Des centaines de témoignages en fait...
- Par Thierry LEDRU
- Le 01/04/2014
- 0 commentaire
http://www.lexpress.fr/actualite/reforme-des-rythmes-scolaires-a-paris_1311689.html
Je suis professeur des écoles à Paris depuis 24 ans. Ces dix dernières années, j'ai exercé en tant que titulaire-remplaçante dans un même quartier de Paris. Je passe d'une classe à l'autre pour remplacer mes collègues absents deux jours, une semaine ou plus. Je pense donc être bien placée pour constater les effets de la réforme des rythmes scolaires à Paris de la petite section de maternelle jusqu'au CM2 sur des enfants que je revois d'une année sur l'autre.
Le premier constat que je fais, c'est qu'ils prennent plus de temps qu'avant pour effectuer un même travail. Ils s'arrêtent plusieurs fois au cours d'un exercice et se mettent à rêvasser. Je leur demande s'ils sont bloqués dans leur travail, mais ce n'est pas le cas la plupart du temps. Ils s'y remettent en rechignant un peu, de toute évidence ils semblent avoir moins de plaisir à travailler. En conséquence, il n'est plus possible de faire autant de choses qu'avant sur une même plage horaire. Ce qui est nouveau aussi, c'est l'augmentation du nombre d'élèves qui ne vont pas au bout d'un travail. Il s'arrêtent, ils commencent à s'agiter et il n'est plus possible de les remettre au travail.
Quoi qu'il en soit, à partir du jeudi après-midi, il semble évident que le temps passé en classe ne sert pas à grand chose tant il est devenu difficile de les faire travailler. Même le sport ne les intéresse plus en fin de semaine. Durant les jeux collectifs dont ils ont toujours raffolé, de plus en plus d'élèves demandent l'autorisation d'arrêter pour aller s'asseoir.
Jamais je n'avais vu autant de petits de maternelle, de CP et de CE1 s'endormir sur leur table.
En ce qui concerne les enfants de petite section de maternelle, c'est un véritable crève-coeur devoir les réveiller pendant la sieste afin qu'ils soient prêts pour les activités périscolaires de 15 heures. Le plus ahurissant, c'est quand l'activité en question est la " relaxation " qui demande qu'ils se couchent de nouveau mais à-même le sol cette fois.
Les élèves de maternelle ont plus de difficultés qu'avant pour se repérer dans le temps. Quatre mois après la rentrée, quand on les fait sortir de la classe, ils redemandent plusieurs fois s'ils vont en récréation, à la cantine, ou si leurs parents les attendent pour repartir.
Les élèves de maternelle ont toujours été plus agités à la fin du premier trimestre, à l'approche de Noël, mais cette fois ça dépasse tout. J'ai eu des classes incontrôlables par moments, malgré toute mon expérience.
A Paris, ce sont les asems ( agents spécialisés des écoles maternelles ) qui sont chargées des activités périscolaires. Comme elles ont eu très peu de formation, leur hiérarchie leur demande d'observer ce que font les instits pendant la journée et de faire la même chose le soir. Toutes se plaignent d'avoir été contraintes d'assumer cette nouvelle charge mais elles semblent toutes résignées.
Certaines rapportent que leur hiérarchie( et même leur syndicat ) leur demande de se préparer à prendre en charge les enfants à la place des instits dans le futur, dans le cadre de la transformation des écoles maternelles en " jardins d'éveil " gérés par la mairie ... Cela rend mes collègues perplexes.
En école élémentaire, les activités périscolaires n'ont démarré que début octobre. Avant cette date, les mardis et vendredis, après 15 heures, les élèves ont pu bénéficier de récréations d'une heure trente. Des activités de garderie se sont mises en place, les mêmes que celles des centres de loisirs du mercredi, mais les sorties en moins étant donné la plage horaire limitée.
Les salles de classe sont utilisées pour ces activités. Les animateurs de la mairie arrivent dans les classes peu avant 15 heures et sans grand ménagement, vous rappellent que vous devez leur laisser la place. Si vous avez le malheur de rester un peu dans la salle pour préparer la classe du lendemain, ils vous font sentir que vous les dérangez, quand ils ne vous demandent pas ouvertement de sortir. Et vous voilà avec vos collègues, errant dans les couloirs, des piles de cahiers sur les bras , cherchant un endroit pour travailler, avant de vous replier sur la " salle des maîtres " rebaptisée depuis septembre sur injonction de la mairie " salle des adultes " . Beaucoup de collègues se disent totalement démotivés à cause de ce qu'ils subissent depuis la rentrée. Il semble y avoir plus d'arrêts maladie qu'avant car j'entends plus souvent que des absences n'ont pas été remplacées faute de personnel. Pour la première fois cette année, quand j'arrive dans une école, les directeurs m'accueillent " comme le messie ".
A partir de 15 heures, je croise dans les écoles tout un tas d'adultes connus ou inconnus qui vont et viennent, avec ou sans enfants. Je croise des groupes d'enfants désoeuvrés qui ne savent pas s'ils doivent sortir ou participer à une activité, et qui finissent par s'agiter entre les monticules des cartables laissés dans les couloirs ou le préau.
Plusieurs fois, des parents se sont plaints auprès des directeurs de ce que leurs enfants se soient retrouvés seuls dans la rue à 16h30 alors qu'ils auraient dû enchaîner sur l'étude après les ateliers.
Selon les écoles, les activités périscolaires semblent se passer plus ou moins bien. Mais dans la majorité des cas, c'est très bruyant. Beaucoup d'agitation dans les classes et parfois des hurlements. Les personnes recrutées n'ont certainement pas l'expérience et l'autorité nécessaires pour prendre en charge des groupes d'enfants. Une fois, une animatrice est sortie d'une salle totalement paniquée pour me demander de l'aide pour faire descendre les enfants des tables. Plusieurs fois on m'a demandé : " mais comment vous faites pour qu'ils vous écoutent ? ".
Beaucoup d' " animateurs " s'adressent aux enfants dans un français bien peu académique. Certains même se montrent parfois peu respectueux avec eux. Il est affligeant de voir comment, à l'intérieur même de l'école, des adultes peuvent détruire en moins de dix minutes votre leçon de grammaire et votre leçon d'éducation civique de la journée.
Le matin, je retrouve souvent les classes en désordre. Des affichages sont dégradés. On perd du temps le matin à tout remettre en ordre. On perd du temps à remplir les feuilles pour établir les horaires de sortie de chacun. En fait on travaille beaucoup moins.
Globalement, les locaux sont moins bien entretenus qu'avant surtout dans les écoles maternelles ( toilettes, fientes de pigeons dans la cour ... ), les asems ne pouvant pas faire le ménage et s'occuper des enfants en même temps.
A l'extérieur de l'école, je croise des groupes d'enfants surexcités qui sont emmenés dans les gymnases par des accompagnateurs à peine plus âgés qu'eux et qui semblent n'avoir aucune autorité sur eux. Je rencontre aussi des élèves qui traînent dans la rue. Ils m'expliquent qu'ils ont demandé à ne plus aller aux activités périscolaires car ils trouvent que " c'est nul ".
Le plus inquiétant, c'est la confusion qui commence à germer entre le travail scolaire (obligatoire) et les activités périscolaire " récréatives " qui n'ont pas, bien sûr, ce caractère obligatoire. Dès le mois d'octobre, j'ai commencé à entendre des réflexions d'élèves comme " C'est obligatoire, ce travail ? " , " Pourquoi je suis obligé de le faire, ça ? " " J'ai pas envie de le faire, ça m'intéresse pas ! " que je n'avais jamais entendues avant. Le fait que la plupart des activités se déroulent dans les mêmes salles que l'enseignement est certainement la cause de cette confusion.
Est-ce que je pense cette réforme est un progrès pour l'école ? Sans hésitation : non . Mais je ne suis ni Chronobiologiste, ni Expert en Sciences de l'Education, ni Ministre de L'Education Nationale. Je suis simplement sur le terrain tous les jours.
Ajouter un commentaire