TIRS. Tuer des loups pour réduire leurs attaques sur les troupeaux de moutons principalement sur les estives de l'arc alpin, est-ce une méthode efficace ? Sans pour autant repousser ces mesures d'abattages, les experts de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) et du Muséum national d'histoire naturelle (MNHN) soulignent que personne n'est capable aujourd'hui d'affirmer que ces tirs atteignent bien leur objectif. Les auteurs de cette "démarche d'évaluation prospective à l'horizon 2025/2030 et viabilité à long terme" du loup en France appellent de leur vœux une gestion plus intelligente de l'espèce. Aujourd'hui, affirment-ils, l'autorisation de tuer 36 individus produit un taux de mortalité de l'ensemble de la population qui met en danger la pérennité du loup en France.
Revenu sur le territoire français via le parc national du Mercantour (Alpes-Maritimes) en 1992 après en avoir disparu dans les années 1930, Canis lupus ne cesse depuis de gagner en effectif et en territoires. On évalue la population actuelle entre 250 et 300 individus regroupés dans 35 meutes dans les Alpes françaises, dont quatre transfrontalières avec l’Italie. Depuis 1992, le nombre de zones de présence permanente (ZPP) ont doublé tous les cinq ans pour atteindre une cinquantaine d’endroits où au moins un loup s’est sédentarisé. En conséquence, les dommages ont augmenté. 9000 ovins ont été tués par le canidé en 2015. Or, soulignent les auteurs, cette croissance est stoppée depuis 2014 avec l’augmentation des abattages. Alors que le taux annuel moyen de mortalité était de 22%, il est désormais de 34% avec les tirs. Soit la limite au-delà de laquelle une population commence à décroître.
Le nombre de loups en France et les autorisations d'abattages. Les experts constatent une stagnation des effectifs de loup depuis 2014 (carrés gris) et l'accroissement des autorisations de tirs de loups (en noir), mais il n'y a pour l'instant aucun lien scientifique établi. Rapport expertise loup.
Une espèce qui se "disperse" sur le territoire
MODÈLES. Ces résultats ont été obtenus à partir de modèles de dynamique des populations de loup. Ces modèles, reconnaissent les auteurs, représentent une version très simplifiée de ce qui se passe dans la nature sans laquelle il ne serait pas possible d’évaluer les tendances démographiques à long terme d’une population tant les paramètres écologiques, climatiques, territoriaux sont nombreux. Les loups vivent en effet en meutes d’environ dix individus dans lesquelles un seul couple se reproduit. Pour les autres mâles et femelles, il n’existe que deux possibilités: soit accepter la dominance du reproducteur et rester sur le territoire de la meute, soit partir. Ces "disperseurs" effectuent des centaines de kilomètres jusqu’à ce qu’ils trouvent un territoire à leur convenance. Ces distances s’expliquent : les meutes occupent exclusivement un territoire qui peut couvrir jusqu’à 200 km². Il faut donc savoir s’éloigner pour éviter les conflits de territoires. Pour les disperseurs, se présentent deux cas de figure : soit l’individu reste seul, soit il est rejoint par un autre individu de sexe opposé. Dans ce cas, une nouvelle meute se crée.
C’est cette dynamique qui est en cours en France. Le réseau de 3000 observateurs créé par l’ONCFS a ainsi repéré des individus sédentarisés en provenance du noyau alpin dans les Vosges, la Lozère et les Pyrénées-Orientales.
Présence régulière (en bleu foncé) et non régulière (en grisé) du loup en France en 2016. Réseau Loup/lynx ONCFS.
Les scientifiques ne savent absolument pas pourquoi un individu décide de cesser son errance. Une certitude : ce n’est pas à cause de la disponibilité en nourriture. Le rapport nous apprend en effet que l’augmentation des surfaces forestières et l’explosion du nombre de grands ongulés (cerfs, chevreuils, chamois), qui représentent 75% du régime du loup, fournissent au prédateur des conditions favorables de vie sur tout le territoire à l’exception des franges littorales de Normandie et de Bretagne. En théorie, tout est réuni pour que le loup s’épanouisse dans l’hexagone.
L'abattage d'un reproducteur peut augmenter les menaces sur les troupeaux
POLITIQUE. Seulement, avec moins de 300 individus, l’espèce est encore fragile. Pour que tout risque de disparition soit écarté et que la population soit viable, il faudrait un effectif minimal de 2500 à 5000 individus sexuellement matures. On en est loin. Mais avec un taux de mortalité naturel, sans intervention de l’homme, cette croissance est envisageable pour le cours de ce siècle. Ce qui pose un problème politique : comment concilier le retour du prédateur avec les activités d’élevage ?
Les tirs ne constituent pas la solution idoine, selon les chercheurs. Il faudrait en effet savoir quel type d’individu est tué. La mort d’un "disperseur" ne constitue pour l’espèce qu’une occasion manquée de s’étendre. L’abattage d’un chef de meute ou d’une reproductrice en revanche fait plus de mal que de bien. Dans 40% des cas en effet, la meute éclate et les loups dominés en profitent pour fonder leur propre groupe qui occupe alors les espaces libres entre les territoires des meutes existantes. Au lieu de la réduire, on étale ainsi la menace de prédation.
Les chercheurs plaident donc pour une "gestion adaptative". Clle-ci prend en compte les incertitudes sur la connaissance du fonctionnement des grands systèmes naturels et du mode de vie des loups. Cela implique une grande prudence dans les décisions à prendre pour éviter que des situations irréversibles ne se produisent. Si les tirs peuvent s’avérer nécessaire là où les pressions sont les plus fortes, les chercheurs préconisent le renforcement des méthodes de protection comme les chiens ou les clôtures électriques. Selon eux, le loup est revenu depuis trop peu de temps pour pouvoir conclure sur l’efficacité de ces mesures. Enfin, ils proposent de ne rien faire contre l’expansion de l’espèce via les "disperseurs". La meilleure protection du loup, ce sont ces vastes naturels abandonnés par l’agriculture et dans lequel il a tout pour bien vivre.