Une eau mortelle.
- Par Thierry LEDRU
- Le 07/09/2025
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Donc, il y a des millions de Français qui ne bénéficient plus d'eau potable (mais qui la payent quand même) et les mesures pour réparer les dégâts ont un coût tellement exorbitant que ça se fait au "compte-gouttes" et bien évidemment, après moults palabres qui durent des décennies.
Merveilleux.
Mais qu'en est-il des études sur le long terme avant d'officialiser l'emploi d'une technologie ? Faut-il donc que les fortunes à gagner soient si grandes que le principe de précaution ne soit plus utilisé ?
Qu'il s'agisse des pesticides, des PFAS, du chlorure de vinyle monomère ou autres produits issus de la chimie, ne serait-ce pas plus bénéfique de payer des études a priori plutôt que de devoir payer a postériori.
Et je ne parle pas des gens qui meurent de cancers qu'ils n'auraient jamais dû contracter...
La sphère politique n'a-t-elle pas pris conscience que c'est son rôle d'anticiper ou a-t-elle plus simplement choisi d'emblée la manne financière représentée par les produits et technologies qu'elle autorise ?
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La liste des communes françaises où l’eau du robinet n’est plus potable ne cesse de s’allonger
Eau potable cancérigène : 50 ans de « scandale sanitaire »
Par Lorène Lavocat16 janvier 2025 à 09h06Mis à jour le 16 janvier 2025 à 09h26
https://reporterre.net/Eau-potable-cancerigene-50-ans-de-scandale-sanitaire
Des milliers de km de tuyaux d’eau potable sont contaminés par un agent cancérogène, le CVM. Un problème connu depuis les années 1970. Des analyses inédites révèlent l’ampleur du scandale sanitaire et de l’inaction de l’État.
Pour des centaines de milliers de Françaises et Français, l’eau du robinet n’est plus potable. En cause, le CVM, ou chlorure de vinyle monomère, un gaz reconnu comme cancérogène. Cinquante ans après les premières alertes, Reporterre livre des analyses inédites dévoilant une pollution d’ampleur… et l’inertie de l’État.
Lire aussi : Dans la Sarthe, une eau du robinet cancérigène
Des révélations permises grâce à un lanceur d’alerte, le chercheur en sciences politiques Gaspard Lemaire. Il a obtenu — non sans mal — des milliers d’analyses d’eau auprès des autorités sanitaires. Les résultats, que Reporterre a pu consulter, montrent une pollution significative. Au total, 6 410 prélèvements d’eau potable sont contaminés par ce composé toxique, dans neuf régions [1]. De quoi parler d’un « scandale sanitaire majeur », selon le doctorant.
Un scandale sanitaire minimisé
Afin de bien saisir l’affaire, remontons quelques décennies en arrière. Le CVM est employé dans la fabrication d’objets en plastique PVC, en particulier les tuyaux. Or depuis les années 1930, les preuves de sa toxicité se sont accumulées. Jusqu’en 1987, quand le Centre international pour le cancer l’a classé comme cancérogène certain pour l’humain.
Malgré les alertes, « les producteurs de PVC se sont efforcés de dissimuler durant des années la toxicité du CVM et les dangers encourus par les travailleurs comme par les consommateurs », note Gaspard Lemaire dans un article. Ainsi, à partir des années 1960, ce plastique a inondé le marché des canalisations, en plein boum. En France, « l’adduction d’eau dans la partie ouest du pays n’est survenue que dans les années 1960-1970 », raconte Frédéric Blanchet, de l’Association scientifique et technique pour l’eau et l’environnement (Astee). Beaucoup de hameaux, de fermes isolées ont été raccordés à cette époque-là.
Dans les années 1980, de nouveaux procédés de fabrication ont permis d’éliminer la majeure partie du CVM dans le PVC. Mais le mal était déjà fait. Le ministère de la Santé estime à environ 140 000 km le linéaire de canalisations en PVC posé avant 1980 ou dont la date de pose est inconnue [2]. « C’est considérable », remarque Franco Novelli, de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR).
« Les législateurs ont gravement
manqué de diligence »
Pourtant, il a fallu attendre plusieurs décennies avant que les pouvoirs publics ne prennent la mesure du problème. « Informés des risques liés à la contamination des réseaux d’eau par cette substance, les législateurs ont gravement manqué de diligence », observe ainsi Gaspard Lemaire dans son article. Ce n’est qu’en 1998 que l’Union européenne a fixé un seuil à ne pas dépasser pour le CVM dans l’eau potable : 0,5 microgramme par litre (µg/L).
Puis, « alors que l’État français aurait dû mettre en place des mesures visant à éviter ces dépassements, la première campagne systématique visant à détecter la présence de [cette substance] dans l’eau ne date que de 2011 », indique le chercheur. Interrogé par Reporterre, le ministère de la Santé livre une version différente : « L’analyse du chlorure de vinyle monomère (CVM) dans l’eau du robinet est systématique depuis 2007 », nous a-t-il indiqué par courriel.
Une vision enjolivée de l’histoire : en 2007, le gouvernement a pris un arrêté qui prévoit enfin la mise en place d’analyses des eaux potables. Mais la première mission de détection du composé toxique dans les réseaux n’a été menée qu’en 2011, nous a affirmé l’Astee, qui a participé à ce programme. Des recherches tardives, qui ont confirmé les craintes des autorités.
Depuis une dizaine d’années, les signaux rouges se sont ainsi multipliés. Des habitants ont découvert du jour au lendemain qu’ils ne pouvaient plus consommer l’eau du robinet, comme Reporterre le racontait en 2017. Des communes se sont retrouvées à devoir distribuer de l’eau en bouteille. En urgence, des syndicats des eaux ont ouvert les vannes de leurs canalisations et mis en place des purges pour vider les réseaux des eaux contaminées [3]. Bref, c’est le branle-bas.
Des petites communes laissées-pour-compte
Mais pas question de laisser s’ébruiter le scandale ! Comme Reporterrel’a raconté, les habitants sont souvent peu ou pas informés de la pollution. Et les autorités sanitaires renâclent à livrer leurs analyses. Après plusieurs réclamations et un passage par la Commission d’accès aux documents administratifs, Gaspard Lemaire a cependant obtenu de neuf agences régionales de santé (ARS) les résultats des prélèvements effectués.
D’après ces résultats, transmis à Reporterre et aux médias Le Monde, Politis, France culture et « Envoyé spécial », 6 410 non-conformités ont été identifiées entre 2014 et 2024 dans neuf régions. Les dépassements de limites de qualité atteignent jusqu’à 1 400 fois le seuil fixé par la réglementation européenne. Avec des disparités fortes entre territoires : en Normandie, 11 % des prélèvements d’eau se sont révélés non conformes, alors que ce taux tombe à 0,5 % en Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Les neuf régions analysées : Normandie, Haut-de-France, Bourgogne-Franche-Comté, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Auvergne-Rhône-Alpes, Nouvelle-Aquitaine, Grand Est, Bretagne, Corse. Pxhere/CC0
Globalement, les petites communes en bout de réseau sont les plus affectées, car l’eau ayant tendance à stagner dans les canalisations se charge en CVM [4]. Au total, d’après une instruction du ministère de la Santé publiée en 2020, « plus de 120 000 analyses de CVM ont été réalisées sur le réseau de distribution d’eau depuis octobre 2012 avec un taux de conformité proche de 97 % ».
Pas très rassurant, estime Gaspard Lemaire : « Un taux de non-conformité de 3 % laisse penser qu’un nombre important de Français sont manifestement exposés au CVM. » Aucune estimation précise du nombre de communes et de personnes affectées n’a été diffusée. Mais selon une note de position de l’Institut de veille sanitaire publiée en 2010, 600 000 personnes seraient concernées par des niveaux de CVM non conformes. Le chercheur dénonce ainsi une « dissimulation du problème de la part de l’État […] qui a systématiquement minimisé les risques ».
Des solutions trop coûteuses
Comment expliquer une telle attitude des pouvoirs publics ? Nous avons posé la question au ministère, qui estime — comme nous l’avons écrit plus haut — avoir réagi dès 2007. Soit, tout de même neuf ans après l’adoption de la directive européenne sur ce sujet. Dans son courriel, l’exécutif indique aussi être allé « plus loin que la réglementation européenne », qui ne requiert pas de prélèvements ni d’analyses poussées de l’eau potable. Pour le reste, il nous renvoie vers les collectivités propriétaires des réseaux, « en charge des travaux nécessaires en cas de présence de CVM ». En clair : circulez, il n’y a rien à voir.
Pour Frédéric Blanchet, de l’Astee, la prise de conscience (tardive) des autorités s’explique par un manque d’expertise : « Dans le domaine de l’eau, il existe une barrière analytique : on ne peut évaluer que ce qu’on sait analyser, indique-t-il. Pendant longtemps, on ne savait pas quantifier du CVM à 0,5 µg/L. » Autant chercher une aiguille dans une botte de foin sans bonnes lunettes.
L’expert se souvient aussi du « flou total » à la fin des années 2000, quand il est apparu urgent de traiter cette contamination. « On voyait apparaître de plus en plus de non-conformités [d’eau potable avec trop de CVM], et on ne savait pas quoi faire, se souvient-il. On avait très peu d’exemples d’autres pays et de référentiels réglementaires pour gérer ces situations. »
Un argument nuancé par Gaspard Lemaire : « Aux États-Unis, dès 1975, l’Agence de l’environnement avait été en mesure de détecter la présence de CVM dans l’eau avec un seuil de détection de 0,03 µg/L », note-t-il dans son article. Pour le chercheur, la raison de l’inaction étatique tient plutôt à la complexité du sujet : une fois que le problème est connu et reconnu, il faut agir. Or les solutions sont coûteuses et difficiles à mettre en place.
« C’est vraiment un casse-tête »
« Quand on constate des dépassements répétés de la limite de 0,5 µg/L, l’eau est déclarée non conforme, et on a trois ans pour gérer le problème, détaille Franco Novelli. On peut diluer l’eau contaminée, distribuer de l’eau en bouteille, purger les canalisations… Mais à terme, la seule solution, c’est de remplacer les tuyaux. »
Or cette dernière — et unique — solution prend du temps, beaucoup de temps. Il faut d’abord déterminer les canalisations à risque à l’aide de modèles informatiques complexes, puis effectuer une série de prélèvements. Dans les Côtes-d’Armor, il a ainsi fallu plus de deux ans pour juste identifier précisément les 77 km problématiques, sur les 4 500 km de tuyauterie départementale. « Si l’on veut faire les choses bien, avec précision, il faut prendre du temps », indique Joël Rivallan, ancien directeur de syndicat départemental des eaux.
Mais même une fois les tronçons incriminés bien identifiés, encore faut-il pouvoir les changer ! Le changement de 1 kilomètre de canalisation coûte entre 50 000 et 200 000 euros selon la configuration des lieux, d’après les chiffres transmis par le ministère.
Une somme colossale, que les petites communes rurales — principalement concernées — n’ont généralement pas. « C’est vraiment un casse-tête, soupire Bertrand Hauchecorne, premier élu de la commune de Mareau-aux-Prés dans le Loiret et membre de l’Association des maires ruraux de France. Comme on n’a pas les moyens de renouveler les réseaux, on fait des emprunts, mais cela augmente le prix de l’eau, parfois à des montants difficilement acceptables par les usagers. »
Car malgré les promesses du président Macron, les aides ne sont pas à la hauteur. « Le plan eau n’a pas eu d’effet sur le terrain, constate l’édile. Les Agences de l’eau ont des moyens en baisse, le Fonds vert se réduit peu à peu et les dotations des départements ne sont pas systématiques. » Face à ce mur d’investissement, les pouvoirs publics semblent ainsi tentés par la stratégie de l’autruche.
« C’est difficile d’informer le public sur le fait que les canalisations sont cancérogènes, et que pendant des années on n’a rien fait », résume Gaspard Lemaire. Ainsi, pour le chercheur, « la gestion de cette affaire ne relève nullement d’un cas isolé, mais témoigne d’une incapacité généralisée de l’État à protéger les citoyens contre les menaces sanitaires croissantes ».
Plusieurs centaines de milliers de Français exposés à la pollution des canalisations d’eau au chlorure de vinyle monomère, classé cancérogène
Cette substance toxique est relâchée dans l’eau potable par la dégradation de certains tuyaux en PVC installés dans les années 1970. Des recours en justice viennent d’être engagés contre l’Etat pour « négligences fautives ».
XAVIER LISSILLOUR
Saint-Antonin, Homps et Sérempuy dans le Gers, mais aussi Châtenoy, Sury-aux-Bois et Viglain dans le Loiret, Luzillé en Indre-et-Loire, ou encore Saint-Martin-le-Bouillant dans la Manche… La liste des communes françaises où l’eau du robinet n’est plus potable ne cesse de s’allonger. La faute aux polluants éternels ? Non. Aux pesticides ? Non plus. La contamination des ressources en eau dans ces communes essentiellement rurales porte une autre signature, moins connue du grand public : CVM, pour chlorure de vinyle monomère.
Classée cancérogène certain pour l’homme par le Centre international de recherche sur le cancer depuis 1987, cette substance chimique a été utilisée dans la fabrication des canalisations publiques en PVC (polychlorure de vinyle) déployées, en France, dans les années 1970, pour remplacer celles en plomb. Près d’un demi-siècle plus tard, certaines de ces canalisations continuent de relarguer des résidus de CVM et plusieurs centaines de milliers de foyers français y sont exposés, la plupart du temps sans le savoir, en buvant l’eau du robinet.
« Un scandale sanitaire majeur », dénonce le chercheur Gaspard Lemaire, doctorant au sein de la chaire Earth du Centre Jean-Bodin, de l’université d’Angers, et enseignant en droit de l’environnement à Sciences Po. Dans un article académique publié jeudi 16 janvier sur le site de sa chaire de rattachement et qui s’appuie sur l’analyse de rapports publics, de publications scientifiques et de données transmises par les agences régionales de santé (ARS), l’auteur pointe du doigt l’inertie des autorités européennes et françaises.
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La directive européenne sur la qualité de l’eau destinée à la consommation humaine fixe depuis 1998 une valeur limite de 0,5 microgramme par litre (µg/l) de CVM à ne pas dépasser. Plus d’un quart de siècle plus tard, elle n’est toujours pas respectée en France. Ce n’est qu’en 2003, soit cinq ans après l’adoption de la directive, que les exigences européennes sont transposées en droit français. Il faudra attendre quatre années supplémentaires pour que les premières analyses de CVM dans l’eau soient diligentées, et 2011 pour une première campagne nationale.
« Je veux que les responsables paient »
L’avocate Gabrièle Gien dénonce la responsabilité de l’Etat et en particulier du ministère de la santé. Selon nos informations, elle a déposé, jeudi 16 janvier, un premier recours devant le tribunal administratif d’Orléans, pour faire reconnaître « les négligences fautives de l’Etat ». Les requérants, la famille Hue, habitent depuis 1995 à Châtenoy, petite commune du Loiret. En juillet 2014, l’ARS commence à dépister le CVM dans le réseau qui alimente le village (159 habitants) : les résultats mettent en évidence des dépassements. Pourtant, ce n’est qu’en juillet 2023 que la famille Hue, à l’instar d’une cinquantaine de foyers, reçoit un courrier du Syndicat intercommunal d’alimentation en eau potable (Siaep) de Châtenoy, Sury-aux-Bois et Combreux, lui interdisant de consommer l’eau du robinet sur recommandations de l’ARS.
Nicolas Hue est « révolté ». « Je veux que les responsables paient, explique-t-il. On a trouvé des milliards pour rendre la Seine baignable pour les Jeux olympiques mais nous, dans les petits villages, on nous a laissés boire de l’eau pendant des années alors qu’on savait qu’elle était contaminée par un produit cancérogène. » Le père de Nicolas Hue est mort d’un cancer du foie, mais c’est surtout pour sa fille de 4 ans qu’il s’inquiète : « Aujourd’hui, elle est en bonne santé mais qui sait si, dans quelques années, elle ne développera pas un cancer ou d’autres maladies. »
La famille a également engagé, en novembre 2024, une action devant le tribunal judiciaire d’Orléans contre le Siaep, pour violation de son obligation de distribuer de l’eau potable et d’information. Contacté, le président du syndicat, Jacques Lemercier, assure n’avoir « rien caché ». Selon lui, les résultats étaient « disponibles sur le site du Siaep » et « portés à la connaissance des élus » des trois communes concernées. Il explique avoir lancé un diagnostic de l’état du réseau dès 2019, qui a conduit à engager le remplacement de neuf tronçons sur 75. Les travaux ont débuté le 13 janvier.
L’audience est programmée le 13 mars. La première d’une longue série. Me Gien a saisi le tribunal judiciaire d’Orléans dans 16 autres dossiers et lancé, jeudi 16 janvier, une plateforme numérique nationale pour permettre à d’autres « victimes du CVM », partout en France, d’aller devant les tribunaux pour obtenir des indemnisations ou un diagnostic CVM de leur eau potable. Contactée, la Direction générale de la santé se défend : « La France va plus loin que la réglementation européenne en mesurant directement le CVM dans l’eau, alors que la réglementation européenne ne prévoit que d’estimer par calcul la présence théorique de CVM dans l’eau, sans mesure. »
Absence d’état des lieux complet
L’avocate fait le parallèle avec le scandale du chlordécone aux Antilles : « Depuis plus de cinquante ans, l’Etat français a laissé des centaines de milliers de consommateurs d’eau ingérer du CVM, une substance classée cancérogène. Il doit aujourd’hui à la fois réparer sa faute et assurer la mise en conformité des canalisations d’eau. » Avec comme différence de taille que l’impact sanitaire réel de l’exposition chronique au CVM est inconnu.
« On dispose d’études épidémiologiques sur les travailleurs exposés à de fortes doses en usine, qui montrent l’effet sur les cancers du foie, dit Hervé Conraux, responsable de l’association Action Comité Citoyen-France Nature Environnement (ACC-FNE), qui documente cette pollution dans la Sarthe depuis plus de huit ans. En revanche, il n’y a que des données toxicologiques et non épidémiologiques, sur les effets d’une exposition chronique par le biais de l’eau potable. Lorsque l’administration prétend qu’il n’existe aucune preuve d’un effet par cette voie d’exposition, c’est parce que les pouvoirs publics ne se sont pas donné les moyens de répondre à la question. »
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Quelle est la part de canalisations qui pose problème à l’échelle de la France ? Faute d’un état des lieux complet du patrimoine du réseau d’eau potable français, les chiffres divergent. Environ 140 000 kilomètres de canalisations seraient concernés (sur un réseau total estimé à plus de 900 000 kilomètres), selon le ministère de la santé. Jusqu’à 340 000 kilomètres, selon les délégataires de service public d’eau. Même grand écart concernant l’estimation du nombre de Français exposés au CVM. Selon une note de 2010 de l’Institut de veille sanitaire (aujourd’hui Santé publique France), 600 000 personnes consommaient une eau dont les niveaux de CVM dépassaient la limite de qualité, fixée à 0,5 µg/l. Une instruction publiée en 2020 par la direction générale de la santé mentionne un « taux de conformité proche de 97 % », sur la base de plus de 120 000 analyses de CVM effectuées depuis 2012. Trois pour cent de non-conformité, donc, soit potentiellement 2 millions de personnes exposées à des niveaux de CVM qui ne respectent pas la réglementation.
Dordogne et Orne, les départements les plus touchés
Les données obtenues par Gaspard Lemaire auprès de huit ARS (Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Bretagne, Grand-Est, Hauts-de-France, Normandie, Nouvelle-Aquitaine et Provence-Alpes-Côte d’Azur) confirment ce chiffre, avec un total de 6 410 dépassements du seuil de qualité sur la période 2014-2023, soit près de 3 % des prélèvements. Cela représente près de 10 % des communes concernées par au moins un résultat non conforme. L’essentiel des cas de pollution est constaté en zone rurale en bout de réseau : plus l’eau stagne, plus la charge en CVM est élevée. Elle augmente aussi avec l’ancienneté des tuyaux et la chaleur.
Selon l’analyse des données transmises par les ARS, le record de France reviendrait à la commune de Val de Louyre et Caudeau (réunion de trois villages de Dorgogne), avec un pic mesuré à 738 µg/l en juillet 2022, soit plus de 1 400 fois le seuil légal. Contactée, la municipalité n’a pas répondu. Avec l’Orne (1 196 dépassements répertoriés), la Dordogne (912) fait partie des départements les plus touchés.
Ces chiffres sont sans doute largement sous-estimés. Parmi les ARS qui n’ont pas transmis leurs données, celles du Centre-Val de Loire, des Pays de la Loire et d’Occitanie comptent parmi les régions où les canalisations en PVC datant d’avant 1980 sont les plus fréquentes. On apprend tout de même sur le site de l’ARS Centre-Val de Loire que 7 % des 1 542 analyses effectuées en 2022 dépassaient encore la limite de qualité.
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Que valent ces estimations ? Si on se réfère à la base nationale de la qualité des eaux alimentée par les ARS, le taux de non-conformité moyen se limiterait à 2 % en 2023 et en 2024 au niveau national. Des chiffres qui minorent le problème pour Hervé Conraux, de l’ACC-FNE. L’association a utilisé la loi sur l’accès à la documentation administrative pour exiger l’ensemble des mesures conduites par l’ARS des Pays de la Loire, dans le département de la Sarthe. « A partir de ces données, nous nous sommes rendu compte que le taux de dépassement pour le CVM était de 21 % entre 2013 et 2023 sur le département, ce qui ne correspond pas aux 2 % de dépassement environ, qui ressortent de l’analyse de la base de données nationale sur la qualité de l’eau », explique M. Conraux.
Contactée, l’ARS des Pays de la Loire ne conteste pas ce hiatus, et précise qu’une part des mesures ciblent les secteurs des réseaux les plus susceptibles d’être concernés par des excès de CVM. « Du fait de la localisation ciblée de ces prélèvements, les résultats d’analyses obtenus ne sont pas représentatifs de la qualité de l’eau consommée par l’ensemble des abonnés des unités de distribution concernées [c’est-à-dire la totalité d’un réseau de distribution, dont la qualité est supposée homogène], explique-t-on à l’agence. Pour cette raison, l’ARS ne fait volontairement pas remonter les valeurs associées sur le site national. » Une méthode qui, selon l’ACC-FNE, masque en partie le problème. Toutefois, l’ARS Pays de la Loire assure qu’« une communication spécifique a été faite aux abonnés concernés pendant la campagne ».
Ardoise astronomique
Combien de kilomètres de canalisations en PVC posées avant 1980 reste-t-il à changer, et pour quel coût ? La direction générale de la santé renvoie vers le ministère de la transition écologique. Contacté, ce dernier renvoie… vers le ministère de la santé. L’agence de l’eau Loire-Bretagne, dont le bassin hydrographique couvre près de 30 % du territoire hexagonal (34 départements pour 13 millions d’habitants) est l’une des premières à avoir accompagné les collectivités rurales touchées par des dépassements de norme pour les aider à financer le remplacement des canalisations concernées. Sur son programme 2019-2024, elle a participé au remplacement de 550 kilomètres de réseau d’eau potable relarguant du CVM. Selon ses estimations, le coût moyen s’est envolé, pour passer en cinq ans de 75 à 90 euros hors taxe par mètre linéaire. « Localement, la facture peut même grimper à 200 euros le mètre », ajoute Régis Taisne, chef du département « cycle de l’eau » à la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies.
La facture du remplacement de l’ensemble des canalisations contenant du CVM s’élèverait donc entre 12,6 milliards – avec l’hypothèse basse de 140 000 kilomètres de linéaires concernés – et 30,6 milliards (340 000 kilomètres). L’étendue du problème est en réalité très difficile à établir. « Les canalisations qui relarguent du CVM ne sont pas toutes clairement identifiées, car ni un fabricant ou une usine spécifiques, ni même une date précise de fabrication n’est en cause, dit M. Taisne. Le défaut de ces tuyaux provient de petites variations de la température lors du processus de fabrication : on parle de “mauvaise polymérisation” du matériau. Il est donc impossible de tracer la localisation des canalisations posées avant 1980 qui doivent effectivement être remplacées. »
Dans tous les cas, l’ardoise est astronomique pour les petites collectivités : 3 millions d’euros pour le village de Viglain (854 habitants) dans le Loiret, jusqu’à 46 millions pour le syndicat des eaux de Mirande qui couvre 22 communes dans le Gers. « On constate que les communes, en particulier les plus rurales, qui exercent seules la compétence eau potable sont en difficulté pour identifier les réseaux à risque, réaliser les analyses et les travaux », indique-t-on à l’agence de l’eau Loire-Bretagne. En octobre 2024, le sénateur du Gers, Alain Duffourg (Union centriste, UC) a interpellé le gouvernement pour obtenir « une participation de l’Etat à cette charge importante pour les collectivités ». A ce jour, il n’a pas reçu de réponse.
Stéphane Foucart et Stéphane Mandard
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