Cyril Dion : constat et avenir

Démission de Nicolas Hulot : pour Cyril Dion, “Il faut qu’on arrête d’être des enfants”

Emmanuel Macron et Nicolas Hulot le 20 juin 2018 lors d'une visite au Cap Frehel à Plevenon, France.

 

 

“Ne plus se mentir”, a lâché Nicolas Hulot en démissionnant de son poste de ministre de la Transition écologique. Le paysage politique se divise donc désormais entre ceux qui souhaiteront mettre l’écologie au centre de leur projet et ceux qui continueront de faire l’autruche. Cyril Dion, le réalisateur de “Demain”, réagit à cette annonce.

La démission de Nicolas Hulot, mardi 28 août, est un séisme dont on ne mesure pas encore tous les effets. Mais elle clarifie aussi les choses : dans un projet politique qui manifeste, au choix, son mépris ou sa totale incompréhension du drame écologique en cours, la défense de l’environnement n’est plus, aujourd’hui, incarnée par un ministre. Le fauteuil est vide. Comment ne pas se laisser gagner par l’angoisse du vide ? Cyril Dion, confondateur avec Pierre Rabhi du mouvement Colibris, et coréalisateur avec Mélanie Laurent du triomphal Demain(César du meilleur documentaire en 2016), publiait en mai un Petit Manuel de résistance contemporaine chez Actes Sud. Entretien.

Dans le Petit Manuel de résistance contemporaine,vous évoquez deux types d’engagement face à la tragédie environnementale : le démantèlement brutal de la société industrielle, notamment par le sabotage ; ou la mobilisation des citoyens, des entrepreneurs et des élus, pour transformer le système « de l’intérieur ». L’échec d’Hulot est-il celui de la méthode pacifiste et démocratique ?

En partie, oui. Mais je consacre plusieurs pages dans ce livre à l’idée que les responsables politiques que nous élisons ont en réalité très peu de pouvoir aujourd’hui pour transformer la société. Les lobbies et les multinationales, les grands pétroliers, les grandes banques ou les Gafa ont bien plus de pouvoir qu’eux pour influer sur la société. Ce que le lanceur d’alerte Edward Snowden appelle l’Etat profond, ces hauts fonctionnaires qui restent de gouvernements en gouvernements et orientent la politique de ces derniers en formatant des responsables parfois inexpérimentés (comme l’était Hulot), ce sont eux, bien souvent, qui tiennent le gouvernail.

Au-delà du pouvoir, il y a les intentions. Emmanuel Macron a-t-il eu, à un moment ou à un autre, le projet de donner une véritable importance à l’écologie ?

Il s’est intéressé au sujet, et comme il a une grande intelligence politique, il a vu combien aller chercher Nicolas Hulot serait un signe très fort dans son projet de dépasser les clivages. Mais depuis un an, on voit bien qu’il n’a jamais eu l’intention de transformer le cœur de sa politique pour donner une place importante à l’environnement. On ne peut pas à la fois demander à Bercy de relancer la croissance, au ministère de l’Agriculture de donner systématiquement ou presque raison à la FNSEA (qui continue de militer pour un modèle agricole résolument productiviste), signer des contrats de libre-échange… et en même temps demander au ministre de l’Ecologie de résoudre les problèmes que tous les autres ministères font naître pour la planète. Ce n’est pas sérieux. Le fond du problème est là. Comme écrivait Naomi Klein dans Tout peut changer, si on veut vraiment inverser le cours du changement climatique, il faut rompre avec le capitalisme tel qu’il existe aujourd’hui. Et Emmanuel Macron n’est pas prêt à le faire – pas plus que les dirigeants qui l’ont précédé.

“Il est urgent que le mouvement écologiste se structure pour prendre le pouvoir”

L’impossibilité de changer le système de l’intérieur, malgré l’urgence, signe-t-elle la mort de toute action pacifique pour la défense de l’environnement ?

Il existe une alternative à la violence. Je consacre la dernière partie de mon livre à une stratégie révolutionnaire non violente qui permettrait, à terme, à ceux qui mettent l’écologie au centre de leurs préoccupations de prendre le pouvoir. Le mouvement écologique souffre pour le moment d’un déficit d’organisation énorme. Pour défendre les intérêts économiques des grandes entreprises polluantes, un escadron de personnes très bien organisées suffit. Elles savent d’ailleurs très bien ce qu’elles font, ces entreprises (le contenu de scénarios développés en interne sur le réchauffement climatique, chez BP et Shell, a fuité) : elles tablent sur un accroissement de 5 degrés d’ici à 2050, dont on sait qu’il serait tragique. Elles ne sont donc pas du tout dans le déni, elles continuent simplement à défendre leurs intérêts. Il est donc urgent que le mouvement écologiste se structure pour prendre le pouvoir. Comment ? En s’appuyant sur un majorité culturelle massive. Il n’y a jamais eu autant qu’aujourd’hui de personnes convaincues par les arguments de la défense de l’environnement, et pourtant cette adhésion aux idées ne se traduit pas par un mouvement de masse. Il faut donc se donner une vision, une stratégie et des étapes. Des mouvements spontanés comme Nuit debout, ou Occupy Wall Street ont occupé des places mais sans stratégie : où leur action devait-elle aboutir ? Des mouvements politiques comme ceux de Benoît Hamon et de Jean-Luc Mélenchon ont bien commencé à intégrer l’environnement dans leur programme, mais ils continuent de se déchirer ! Face à un drame dont les effets pourraient s’apparenter à ceux d’une guerre mondiale, n’y a-t-il pas moyen de s’entendre sur les fondamentaux ? Si un accord n’aboutit pas, la place sera libre pour des mouvements révolutionnaires durs et des actions violentes, ou pour des régimes autoritaires comme en Chine, qui mettent en place une politique de plus en plus répressive sur la question écologique, quitte à mettre les gens en prison lorsqu’ils contreviennent aux règles.

Un hélicoptère de pompier fait tomber de l'eau alors qu'un incendie se déclare près du village de Metochi, au nord d'Athènes, Grèce, le 15 août 2017.

Puisque vous filez la métaphore de la Seconde Guerre mondiale, l’histoire montre malheureusement qu’il a fallu attendre le déclenchement de cette guerre pour que la résistance devienne effective… Cela ne vous rend pas pessimiste ?

Je suis très inquiet, comme tous ceux qui s’intéressent au sujet. Une étude publiée il y a trois semaines par des scientifiques allemands, danois et américains notamment indique que même si l’on tient les objectifs de l’Accord de Paris – limitation du réchauffement à 2 degrés – cela provoquera sans doute des boucles de rétroaction, et les gaz à effet de serre emprisonnés sous le permafrost seront probablement libérés par le dégel. On entrerait alors dans une spirale à 5 ou 6 degrés, et on sait qu’à ce niveau-là une bonne partie du monde devient inhabitable. Oui, il est peut-être déjà trop tard.

Etes-vous favorable au lancement d’actions en justice contre le chef de l’Etat ou le chef du gouvernement, pour non-assistance à personne en danger ou crime contre l’humanité, comme cela existe déjà dans certains pays ?

Absolument. Des initiatives comme cela sont effectivement déjà prises et j’y suis favorable. Il faut utiliser tous les moyens possibles, mobilisation citoyenne comme action en justice. Mais pour cela il faut définir une stratégie, créer une véritable coopération entre tous les acteurs autour d’objectifs atteignables et enchaîner les opérations, comme l’a fait l’ONG Bloom, qui est passée d’une belle victoire sur l’interdiction de la pêche en eaux profondes à l’interdiction de la pêche électrique. Il faut mobiliser et coordonner ONG, élus et entrepreneurs pour faire bouger les choses. Un tel mouvement de base, s’il était efficace, pendant deux ou trois ans, dans une démarche transpolitique, pourrait ensuite présenter des candidats aux élections, certain qu’un vaste mouvement populaire pourrait les soutenir. Mais il faut que les citoyens s’impliquent dans cette transformation. Il faut qu’on arrête d’être des enfants, qu’on se rende compte que la démocratie ne peut fonctionner que si on s’y implique tous les jours.

“Aujourd’hui, la plupart d’entre nous envisage l’écologie comme une perte potentielle [...] Avec Demain, nous avons essayé de montrer que quand on raconte correctement une histoire de l’avenir « inspirante », pour susciter l’enthousiasme et la créativité, ça marche”

Pour que cette mobilisation ait lieu, encore faut-il que le message passe. Nicolas Hulot n’a pas réussi à convaincre Emmanuel Macron de l’imminence du désastre, et les Français eux-mêmes ne semblent pas mobilisés…

Je ne crois pas que le message ne passe pas. Si vous allez dans la rue et que vous demandez aux gens si le réchauffement climatique ou la disparition des espèces pose problème, la plupart vous répondront « oui ». Le problème n’est pas dans la réception du message mais dans la mise en œuvre des actions nécessaires. Barack Obama, en arrivant à la présidence des Etats-Unis, avait sincèrement l’intention de faire plus. Mais comme le dit Snowden, en quelques semaines, on l’a vu faire un virage à 180 degrés, reprendre dans ses équipes des gens de Goldman Sachs, responsables en partie de la crise financière, bref, il s’est fait happer par la machine. On sait aujourd’hui quels peuvent être les principaux moteurs d’une transformation radicale de nos modes de production et d’existence, acceptés par tous : les catastrophes ou les récits. Ce sont les récits qui favorisent le mieux les changements culturels de fond. Les gens ont besoin d’imaginer à quoi ressemblerait un monde vraiment respectueux de l’environnement pour avoir envie de le mettre en œuvre. Aujourd’hui, la plupart d’entre nous envisage l’écologie comme une perte potentielle, le renoncement aux quelques acquis dont nous pouvons profiter, notre confort, notre emploi, notre voiture, etc. Alors nous nous trouvons chaque jour face à des choix cornéliens : « J’ai besoin de ma voiture pour aller travailler, mais si je prends ma voiture, je pollue » ; « Je vends encore des Airbus parce que cela crée des emplois, mais ces mêmes avions polluent terriblement l’atmosphère »… Avec Demain, nous avons essayé de montrer que quand on raconte correctement une histoire de l’avenir « inspirante », pour susciter l’enthousiasme et la créativité, ça marche. Et les initiatives sont innombrables, du Plan climat pour Paris, très ambitieux, aux efforts de certains entrepreneurs pour s’engager résolument sur le plan social et environnemental, sans parler des simples citoyens qui ont changé de boulot…

 

On a tout de même l’impression que c’est la stratégie de la dernière chance…

Il faut aller vite, c’est vrai. En 1938, Daladier et Chamberlain ne voulaient pas repartir pour une guerre, et ils ont choisi la solution la plus raisonnable. Cela n’a pas fonctionné. On ne peut donc pas se rater. Aujourd’hui, je plaide pour la voie non violente, afin d’éviter l’affrontement et le chaos. J’espère qu’on atteindra des résultats par cette voie, et qu’on amortira le choc – car choc il y aura, quoi qu’il arrive. On peut seulement essayer de l’amortir, pour que moins de gens meurent, moins de régimes dictatoriaux fleurissent sur le désastre écologique. En accélérant la révolution culturelle, en transmettant des stratégies révolutionnaires non violentes, j’espère qu’on pourra limiter les dégâts. Si on n’y arrive pas, il faudra en accepter les conséquences.

 

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