Complotisme ou esprit critique ?
- Par Thierry LEDRU
- Le 14/07/2021
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Deux réflexions qui parlent du "complotisme".
"Depuis le début de la crise sanitaire, on entend la répétition de deux termes, plus encore qu’avant cette crise : populisme et complotisme. Bien des positionnements intellectuels, politiques et de journalistes – même de scientifiques et de médecins – ont été déterminés par cette volonté de faire rempart au populisme et au complotisme qui l’alimenterait, au point même de faire du professeur Raoult une sorte de Donald Trump des sciences médicales. On voit que cette opposition est si grossière qu’elle est tout autant fantasmée que réelle.
Or, complotiste, tout démocrate devrait l’être dans certaines limites. L’attentat du 11 septembre 2001 a changé notre compréhension du monde. Auparavant, l’Occident avait une vision de l’histoire très hégélienne, verticale, progressiste, avec une fin heureuse et à venir. Après la chute du Mur de Berlin, il y eut une décennie indécise, lors de laquelle on ne savait plus dans quelle histoire nous étions. L’attentat terrible et inédit qui survint au tout début de ce siècle nous a plongés dans une histoire que nous n’avions pas vu venir. Et c’est la réponse anglo-américaine à cet événement qui a donné aux « complotistes » des raisons fondées de douter des informations officielles.
Du temps de la guerre froide, tout le monde savait que la partie immergée de l’iceberg n’était pas à voir – moins on en savait, mieux c’était – puisqu’elle opposait essentiellement les services secrets américains et soviétiques. Nous ne sommes plus dans ce temps de guerre larvée entre deux grandes puissances se partageant le monde. En 2002-2003, le président Bush et le premier ministre Blair ont décidé d’une guerre contre l’Irak en mentant délibérément au sujet de liens entre son dictateur et l’organisation terroriste qui avait organisé l’attentat et au sujet d’armes de destruction massive introuvables. Tout était faux et causa le déséquilibre du Moyen-Orient pour une bonne dizaine d’années.
Depuis ce temps-là, les pays occidentaux vivent avec des mensonges d’État. Les services secrets anglo-américains ont travaillé de concert pour annihiler des organisations islamistes, capturant des terroristes présumés, les torturant, procédant à des assassinats ciblés, avec leurs victimes collatérales, par l’utilisation à grande distance de drones, sans que les Nations Unies ne s’émeuvent de l’usage de telles armes technologiques particulièrement déloyales. Les personnes qui ont dénoncé cette dérive occidentale payent cher leur volonté de vivre dans un monde démocratique plus transparent, atténuant une raison d’État broyant les individus.
Je suis devenu plus clairement « complotiste » en voyant le film de Roman Polanski, The Ghost Writer, il y a onze ans. Je découvrais par ce film le scandale de la mort suspecte de David Kelly, expert en armes biologiques qui avait eu la désobligeance de contredire les accusations anglo-américaines envers l’Irak en informant un journaliste de la BBC sur des falsifications ministérielles britanniques. Se suicidant dans des conditions plus qu’étranges, il y avait de quoi faire un très bon thriller politique, ce que fit le réalisateur polonais. Mais quand le film sortit, l’affaire Polanski avait été étrangement relancée par un procureur américain et on ne parlait que de ça dans les médias occidentaux. Quand Julian Assange fut accusé de viol en Suède, il n’était pas compliqué de comprendre que l’instrumentalisation du féminisme pouvait aisément servir la raison d’État. Il reste que les révélations quelque temps plus tard d’Edward Snowden au sujet de l’espionnage généralisé mis en place par les Américains, avec les Britanniques pour alliés privilégiés et indéfectibles, confirmaient tout à fait la thèse du film.
Nous vivons dans ce monde-là et je suis consterné de constater le peu d’intérêt des journalistes français pour le traitement inhumain aux États-Unis du soldat Manning qui révéla les crimes de guerre en Irak à Assange afin d’en informer les populations, de même pour Snowden qui ne fut un héros que d’une ou deux années et qui n’a plus désormais d’avenir qu’en Russie car il ne serait, par exemple, pas en sécurité en France – Assange, en Angleterre, risque toujours l’extradition et est, de toute manière, privé de liberté depuis de trop longues années. Nos pays des droits de l’homme les négligent allègrement et nos « élites » qui crient au populisme et au complotisme détournent les yeux de ces atteintes à la liberté. Désormais, les dissidents, défenseurs de la liberté, tant promus lors de la guerre froide, sont des victimes de l’Occident.
Ce monde de l’indigence journalistique refuse d’informer les citoyens des enjeux réels des crises que nous subissons. Quand le site d’information Mediapart révélait les premières « affaires Sarkozy », la presse mainstream, bousculée par ce retour au journalisme d’investigation, tentait avec les hommes politiques concernés d’en faire une presse de caniveau. Aujourd’hui, pour invalider un travail journalistique approfondi, il suffit de dire « Fake news ». La chasse à l’infox est devenu la nouvelle déontologie journalistique mais elle ne remplace pas le journalisme d’investigation, elle le discrédite. Et au lieu de lutter contre le complotisme, elle le renforce.
Car il est normal et rassurant que nombre de citoyens cherchent, parfois maladroitement, souvent en se trompant et en se montrant trop crédules, des informations fondées, plus en mesure de répondre à leurs interrogations. Quoi qu’il en soit, à être trop incrédule, en niant toute cause d’apparence complotiste, nos « élites » sont devenues paradoxalement crédules au point de se faire les défenseurs de la démocratie et de la liberté d’expression tout en désirant réduire l’une en bridant l’autre.
Avec la crise sanitaire, qui est devenue actuellement la ligne de partage déterminant les bons et les mauvais citoyens, on observe une « élite » scientifique et médicale, politique et journalistique, qui se crispe sur des questions qui auraient parues dérisoires il y a encore un an : le refus d’écouter tous les avis et notamment ceux qui divergent de la ligne choisie, le refus donc du débat et de la démocratie, le refus par exemple de discuter sereinement d’un traitement thérapeutique préventif – hydroxychloroquine est devenu un mot presque tabou, le comble de l’absurde...
A l’heure où l’élection américaine a livré son verdict, qui n’est peut-être pas définitif, cette « élite » se réjouit du candidat élu sans se soucier de la transparence nécessaire en démocratie pour des élections. Un vrai démocrate se soucie avant tout de cela ou alors c’est qu’il s’estime prêt à vivre dans un système politique quelque peu opaque et oligarchique, à remettre son libre arbitre à des autorités officielles qui penseront et décideront pour lui"
Christophe Lemardelé, docteur en histoire des religions, chercheur associé au CNRS (UMR 8167 Orient & Méditerranée
Un autre article
"Quand je me suis aperçu que dans ce pays le simple fait de mettre en doute une information qui ne tire sa légitimité que d'être labellisée « parole officielle » et d'être répétée en boucle dans les médias suffisait à faire de vous un complotiste, j'ai pensé que le mieux était encore d'en devenir un pour de bon.
A moins d'être totalement naïf ou d'être prisonnier d'un système qui vous garantit à la fois le confort de la pensée et la position sociale, qui peut en toute honnêteté se convaincre que, par son ampleur planétaire, la situation actuelle ne soulève pas un minimum de questions ? N'est-il pas normal et légitime de se demander :
Pourquoi une maladie infectieuse qui a perdu beaucoup de sa virulence depuis le printemps 2020 est devenue l'unique sujet de préoccupation du gouvernement et des médias dominants, tandis que les ravages collatéraux de cette crise sont systématiquement laissés aux oubliettes ?
Pourquoi les traitements – efficaces – permettant de guérir du covid ont été dénigrés et même interdits, alors qu'en même temps on prétend, en haut lieu, tout faire pour protéger les plus fragiles ? Pourquoi pas une seule fois un ministre ou un médecin de plateau-télé n'a cru bon de donner aux Français des recommandations pour stimuler leurs défenses immunitaires qui sont tout de même le meilleur rempart contre la maladie ?
Pourquoi une solution aussi hasardeuse que la vaccination de masse (aux conséquences sanitaires parfaitement imprévisibles) est promue au rang de solution miracle, au mépris de toutes les mises en garde émanant de nombreux médecins et chercheurs courageux et indépendants ?
Pourquoi enfin toute pensée, toute réflexion qui se se conforme pas au dogme officiel est systématiquement exclue du champ médiatique, quand elle n'est pas purement et simplement criminalisée ?
Je le répète : si le simple fait de poser ces questions, que tout citoyen est en droit et même en devoir de se poser, est un signe de complotisme, alors c'est que l'heure est venue de revendiquer ce terme et d'en assumer les implications. Car outre qu'il pose les questions qui dérangent, le complotiste a fâcheusement tendance à vouloir trouver des explications et à émettre des hypothèses. Certaines, bien sûr, sont farfelues ; mais on ne doit normalement pas craindre cela quand on est en démocratie ! Cela s'appelle le pluralisme ou encore la liberté d'expression. D'autres, par contre, sont frappées au coin du bon sens, n'en déplaise aux experts patentés qui se sont arrogé le droit de penser à notre place.
Est-il, par exemple, farfelu ou déraisonnable de penser que les élites qui dominent le monde (grands Etats, GAFA, multinationales, puissances financières) font des projets ? Qu'elles font tout ce qui est en leur pouvoir pour donner au monde et aux populations l'orientation la plus favorable à la pérennisation et au renforcement de leur position dominante ? Et que, ce faisant, la défense de leurs intérêts communs les amène à unir leurs forces au sein d'une gouvernance de plus en plus ouvertement mondialisée ? Ne peut-on pas non plus suggérer que la crise sanitaire et la perspective vaccinale qui l'accompagne sont une remarquable occasion pour ces élites ?
Non, décidément, il n'y a rien d'anormal à faire ce genre d'hypothèses ! Je dirais même que c'est un élément indispensable à toute pensée politique désireuse d'éclairer l'avenir. Les chercheurs le savent bien : c'est en s'appuyant à la fois sur l'analyse des faits et sur des hypothèses qu'on parvient, à force de recoupements et de rapprochements, à identifier des causes et à proposer des explications – et des solutions. Et si l'hypothèse est mauvaise, encore faut-il en apporter la preuve, ce qui ne peut se faire qu'au sein d'un débat public véritablement démocratique.
Personnellement (ici je quitte le plan des faits et des hypothèses déductives pour me risquer à une interprétation), je proposerais, en vertu du principe énoncé par Térence selon lequel « rien de ce qui est humain ne m'est étranger », une lecture simple et psychologique de la situation actuelle. L'argent rend fou, nous rappelle l'adage populaire et, de fait, les hyperpuissants dont je parlais plus haut se sont écartés depuis longtemps de la « voie du milieu » chère à Montaigne, celle qui sert de repère à notre humanité commune. A force de vivre dans un sentiment de puissance quasi illimité, à force de ne rencontrer que des alter egos partageant la même vision du monde, à force de ne voir le reste de l'humanité (soit environ les 99,9% restant) que comme des entités mathématiques malléables à merci, il ont peu à peu perdu le sens de l'humain, le sens de la vie. Ils se sont enfermés dans un fantasme hyper-narcissique qui, du fait même de sa puissance, menace aujourd'hui de nous entraîner tous dans la vision totalitaire d'une humanité En (ordre de) Marche, si, comme l'enfant tyrannique qu'on n'ose jamais contredire, ils ne rencontrent pas rapidement l'opposition intransigeante des forces opposées à cette vision profondément nihiliste de l'existence humaine.
Aussi, être complotiste aujourd'hui ce n'est pas selon moi partir en lutte contre telle ou telle classe, contre telle ou telle oligarchie ; c'est, plus modestement, poursuivre le combat qui sévit, depuis la nuit des temps, au sein de la psyché humaine, entre les forces de la vie qui poussent l'individu à aimer, à entretenir, à cultiver le monde commun et celles de la régression qui cherchent à s'accaparer ce même monde au nom de la prétendue liberté d'un moi élevé au rang d'idole, par ignorance de sa vraie nature. C'est un combat contre ce qu'il faut bien appeler une folie prédatrice, folie d'autant plus dangereuse aujourd'hui qu'elle se dissimule sous le masque à la fois rassurant et séduisant de la rationalité et du progrès techniques.
Alors, au lieu de nous soumettre aveuglément à une parole officielle, dont tout nous dit qu'elle est dictée par des intérêts financiers et politiques qui n'ont strictement rien à voir avec le souci du bien commun, osons être des citoyens libres, osons écouter la petite voix intérieure qui nous met en garde et qui, comme le rappelle Rousseau, est notre meilleur guide pour penser et agir. Soyons enfin comme les insurgés néerlandais du 16ème siècle, traités de « gueux » par les partisans de la tyrannie espagnole et qui ont fait de cette insulte un signe de ralliement. Et si l'histoire des Pays-bas ou la pensée de Rousseau ne suffisent pas, songeons pour finir à l'avertissement de Brecht, ce Discours pour la paix de 1952 qu'on lira peut-être un jour comme un des textes fondateurs du « complotisme mondialisé » :
Disons et redisons ce qui a déjà été dit des milliers de fois, de peur qu'on nous reproche de ne pas l'avoir dit assez !
Répétons les mises en garde, même si elles sont déjà comme de la cendre dans notre bouche !
Car l'humanité est sous la menace de guerres en comparaison desquelles les guerres du passé feront figure de coups d'essai insignifiants et nul doute que ces guerres se produiront si ceux qui qui les préparent au vu et au su de tous n'ont pas les mains brisées.*
Alain Leduc, universitaire et citoyen
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