La douleur de la conscience

 

 

"La connaissance ouvre la conscience. Vaut-il mieux être malheureux en conscience ou heureux par inconscience ?"

Sylvie Raffin-Callot

C'est une phrase que j'ai trouvée en commentaire d'un article sur une page FB, "Au coeur de la philosophie". 

J'ai vécu une partie de ma vie dans une totale insouciance au regard de l'état de la nature. J'ai goûté au bonheur de la haute montagne, des randonnées en forêts, des baignades dans des lacs d'altitude, des raids à vélo, des sorties de ski de randonnée, des milliers d'heures à courir, à marcher, à pédaler, à skier, à nager, à contempler les beautés de la Terre.

Puis, avec l'âge et de multiples lectures sur la biodiversité, l'impact de l'humain sur la faune, la flore, le climat, les cours d'eau, les océans, l'atmosphère, la souffrance animale, j'ai basculé de l'insouciance à une forme de désespérance, un assommoir qui ne cesse de me frapper, une connaissance pesante et qui reste, malgré ses effets, absolument nécessaire parce qu'elle me permet d'agir en conscience.

Alors oui, cette conscience est douloureuse mais cette douleur est compensée par les effets de mon engagement, un effet dérisoire au regard du désastre planétaire mais un effet qui me permet de me supporter, en tant qu'humain.

J'ai même longtemps écrit des textes qui explorait la dimension spirituelle et quelque peu philosophique, à mon humble niveau. Puis j'ai arrêté ce travail intérieur parce que cette conscience de la vie et de mon impact sur elle me montrait à quel point ma quête spirituelle était artificielle, déconnectée du monde réel, ce que j'ai fini par appeler "mon insignifiante réalité".

Je vivais dans une sphère "intellectuelle" qui conférait à un état de "hors sol" bien que je passais la majeure partie de ma vie dehors, au plus près de la nature. Une nature dont je ne connaissais finalement pas grand-chose. Elle n'était qu'un terrain de jeu, une scène plaisante qui répondait à mes besoins physiques.

Il n'aurait servi à rien que je regrette cet état d'insouciance, que je me flagelle pour toutes les erreurs passées. Puisque j'avais enfin accédé à un état de conscience libérée de "l'ego encapsulé" (Alan watts), il fallait que j'en fasse quelque chose.

Comme le dit très justement Sylvie Raffin-Callot (que je remercie pour la concision parfaite de sa réflexion), j'alterne entre la douleur générée par cette conscience et la satisfaction d'agir désormais selon ma conscience. Je gagne à travers la douleur une sérénité réelle et non un bien-être égotique. La question se pose d'ailleurs de savoir si toutes les thérapies qui proposent d'aller mieux dans un monde qui va mal ne participent pas finalement elles-mêmes à ce monde. Si l'objectif est de supporter ce monde et de parvenir à s'y insérer sans souffrance mais sans rien y changer, c'est juste un travail sur soi mais cela n'a aucune incidence sur le monde lui-même.

Ce monde va-t-il mal parce que trop de gens le supportent encore ? Faudra-t-il donc attendre que la douleur de l'état de conscience se généralise pour commencer à entrevoir la possibilité d'une évolution planétaire ?

Alors qu'advienne la douleur de la conscience, pour tous, qu'elle soit si forte que les nuits en deviennent blanches.

 

Voici l'article en question.

 

https://aucoeurdelaphilo.wordpress.com/2023/01/08/pourquoi-les-gens-intelligents-sont-souvent-malheureux/?

Pourquoi les gens intelligents sont souvent malheureux ?

 

(Crédits image : Aron Wesenfeld)

« Tout le monde cherche à être heureux, même celui qui va se brûler la cervelle » Pascal

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Lorsque j’étais enfant, et que j’avais dû mal à juguler mes innombrables angoisses, il m’arrivait de lire la Bible.

Et lorsque je lisais la genèse – parmi d’autres points qui interpellaient ma sagacité d’enfant – je ne comprenais pas pourquoi Adam et Eve avaient été punis pour avoir consommé le fruit de la connaissance.

La connaissance, c’est à priori quelque chose de positif ! Nos parents ne nous motivent-ils pas tous les jours à apprendre ? à accumuler des connaissances ? Pis encore, je ne comprenais pas pourquoi Adam et Eve, qui n’avaient tué/fait du mal à personne – devaient endurer les pires souffrances et être malheureux pour le restant de leurs jours, ainsi que leur descendance. Et encore une fois, pour avoir – JUSTE- consommé le fruit de la connaissance.

***

Vous le savez, l’un des conflits opposant la philosophie et la religion concerne l’accès au bonheur.

Pour les philosophes (excepté l’ami Rousseau), du moins, pour nombre d’entre eux, l’accès au bonheur passait par la connaissance, le culte de la raison pour accèder au vrai (Aristote avec la spéculation contemplative comme stade ultime du bonheur dans son éthique à Nicomaque, l’hédonisme raisonné des épicuriens, les stoïciens etc.). « Il vaut mieux être Socrate insatisfait qu’un imbécile satisfait » disait l’ami John Stuart Mill.

A contrario, et sans aller jusqu’au fameux “Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux”, pour les religions, le bonheur a longtemps consisté – et consiste encore – dans le fait d’avoir la foi (entre autres, la foi pour les vérités fournies par la religion sans se poser trop de questions).

Et si pour une fois, les religions étaient dans le vrai ? Et si la connaissance était en réalité un cadeau empoisonné ?

***

Il y a de cela quelques années, et dans un tout autre ordre d’idées, j’avais lu dans un article rédigé par un psychologue que les gens intelligents avaient souvent tendance à être malheureux, du moins malheureux par rapport à leurs pairs. (l’intelligence peut être d’une grande aide quant à l’accès à la connaissance)

A la première lecture, cela m’avait étonné. Mais en faisant quelques recherches, je m’étais effectivement rendu compte qu’un certain nombre d’études semblait bel et bien attester ce phénomène.

Ainsi, d’après une étude (1), réalisée par Norman P. Li et Satoshi Kanazawa sur un échantillon de 15 000 jeunes adultes âgés de 18 à 28 ans, et publiée dans le British Journal of Psychology, les deux chercheurs expliquaient que les personnes les plus intelligentes préféraient vivre dans des zones moins densément peuplées et avoir un moins grand nombre de relations sociales. Les deux chercheurs expliquaient par ailleurs que, si les personnes les plus sociables sont souvent les personnes les plus satisfaites et les plus épanouies dans leurs vies, ceux qui étaient dotés d’une intelligence supérieure à la moyenne avaient souvent tendance à souffrir aussi bien de la solitude, que la sociabilisation avec leurs pairs)

Et au fond, c’est vrai qu’en y pensant, une extrême intelligence [mais aussi la connaissance] vous éloignent malheureusement parfois des autres.

Vous avez certainement tous entendu parler de ce vieux conte arabe qui relate l’histoire d’un royaume qui était naguère gouverné par un roi extrêmement sage. Un soir, une sorcière empoisonna le puit, de manière à ce que l’au rende fou. Et c’est ce qui arriva à tous les individus – excepté le roi qui burent de cette eau le lendemain. Problème : Au fur et à mesure que les jours passaient, tous les habitants devenaient vindicatifs et répandaient des rumeurs sur le fait que le roi était devenu fou, qu’il ne dirigeait plus de manière sage etc. Un soir, le roi finit donc par boire l’au du puit, et il fut par la suite acclamé par le peuple comme un roi à nouveau sagace, raisonné, éclairé…

Certains passages de l’allégorie de la caverne (cf Platon) évoquent également ce côté douloureux de la connaissance. Ainsi l’individu qui réussit à se libérer de la caverne éprouvera d’abord une vive douleur aux yeux ( du fait de la lumière, n’ayant pas l’habitude d’évoluer dans un environnement naturel, inondé de soleil etc). Par ailleurs, il se peut qu’en redescendant dans la caverne pour aller libérer les autres prisonniers, ces derniers soient plutôt sceptiques, et en viennent même à la supprimer comme le relate Platon dans le livre VII de La République.

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Lorsqu’on a d’immenses connaissances et/ou conscience d’un certain nombre de choses, lorsqu’on a des capacités cognitives assez poussées, cela nous éloigne ipso facto de certains de vos semblables.

Les personnes extrêmement intelligentes/érudites sont parfois un peu comme l’Albatros de Baudelaire, prince dans les nuées [des idées], mais qui sur terre, deviennent « infirmes » au milieu des huées, leurs ailes de géant les empêchant de marcher, [et d’évoluer/côtoyer leur semblables].

D’ailleurs, il se peut que certains d’entre vous l’aient déjà ressenti, cette sensation d’être un martien, cette sensation d’étrangeté, cette sensation d’être en décalage avec vos pairs. Avec l’irruption du fin fond de votre âme du fameux “Et si, c’était moi le problème ?”

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Face à cela, et parce que l’homme est un être social, le psychologue expliquait que d’aucuns allaient jusqu’à utiliser un masque pour s’intégrer au mieux. Mais cela n’arrangeait pas la chose; bien au contraire. Ce sentiment de mal-être continuait même à grandir derechef.

L’auteur notait également que chez les personnes intelligentes, il y avait une dimension assez désagréable – et d’ailleurs bien souvent non voulue par les intéressés – qui était relative au côté “cerveau tout le temps allumé”, le cerveau qui ne s’arrête jamais, éventuellement les insomnies etc.

Ce doute et le questionnement permanent face à des décisions à prendre (un imbécile qui marche va plus loin qu’un intellectuel assis comme disait Audiard); la volonté de toujours comprendre, de toujours se questionner [ce qui ne peut que occasionner de l’insatisfaction].

Certes l’intelligence et la connaissance, ce n’est pas forcément la même chose.

Toutefois, ceux qui font de la recherche ou ceux qui ont soif de connaissance le savent. Plus on fait des recherches et on accumule des connaissances sur un sujet, plus on se rend compte à quel point on est ignorant, et qu’il faudra encore plus de recherches/lectures pour combler cette ignorance (d’où l’insatisfaction permanente)

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Mais même sans aller jusqu’à utiliser des exemples relatifs aux gens étant des scientifiques, des gens aux capacités cognitives étendues, etc. l’image qui me vient spontanément à l’esprit et qui me semble symboliser le fait que la connaissance n’est pas forcément synonyme de bonheur, c’est l’image de l’enfance.

Lorsqu’on était enfant, on était tous relativement insouciants (Du moins, on était plus insouciants qu’à l’âge adulte).

On était notamment insouciant parce qu’on ne savait pas tout ce qui se passait dans le monde, parce que nos parents essayaient de nous protéger des tristes vérités de ce monde (Guerre, boulot, ruptures, morts, racisme etc.), parce qu’on croyait aux contes de fées qu’on nous racontait (Le père Noël, le bien qui triomphe toujours, les copains/copines avec qui on resterait toujours copains etc.)

Bref, on était là « tranquilles, entre gosses insouciants, ignorants des choses de la vie. Et puis, sans avoir vu le temps passer, on se retrouve à présent, inquiets, entre adultes » ayant désormais connaissance de la réalité, et de ses innombrables contraintes et tragédies.

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De ce point de vue là, l’allégorie d’Adam et Eve condamnés à être malheureux [pour avoir mangé le fruit de la connaissance] peut se comprendre.

Quand en effet, face aux mystères du Cosmos et de la nature, face aux innombrables tragédies de ce monde, face à la complexité de la nature humaine, des relations sociales, votre ignorance/inquiétude peut être comblée par l’invocation de Dieu, de la destinée, du dessein intelligent, c’est sans doute plus aisée de vivre sa vie.

La vie d’un homme serait en effet intolérable, nous dit Anatole France, « s‘il savait ce qui doit lui arriver. Il découvrirait des maux futurs, dont il souffrirait par avance, et il ne jouirait plus des biens présents, dont il verrait la fin. L’ignorance est la condition nécessaire du bonheur des hommes, et il faut reconnaître que, le plus souvent, ils la remplissent bien. Nous ignorons de nous presque tout ; d’autrui, tout. L’ignorance fait notre tranquillité ; le mensonge, notre félicité. »

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Peut-être est-ce là une autre vérité contenue dans les spiritualités et religions d’autrefois. Peut-être est-ce là la signification profonde l’allégorie d’Adam et Eve, du mythe de Pandore (qui mena l’humanité à sa perte du fait de sa curiosité)…

Après tout, le sage ne dit-il pas : “ La vie est un mystère qu’il faut vivre, et non un problème à résoudre »

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Bref, et vous, qu’en pensez-vous ? A choisir, vous préfèreriez opter pour un bonheur adossé à l’illusion/l’ignorance, ou une existence misérable/dépressive dans la connaissance ?

 

Wilfried M.

 

 

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