », difficile donc à priori pour des annonceurs d’en tirer une grande valeur.

De son côté, Wandera estime que l'enregistrement audio n’est pas le meilleur moyen pour recueillir des informations, car la retranscription de sons en textes pour analyse nécessiterait de très importantes capacités de calcul, surtout dans le cas d’une utilisation à grande échelle, et de gros progrès en matière d’IA (pour l’instant, la reconnaissance vocale n’est pas encore totalement au point). L’entreprise de sécurité note tout de même que si de telles pratiques se développaient, ce serait probablement sous forme de hackers parrainés par des États, dont la mission serait de pêcher des “poissons plus gros que les consommateurs moyens”.

La pub ciblée, le nerf de la guerre 

Mais selon les chercheurs allemands de l’Université Technique de Berlin, « on peut généralement supposer que les conversations privées contiennent beaucoup d'informations précieuses pour le profilage, surtout lorsque les personnes discutant entre elles expriment leur intérêt pour certains produits ou services. Il convient également de mentionner que certaines des plus grandes entreprises du monde tirent une part importante de leurs revenus de la publicité - pour Google et Facebook, cette part s'élevait à 85 % et 98 % en 2018. Il ne fait aucun doute que les données des capteurs des smartphones peuvent être très utiles à cette fin ».

Enfin, même s'il ne serait logiquement pas dans l’intérêt des GAFA de capter vos conversations à votre insu, au risque de salir leur image en cas de scandale, ceux-ci n’ont pas toujours un contrôle total sur ce que font les développeurs d’applis.

Diverses possibilités d'écouter 

Mais finalement, toujours sur un plan technique, il pourrait être possible de nous écouter sans jamais actionner les micros de nos smartphones. Les détecteurs de mouvement et « l’accéléromètre » de votre appareil, qui permettent à la base à certaines applis (de bien-être, ou encore de cartographie) d’orienter votre écran, de compter vos pas et de mesurer votre vitesse de déplacement, ou encore de détecter si vous êtes en voiture ou à pied, sont de plus en plus utilisés pour nous envoyer des pubs ciblées en fonction de notre géolocalisation et de nos mouvements.

Mais selon des chercheurs de l’université de Stanford et de Rafael Advanced Defense Systems, l'autorité israélienne pour le développement d'armes et de technologie militaire, ces « gyroscopes » peuvent aussi permettre de « reconstruire » des conversations en captant les vibrations de nos voix, puis en utilisant des algorithmes suffisamment sophistiqués. Des pirates informatiques pourraient ainsi aisément développer des programmes pour détourner l’accéléromètre, et nous espionner en « réassemblant » des signaux vocaux.

Si ce n’est donc pas nécessairement parce que votre micro est ouvert que vous risquez d’être écouté, ce n’est pas non plus parce qu’il est éteint et « bloqué » que votre smartphone ne demeure pas un mouchard potentiellement à l’écoute.

Mais s’il est possible, techniquement, de nous « écouter », tout dépend finalement de l’attitude des géants du Web, des développeurs et des fabricants. Pour que leurs pratiques demeurent éthiques, à nous, utilisateurs, de continuer à faire entendre nos voix. Sans les laisser nous échapper.

 

 

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