De l'enfant sauvage à l'adulte.
- Par Thierry LEDRU
- Le 30/12/2019
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J'ai longuement réfléchi à la lecture de l'article précédent et à mon propre parcours. J'ai eu une chance immense de vivre mon enfance et mon adolescence dans un contact permament avec la nature. Je sais que j'y ai construit l'adulte d'aujourd'hui, que c'est dans le coeur de cette nature que tout s'est installé, que les amours existentiels ont pris forme, ces amours qui relèvent de l'individu seul et non de la relation amoureuse avec un autre être.
Je n'aimais pas quelqu'un, j'aimais la Terre, l'océan, les forêts, le silence, les lumières, la pluie, le soleil, le vent, les tempêtes, les marées puissantes et les heures d'étale. J'avais un chien et deux copains. Et il m'arrivait souvent de partir tout seul. J'ai couru sur les plages, grimpé sur tous les rochers de la région, escaladé les arbres les plus hauts, fabriqué une cabane au sommet du plus grand pin maritime de la forêt, j'y voyais l'océan par-dessus la houle des frondaisons. Je me suis baigné à toutes saisons, je nageais jusqu'à ne plus pouvoir cesser de trembler, je me suis réchauffé avec un feu de bois flotté sur le sable, en plein hiver, seul au monde, dans le ventre rocheux d'une crique sauvage, en dehors des sentiers. J'aurais pu mourir là sans qu'on me retrouve avant des jours. J'aurai pu mourir plus d'une fois. Mais je n'avais pas peur du monde, ni des vagues, ni des courants, ni du vide du sommet des rochers, je n'avais pas peur de la fatigue, ni du froid. J'étais heureux. Dehors. Dans le monde.
J'aimais sentir mon corps à l'épreuve. J'aimais tout autant regarder les fourmis pendant des heures ou le jeu des vagues à l'horizon.
Je n'allais à aucun anniversaire, aucune fête. Je n'ai jamais mis les pieds dans une "boîte". J'ai toujours détesté les villes et la foule. Je ne supportais que les librairies.
Mes parents travaillaient et n'avaient aucunement connaissance du contenu de mes journées solitaires. Ils me voyaient rentrer parfois, les coudes ou les genoux écorchés. Je leur disais que ça n'était rien. Ils me disaient de "faire quand même attention".
J'aimais le monde autour de moi et je ne réalisais pas alors à quel point, il entrait en moi. Qu'il ne s'agissait pas que d'un "environnement", mais d'une reconnaissance cellulaire.
J'étais là, bien plus que moi. Mais je n'aurais jamais su le saisir, ni encore moins le comprendre.
L'alpinisme est devenu une nécessité et la haute montagne le territoire le plus beau qui soit pour expérimenter l'approche des limites, l'approche des réponses, la compréhension de ce qui ne s'explique pas.
J'ai couru Là-Haut des milliers d'heures.
Je n'en suis plus là.
Je redeviens peu à peu l'enfant qui jouait avec un bâton ou qui courait après un papillon. Le bonheur de monter sur un sommet ne relève plus de la quête intérieure mais de la complicité, de la dissoultion dans le monde. C'est la contemplation qui m'importe. Même si j'éprouve le besoin de courir, je ne cours pas pour aller vite mais pour "entrer loin" en moi et tout autant ne plus être là. Il existe dans l'effort physique un état contemplatif que les non adeptes du sport d'endurance ne peuvent saisir. Il faut être épuisé un jour pour prendre conscience de l'immense plaisir que représente cet état.
La contemplation et le saisissement ne passent pas pour autant essentiellement par ce biais. Bien évidemment.
Il existe une attitude intérieure qui relève de l'extrême simplicité pour y parvenir. Etre assis dans l'herbe et regarder les nuages, jusqu'à ne plus les voir en tant que tel mais comme les entités vivantes d'une énergie créatrice, un mouvement perpétuel similaire à celui de nos propres atomes. Il existe dans l'humain un état naturel dans lequel la nature retrouve son état.
C'est tout ça, finalement, que j'ai tenté de décrire dans ce septième roman.
Ce que l'homme devient lorsqu'il n'est plus rien de ce qu'il était et qu'il croyait pourtant immuable.
« La quête est une illusion. Une tromperie du moi qui se joue de tout.
Je n'ai rien à chercher. Tout est déjà là et en le cherchant, je m'en éloigne.
Le moi, je le reconnais et je connais la complexité de ses errances et je n'ai pas à le craindre.
Il n’est pas ce que je suis, il n’est qu’une interprétation. »
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