La bataille de l'eau

L’eau, ce bien commun accaparé par le secteur privé

 

Cet été, 73 départements sont déjà soumis à des restrictions d’eau et 26 sont placés en crise, entraînant l'interdiction de tous les prélèvements d’eau jugés non prioritaires, même pour l’agriculture.

22 juillet 2019 - Laurie Debove

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Un nouvel épisode caniculaire s’apprête à amplifier la sécheresse qui frappe déjà 67 départements. Il s’agit de la 7e sécheresse la plus grave depuis 1958 selon Météo France. Avec la conclusion des Assises de l’Eau début juillet, la préservation de cette ressource vitale devient un enjeu majeur en France, notamment dans le maintien de son statut de bien commun.

Les économies d’eau principalement portées sur les usages domestiques

Après plusieurs mois d’échange et travaux entre des représentants du monde agricole, des associations de protection de l’environnement, des collectivités locales et des agences de l’eau, les Assises de l’eau se sont clôturées début juillet. Bilan de leur travail : « un pacte de 23 mesures pour faire face au dérèglement climatique qui affecte nos ressources en eau ». 

Et le défi est immense : seules 44 % des masses d’eau ont atteint l’objectif européen du bon état écologique du fait de rivières trop artificialisées, de pollutions agricoles et de prélèvements trop importants.

La crise climatique amène avec elle des épisodes de sécheresse et canicule de plus en plus fréquents et longs, ce qui empêche le renouvellement de nos réserves aquatiques. Avec l’augmentation des températures, la baisse des précipitations en été et la diminution de l’enneigement, les débits moyens des cours d’eau pourraient être réduits de 10 % à 40 % d’ici un demi-siècle selon l’étude Explore2070 et plus encore en période de basses eaux (étiage).

Crédit photo : Levi XU

Cet été, 73 départements sont déjà soumis à des restrictions d’eau et 26 sont placés en crise, entraînant l’interdiction de tous les prélèvements d’eau jugés non prioritaires, même pour l’agriculture. Pour plusieurs associations, la sobriété et la restauration des milieux aquatiques devraient être au cœur de la stratégie gouvernementale. Le pacte de 23 mesures rendu par le gouvernement est jugé trop peu contraignant face aux enjeux actuels.

« L’UFC- Que Choisir ne se reconnaît pas dans ce « pacte », qui est avant tout un catalogue de bonnes intentions, sans ambition… En matière de tarification incitative pour diminuer la consommation d’eau, si le gouvernement s’est enfin décidé à ajouter, au-delà des particuliers, les industriels et les agriculteurs, il n’y a absolument rien d’obligatoire, de contraignant, les agences de bassin étant seulement « invitées » à prendre en compte les incitations aux économies d’eau dans leurs taux de redevances… On est bien loin de la mise en œuvre effective du principe préleveur-pollueur-payeur prévu pourtant par les textes européens et réclamé par la société civile et les Français eux-mêmes ! Faut-il rappeler l’injustice criante aboutissant à ce que le financement de la politique de l’eau soit actuellement payé à 86% via la facture des consommateurs, alors que l’agriculture industrielle est la première consommatrice et pollueuse de l’eau ?! » s’indigne Alain Bazot, Président de l’UFC-Que Choisir

Le coût du traitement d’eau potable dû aux pollutions par les nitrates et les pesticides est ainsi estimé entre 500 millions et 1 milliard d’euros par an. Pourtant, si les Assises ont fixé un objectif de sobriété pour baisser les prélèvements d’eau de 10 % d’ici cinq ans et de 25 % d’ici quinze ans, les mesures de sobriété en eau concernent essentiellement les usages domestiques. Parmi elles : « une tarification saisonnière ou la création d’une catégorie d’usagers « résidences secondaires ».

Le pacte se veut solidaire en envisageant la mise en place d’une tarification sociale de l’eau pour éviter de trop grandes conséquences sur les ménages les plus modestes.

L’eau, un bien commun de plus en plus accaparé par le privé

En France, si la ressource en eau reste encore largement disponible, il y a de plus en plus de problèmes d’approvisionnement selon les départements. Depuis 15 ans, un tiers du pays est régulièrement classé « en zone de répartition d’eau », ce qui veut tout simplement dire qu’il y a moins d’eau disponible que les usages qui en sont faits, la faute à la hausse considérable des prélèvements depuis l’après-guerre, que ce soit pour l’agriculture irriguée, les usages domestiques ou industriels.

Crédit photo : Imani

Les conséquences de cette raréfaction se font déjà ressentir. En 2006, la ville de Niort avait failli devoir couper l’eau du robinet des habitants après une sécheresse historique. Pour éviter le pire, restrictions et distributions de bouteilles d’eau avaient été mises en place. L’agglomération niortaise est depuis devenue exemplaire dans sa gestion de l’eau en réussissant à baisser de moitié ses prélèvements en dix ans. Pour la juriste Florence Denier-Pasquier, de France Nature Environnement, cet exemple reste trop rare, surtout face à la recrudescence des conflits publics/privés pour la gestion de l’eau.

« Au lac de Caussade (Lot-et-Garonne), des agriculteurs sont passés en force, contre l’avis de l’État, pour construire leur barrage et refusent de le détruire.On est face à un accaparement d’un bien commun par un acteur privé. C’est typique des conflits autour de l’eau qui pourraient se répéter à l’avenir. Plus la ressource va se raréfier, plus des acteurs économiques vont chercher à la préempter. Les projets de constructions de retenues d’eau à des fins agricoles essaiment dans le Nord, dans le bassin Seine-Normandie, en Bretagne. Ils sont bien souvent portés par une minorité du monde agricole. Les irrigants qui, en moyenne, ne représentent que 15 % de la profession agricole en France. Mais ces barrages ont leur revers de la médaille. Ils entraînent inévitablement une baisse des quantités d’eau pour l’aval, ont des impacts sur la biodiversité. Surtout, ces ouvrages entretiennent un cercle vicieux dans lequel les agriculteurs irrigants continuent à utiliser plus d’eau que le milieu peut naturellement leur livrer. Enfin, rien n’assure que ces retenues d’eau prémunissent du manque d’eau. L’Espagne, qui a beaucoup investi dans la construction de barrages, se retrouve aujourd’hui avec des ouvrages très loin d’être remplis. » explique-t-elle à 20minutes.fr

L’accaparement de ce bien commun par un acteur privé est encore plus significatif à Vittel dans les Vosges. La population locale s’oppose depuis des années à Nestlé Waters qui surexploite la nappe phréatique, en déficit chronique depuis les années 1970, pour vendre de l’eau embouteillée en Allemagne. Alors que la multinationale a le droit de continuer à pomper à la source, les autorités locales prévoient d’aller chercher l’eau nécessaire aux habitants beaucoup plus loin, car la nappe n’est plus suffisante pour fournir en même temps l’activité industrielle et les besoins des habitants. 

Pour France Nature Environnement, il est encore possible d’aboutir à une gestion collective de l’eau efficace qui repose sur une bonne connaissance de l’état de la ressource et un juste partage entre les usages publics et privés, ces derniers ne devant pas être prioritaires sur les premiers. Car si la quantité d’eau disponible est importante, sa qualité l’est tout autant, un travail de préservation qui ne pourra être effectué qu’à travers des mesures contraignantes pour le secteur privé.

22 juillet 2019 - Laurie Debove

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