Scientifiques et conflits d'intérêts.
- Par Thierry LEDRU
- Le 05/03/2021
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Depuis que j'ai découvert le mouvement de "l'écomodernisme", je m'intéresse fortement aux conflits d'intérêts et j'ai lu quelques documents qui confirment tout cela.
Il me semble totalement irrecevable de lire de la part de scientifiques que le changement climatique est une aberration, que les OGM sont incontournables ou que l'industrie agro-alimentaire est la seule voie pour une alimentation suffisante et de qualité.
Il doit bien y avoir une explication à de telles déclarations...
Conflits d'intérêts des scientifiques: "On ne s'en sortira jamais"
L'affaire Aubier et un rapport publié ce jeudi soulignent les conflits d'intérêts qui minent le secteur de la santé en Europe. La député EELV Michèle Rivasi ne décolère pas.
D'un côté, il y a l'affaire du professeur Michel Aubier. Ce pneumologue de renom, grassement payé par Total pendant des années, comparaît depuis mercredi devant le tribunal correctionnel pour témoignage mensonger. De l'autre, il y a le rapport de l'ONG bruxelloise Corporate Europe Observatory (CEO). Publié ce jeudi 15 juin et relayé par Le Monde, le document affirme que 46% des scientifiques de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) sont en situation de conflits d'intérêts financiers avec les secteurs industriels régulés par l'agence, ce que cette dernière dément fermement.*
Deux affaires qui soulignent les problèmes de conflits d'intérêts et le poids des lobbys en France et en Europe dans le domaine de la santé en général, de l'environnement et de l'alimentation en particulier. Une situation dénoncée depuis des années par Michèle Rivasi, député européenne Europe Écologie les Verts (EELV).
Qu'est-ce qu'un conflit d'intérêts selon vous?
M.R.: C'est la même définition que celle de la Cour des comptes européenne. C'est par exemple quand un expert est payé par le privé et qu'il rédige un rapport. On ne sait plus si son avis est basé sur l'intérêt général ou pour promouvoir l'intérêt de la boîte qui le paye.
Quels sont les exemples qui vous ont le plus frappée?
M.R.: Il y a bien sur l'affaire sur le glyphosate [l'EFSA avait considéré que ce principe actif du désherbant Roundup était non cancérogène, contrairement aux avis du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) et de l'OMS]. Mais vous savez, quand on ne veut ne rien voir on ne voit rien.
La Commission européenne décide néanmoins de restreindre l'utilisation du glyphosate.
REUTERS/Charles Platiau
Par exemple, cette histoire qui remonte aux années 98/2000. l'ISPN [l'ex-Institut de protection et de sûreté nucléaire] devait prouver que les rivières dans lesquelles les centrales nucléaires rejetaient leurs eaux usées n'étaient pas polluées. Je me suis rendu compte qu'ils prélevaient des échantillons en amont de la rivière, et ne trouvaient rien! J'ai demandé une contre-expertise à la Criirad [La Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité] en prélevant des échantillons en aval. Nous avons trouvé des traces de pollution.
Quels sont les intérêts des lobbys à "se payer" des scientifiques?
M.R.: Les industriels font tout pour trouver des scientifiques de renom, les financer, puis tenter de les placer dans des agences de régulation publique, où tout se décide. Le but est évidemment d'influencer le fonctionnement des institutions et les prises de décisions. Cette stratégie de l'industrie, c'est de la haute couture. Et c'est un problème complètement généralisé, on peut le constater dans toutes les agences, à l'EFSA bien sûr, mais aussi à l'Agence des produits chimiques ou encore l'Agence européenne des médicaments, etc.
A la lecture des critiques les plus véhémentes, on pourrait avoir l'impression que les chercheurs qui viennent du privé pour travailler dans les agences publiques sont forcément "tous pourris", qu'en pensez-vous?
M.R.: Ce n'est pas une question de personne, mais de pratique et de déontologie. Quand il y a financement par l'industrie, il y a automatiquement suspicion. Il faut que ces chercheurs quittent le privé et coupent leurs liens pour être vraiment objectifs.
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Ça marche aussi avec les journalistes politiques. Ceux qui prennent l'avion avec le président vont être influencés par sa sympathie ou le simple fait de le connaître. Ça peut paraître trois fois rien, mais cette proximité permet de tisser des liens, de créer de la subjectivité et donc d'influencer. Même inconsciemment, la critique n'est plus la même. Pour les industries, c'est pareil.
Interrogée sur le rapport du CEO par Le Monde, la FSEA contre-attaque et accuse des chiffres "trompeurs, car basés sur une interprétation spécifique du lien d'intérêt financier avec laquelle (ils sont) en désaccord". Est-ce crédible?
Non. L'agence n'a qu'à prendre des experts de l'université qui n'ont pas de lien avec l'industrie. Elle doit aussi revoir sont fonctionnent, et baser ses expertises uniquement sur des rapports public, revus et vérifiés par des pairs, et non pas sur des rapports protégés par le secret industriel, dont la moitié des données ne sont pas accessibles. C'est exactement ce que fait l'OMS [l'Organisation mondiale pour la santé]! Pourquoi pas l'EFSA?
C'est comme pour le professeur Aubier, qui s'est justifié en expliquant que les financements [de Total] allaient à son laboratoire. Ça ne change rien, il était dépendant, car responsable de la survie de son labo et de ses équipes. En parlant d'Aubier, j'aimerais qu'il soit condamné à 5 ans de prison. Ce qu'il a fait, c'est criminel [pour l'instant, le parquet a requis 30 000 euros d'amende contre le pneumologue, qui n'est pas encore condamné]."
Le pneumologue Michel Aubier, ancien chef de service à l'hôpital Bichat à Paris, arrive au palais de justice de Paris le 14 juin 2017.
afp.com/CHRISTOPHE ARCHAMBAULT
Justement, quelles sont vos recommandations pour limiter les conflits d'intérêts?
M.R.: Plus ça va, plus je me dis qu'on s'en sortira jamais. Écoutez, ces personnes-là, il n'y a qu'un seul truc qu'ils comprennent: les sanctions financières ou pénales. Je crois aussi de plus en plus aux corps d'expert indépendants. Il y a le très bon exemple de l'Autorité de sûreté nucléaire [en France], qui nomme désormais des experts pour six ans non renouvelables, bien payés par des fonds publics. Grâce à cette décision, on a maintenant des rapports qui tiennent la route. Ce modèle-là, il pourrait s'appliquer à toutes les agences.
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Il faut aussi que les scientifiques venant du privé attendent au moins 3 ans avant de pouvoir rejoindre le public [Le parlement européen demande 2 ans minimum à l'EFSA, l'ECO demande cinq ans]. C'est le temps nécessaire pour couper le cordon ombilical avec l'industrie, et être objectif."
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