Ecosystème spirituel
- Par Thierry LEDRU
- Le 29/03/2013
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Thierry :Ce que je trouve un peu désolant, c’est que tous les jours, nous sommes des survivants, tous les jours, nous sommes dans cette situation de « miraculés », mais nous prenons tous ces jours qui défilent comme des évidences, comme des dus, des propriétés, des choses éternelles. C’est absurde. Tous les jours, nous sommes ces survivants et tous les jours, à chaque instant, cette vie en nous se doit d’être bénie, honorée, pleinement absorbée. Il faut vivre comme des affamés et non comme des repus apathiques ou des angoissés du lendemain. Demain n’existe que dans notre imagination, il n’a aucune réalité... Ne pas attendre cet instant de rupture dans notre endormissement mais rogner chaque instant, non pas seulement dans les actes, mais dans la dimension spirituelle.
Pierre : Je partage assez ces idées qui décrivent bien nos tendances. Je suis sensible aussi à ce côté pratique que vous proposez, empli de gratitude d’une part, et de décision pleine et entière de se mettre au travail d’autre part. Qu’entendez-vous par « rogner chaque instant, non pas seulement dans les actes, mais dans la dimension spirituelle » ?
Thierry : Henry David Thoreau disait qu’il s’agit de « vivre profondément et sucer toute la moelle de la vie ». Bien plus encore que de rogner l’os, il faut explorer jusqu’aux fibres qui constituent l’os, percevoir l’énergie qui crée la structure. C’est cela « l’Illumination ». Être capable d’expérimenter la réalité telle qu’elle est, sans interférence, sans distorsion, sans apport personnel, dans une complète acceptation, sans projection, sans peur, sans attente, sans espoir, c’est un état d’illumination. Cela revient à déposer ses charges, ses fardeaux, son passé et toutes les identifications qui s’y sont greffées. Il s’agit des fardeaux d’ordre mental. Ils peuvent bien entendu avoir des répercussions sur le physique. Cette conscience temporelle dont nous disposons peut se retourner contre notre plénitude. Elle installe une charge émotionnelle, majoritairement inconsciente. Pour entrer dans cette acceptation libératrice il est indispensable d’établir la liste de ces fardeaux, de les identifier et de prendre conscience qu’ils ne sont pas ce que nous sommes. Ils sont l’image que nous avons donnée de la vie mais ils ne sont pas la vie. Les pensées commentent la vie et si nous n’y prêtons pas attention, nous finissons par considérer que ce commentaire est la vie elle-même. La vie n’est rien d’autre que l’énergie qui vibre en chacun de nous. Elle ne doit pas être salie, alourdie, morcelée par cette vision temporelle à laquelle nous nous attachons. Les pensées que nous avons établies comme l’étendard de notre puissance est un mal qui nous ronge. L’égo y prend forme et se détache dès lors de la conscience de la vie. L’individu se couvre d’oripeaux comme autant de titres suprêmes. Ça n’est que souffrance et dans la reconnaissance que nous y puisons nous créons des murailles carcérales. L’illumination consiste à briser ce carcan. L’individu n’en a pas toujours la force, il manque de lucidité, d’observation, il est perdu dans le florilège d’imbrications sociales, familiales, amoureuses, professionnelles. Il se fie à son mental nourri inlassablement par les hordes de pensées. Survient alors, parfois, le drame. L’évènement qui fait voler en éclat les certitudes, les attachements, les conditionnements. La douleur physique se lie à la souffrance morale. Les repères sont abolis, les références sont bannies. L’individu sombre dans une détresse sans fond, il en appelle à l’aide, il cherche des solutions extérieures, condamne, maudit, répudie, nie, rejette, conspue, insulte le sort qui s’acharne sur lui alors qu’il est lui-même le bourreau, le virus, le mal incarné. Il a construit consciencieusement les murs de sa geôle et jure qu’il n’est pour rien. Dieu, lui-même, peut devenir l’ennemi juré alors qu’il avait jusque là été totalement ignoré. Tout est bon pour nourrir la révolte.
S’installe alors peu à peu l’épuisement. Le dégoût de tout devant tant de douleur. Ça n’est qu’une autre forme de pensée, une autre déviance, une résistance derrière laquelle se cache l’attente d’une délivrance, un espoir qui se tait, qui n’ose pas se dire. Une superstition qu’il ne faut pas dévoiler. La colère puis le dégoût, des alternances hallucinantes, des pensées qui s’entrechoquent, des rémissions suivies d’effondrements, rien ne change, aucune évolution spirituelle, juste le délabrement continu des citadelles. Cette impression désespérante, destructrice de tout perdre, de voir s’étendre jour après jour l’étendue des ruines.
Il ne reste que l’illumination. Elle est la seule issue. Car lorsqu’il ne reste rien de l’individu conditionné, lorsque tout a été ravagé jusqu’aux fondations, lorsque le mental n’est plus qu’un mourant qui implore la sentence, lorsque le corps n’a plus aucune résistance, qu’il goûte avec délectation quelques secondes d’absence, cette petite mort pendant laquelle les terminaisons nerveuses s’éteignent, comme par magie, comme si le cerveau lui-même n’en pouvait plus, c’est là que les pensées ne sont plus rien, que le silence intérieur dévoile des horizons ignorés.
Révélation. Illumination.
Je ne suis pas ma douleur, je ne suis rien de ce que je veux sauver. Je ne suis rien de ce que j’ai été.
Je suis la vie en moi. Je suis l’énergie, la beauté de l’ineffable.
Pierre : J’ai l’impression d’avoir déjà entrevu ce type de descente aux enfers …
Ce qui m’a permis de, finalement, surnager, est ce socle de valeurs éternelles, indissociables, tout en haut, du divin. Pour moi ce « rapport conscient au divin » a une grande importance dans une pratique quotidienne de valeurs humaines. Mais cette illumination, je l’ai ressentie plus comme un présent que comme le résultat d’un effort de ma part. Je me suis tournée dans la bonne direction certainement, sincèrement probablement, mais c’est tout. La suite, je l’ai reçue comme un cadeau. Même si je reste persuadée que ce petit effort, il fallait tout de même le faire.
Thierry : Pour ma part, le « choc », je l’ai reçue sans en être l’instigateur. C’est à une médium magnétiseuse que je dois une guérison, jugée comme « miraculeuse » par le corps médical. Trois nouvelles hernies discales (deux déjà opérées), paralysie totale de la jambe gauche, une opération envisagée mais qui comportait comme probabilité le fauteuil roulant. Je l’ai refusée. J’ai eu la « chance » alors de croiser la route d’Hélène. Une séance de quatre heures, un « au-delà » dont j’ignorais l’existence, la rupture totale de toute résistance. Trois mois après je reprenais le ski et la haute montagne. Une incompréhension absolue et puis un long cheminement intérieur qui m’a mené vers cette absorption complète de la Vie, non pas d’un point de vue intellectuel mais dans un domaine spirituel, c’est à dire à mon sens, une compréhension qui va bien au-delà du mental. Le « rapport conscient au Divin » que vous évoquez.
Pierre : Expérience intéressante qui me fait réfléchir un peu plus à cette idée de causalité, qui me travaille … Quand il s’agit de guérison inexpliquée, ou de guérison explicable d’ailleurs, quels sont les chemins causaux qui ont été empruntés et, si on remonte ces causes, de cause en cause, dans quelle mesure l’impact d’une « cause des causes » s’est révélé déterminant de manière directe ?
Thierry : Oui, c’est un exercice que je trouve passionnant, remonter la trame de la causalité ! Dans un but de compréhension, de ce qui nous entoure, comme de nous-mêmes.
Dans un but d’accomplissement, en mettant en œuvre les causes appropriées pour les effets recherchés.
Pierre : Par rapport à une cause des causes et à son impact plus ou moins direct dans notre vie de tous les jours : je ne pense pas que Dieu, ou une Source, le divin, ou autre appellation de cette entité qui serait une Cause Première, agisse directement dans la chute d’un objet qu’on lâche et qui tombe et se brise… En revanche nous sommes dans le réseau de cette trame causale qui fonctionne très bien, avec ses lois, et tous les jours nous l’expérimentons dans tous les domaines de notre vie … Cette trame causale pourrait être en elle-même le fruit de cette cause initiale, qui la permet, la pense, la perpétue et la maintient en place. Histoire de causalités primaire et secondaire, ou de Cause Première et de causes secondaires …
Thierry : Pour ma part, j’ai écrit, écrit, écrit pendant des mois afin d’essayer d’éclairer ce cheminement et de remonter à « la » cause initiale. Le problème, ou la nécessité, c’est qu’il a fallu que je sépare ce que mon mental apportait comme réponse (et qui en soi n’en est pas une) et essayer d’envisager ou d’identifier ce que mon âme avait choisi comme chemin. Prajnanpad disait que le mental créait une multitude de problèmes et s’efforçait ensuite de les résoudre. Juste un fonctionnement qui lui donne un rôle adoré, même s’il s’agit d’une accumulation de tourments jusqu’à la destruction. Il s’agit pour lui de rester le Maître. Mais il est l’ouvrier et pas l’architecte. Et il est très rapidement dépassé par les actes anarchiques qu’il occasionne. Il faut le faire taire tout en usant de sa maîtrise dans le domaine du langage. Il faut se « dé-penser ». C’est là que l’activité physique dans l’effort long est un épurateur formidable. Ça n’est pas la performance qui importe mais l’ouverture spirituelle que l’effort long procure.
La vie, prioritairement, ne se commente pas, elle s’éprouve.
Et c’est dans cette mise au silence du mental que la lucidité s’éveille.
La connaissance de soi consiste à se libérer du connu, comme le disait Krishnamurti. Le mental est cet espace connu dans lequel nous errons. Je vois dans l’expression de Krishnamurti la nécessité d’affronter « une pulsion de mort » qui consiste à survivre dans les conditionnements auxquels nous nous sommes identifiés. Celui-là est « mort » qui n’existe que dans l’hébétude et la futilité. « La pulsion de vie » impose au contraire de s’extraire de cette routine érigée en réussite parce qu’elle annihile en les analysant les inquiétudes et les tourments. Bien entendu, on ne voit souvent l’étreinte consciente des traumatismes que comme une auto flagellation, un goût pervers pour la souffrance, une exacerbation narcissique de l’égo qui se complait dans le malheur ressassé. S’il ne s’agit effectivement que d’une exploitation malsaine du statut de victime afin d’amener vers soi la compassion, la plainte et l’identification à ce rôle adoré, il n’y a dans cette dérive qu’un enfoncement néfaste dans le bourbier des douleurs irrésolues. La pulsion de vie n’est pas cela. Elle demande à explorer l’inconnu en nous, cet inconnu qui nous terrorise et que nous ne voulons pas affronter parce qu’il porte tous les stigmates des coups reçus, les souffrances enkystées, les malheurs fossilisés. En nous accrochant désespérément à nos habitudes, à nos croyances, à nos chimères, nos sempiternelles répétitions, en vissant nos yeux aux veilleuses qui repoussent les noirceurs, nous restons figés dans la pulsion de mort. Rien n’est possible et nous irons ainsi jusqu’à la mort réelle. Hallucinés de certitudes et de mensonges maintenus. Bien sûr que l’existence nous aura paru aussi douce que possible, tant que nous serons parvenus à résister aux assauts de l’inconscient. Encore faudra-t-il que notre enveloppe corporelle parvienne à échapper aux somatisations de toutes sortes…Ça n’est pas gagné…Cette pulsion de mort n’est par conséquent qu’une errance enluminée. Il n’y a aucun éveil mais un cinéma hollywoodien. C’est le mental le metteur en scène. Mais il a une vision étriquée de la pièce.
C’est le chaos des étoiles qui créé la splendeur de l’Univers. La pulsion de vie qui détruit les dogmes personnifiés nous pousse vers le chaos en nous-mêmes. C’est un chemin de clarté et une épreuve. Il ne s’agit pas de dolorisme mais une quête de lucidité. Rien n’empêchera d’admirer le cosmos dans les nuits calmes. Refuser la pulsion de mort, celle qui maintient l’individu dans le carcan de ses traumatismes, par peur, par déni, par accoutumance, c’est refuser de se nourrir de l’élan vital qui veut que la vie soit une évolution verticale et non l’extension horizontale de l’individu. De toute façon, il suffit de regarder autour de nous, nos proches, quelques connaissances, pour réaliser que si ce travail n’est pas entamé, consciemment, maintenu, préservé, encouragé, les dégâts collatéraux finissent la plupart du temps par jaillir comme si l’âme étouffée gangrenait l’enveloppe qui la porte. Je l’ai vécu. J’en suis sorti. La médecine ne l’explique pas. Nous sommes très nombreux dans ce cas. Bien plus que ce que la pudeur ou la peur de la moquerie laissent filtrer… La connaissance de soi peut se présenter comme une tentative de l’individu à ramener l’inconscient à la conscience ou à ouvrir le conscient à l’inconscient. De nombreuses pratiques sont envisageables. L’écriture m’a servi de support. La haute montagne est un écrin.
Ça n’était donc plus « LA » cause qui m’importait mais l’intention qui s’y trouve.
Lorsque j’ai faim, je sais que la cause de cette sensation est la dissolution aboutie des éléments nutritifs dans mon organisme. Il faut donc que j’apporte de nouveaux éléments.
Mais c’est l’intention qui importe. Continuer à fonctionner organiquement.
Dans le domaine spirituel, les tourments du mental ont une cause. Mais l’essentiel du travail associé à la résolution de cette énigme n’est pas d’identifier simplement ces causes mais de comprendre l’intention de l’âme derrière tout ce fatras. Où doit-elle aller ? Quel est son chemin de vie ? Et ça n’est pas le mental qui peut répondre à cette interrogation. Il n’est pas l’architecte.
Pierre : Concernant l’idée de la causalité, pour moi la recherche d’une cause n’est effectivement pas un but en soi. Elle doit s’intégrer de manière naturelle dans une démarche de médecine de l’âme. L’analogie avec la médecine du corps fonctionne très bien. On ne fait pas des découvertes sur les causes des maladies, juste pour les découvrir, l’idée est de comprendre pour mieux cerner les conditions d’une bonne santé comme celles de l’émergence de telles maladies, et dans ce dernier cas pour les traiter. Je vous rejoins assez quand vous dites : « Mais l’essentiel du travail associé à la résolution de cette énigme n’est pas d’identifier simplement ces causes mais de comprendre l’intention de l’âme derrière tout ce fatras » : l’identification d’une cause n’a pas de valeur en soi si c’est juste pour cocher une case et l’archiver. Il faut que ce soit suivi d’une décision qui traite justement la cause. Ou qui utilise cette compréhension d’une relation cause-effet pour un autre traitement. Je pense en revanche que l’identification d’une cause ne se fait pas « comme ça » mais qu’elle est le fruit d’un travail de connaissance sur soi acharné. D’une démarche de recherche et d’identification des dysfonctionnements voire des maladies de notre âme.
« Où doit-elle aller ? Quel est son chemin de vie ? Et ça n’est pas le mental qui peut répondre à cette interrogation. Il n’est pas l’architecte. » : Je vous rejoins, toute cette démarche reste indissociable d’une idée précise de la finalité de notre création.
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