"Écrivain, un métier"
- Par Thierry LEDRU
- Le 16/01/2019
- 2 commentaires
ECRIVAIN, UN METIER...
... Au fur et à mesure de mes déplacements dans des salons du livre ou par des mails de fans, je me suis rendu compte qu’être « écrivain » fait beaucoup fantasmer, et génère beaucoup de questions. D’innombrables personnes écrivent ou veulent le faire. Il me paraît intéressant de faire le point, à la lumière de mon expérience, puisque cela fait maintenant plus de trente ans que je suis publié avec quarante ouvrages à mon actif sous mon nom, une dizaine écrits sous pseudonymes, quelques autres en tant que « ghost writer » à mes débuts pour différentes personnalités. Sans compter plus d’une centaine d’anthologies thématiques en policier, fantastique et science-fiction ; et beaucoup de recueils de nouvelles d’auteurs les plus divers (Fredric Brown, Ross MacDonald, William Irish, Robert Bloch, Richard Matheson, etc.). Ainsi que la direction de nombreuses collections chez des éditeurs tels que Fleuve Noir, Encrage, Clancier-Guénaud ou, plus récemment, chez l’éditeur de poche Points avec « Points Crime ».
Mais c’est sur mon activité d’auteur que je vais me pencher. Il faut savoir qu’en France, il est quasiment impossible de vivre de sa plume. Cela commence mal, me direz-vous. Oui, mais c’est la triste réalité. Bon an, mal an, on estime qu’environ 150 à 200 écrivains en vivent et n’exercent pas d’autre métier. Seuls une poignée gagnent très bien leur vie, Marc Lévy, Guillaume Musso, Amélie Nothomb, Maxime Chattam, Jean-Christophe Grangé, Franck Thilliez, etc., vous les connaissez tous. Ils signent tous des best-sellers. Ce n’est pas du tout mon cas, je n’ai jamais eu de « best-seller » à mon actif, je suis plutôt un « long-seller ». Mes livres vont continuer à se vendre sur une longue durée, voire sur plusieurs décennies, comme « Serial killers » chez Grasset dont la première édition est sortie en 1993 avec 288 pages. L’édition « définitive » est parue en juin 2014 et comporte 1 104 pages. La première édition a bénéficié d’une publication dans Le Livre de poche en 1995. En 1999, « Serial killers » a aussi été publié dans une version club dans « Le Grand livre du mois ». Il a été maintenant traduit dans une quinzaine de pays. Toutes éditions confondues, il s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires en vingt-six ans. Mais c’est un livre que je ne céderai plus jamais à un éditeur de poche, même si je l’avais fait en 1995. A l’époque, j’avais également besoin de me faire connaître.
Evidemment, tous mes ouvrages ne connaissent pas un tel succès, même s’ils « marchent » bien. Ainsi « 999 ans de serial killers », à présent épuisé en grand format chez Ring, s’est vendu à près de 25 000 exemplaires et « Qui a tué le Dahlia Noir ? » a été réimprimé trois fois. Ces deux titres sont maintenant sortis en poche, début 2016, chez La Mécanique Générale. Chez Points, mes six titres, « Le Livre noir des serial killers », « Tueurs », « Profileuse », « Mes conversations avec les tueurs », « Le Livre rouge de Jack l’Eventreur » et « A chaque jour suffit son crime » se vendent tous très bien. Dans la collection, mon « best-seller » est « Le Livre noir des serial killers » qui atteint les 200 000 exemplaires et qui a été relooké avec trois couvertures différentes chez Points. Par contre, il faut savoir que l’économie pour un auteur en poche n’est pas l’atout majeur. Vous touchez 5% des droits, les autres 5% vont dans la poche de l’éditeur grand format d’origine du livre. Avec les retenues d’usage, vous touchez entre vingt et trente centimes d’euro par exemplaire vendu. Mais une sortie poche vous fait connaître et crédibilise vos ventes en grand format, car si la première sortie de l’ouvrage n’avait pas marché, aucun éditeur de poche ne l’aurait repris. Attention aussi à ne jamais publier tous vos ouvrages en poche, sinon vous vous tirez une balle dans le pied. Pour un écrivain, les ventes grand format représentent l’immense majorité de ses gains.
Justement, parlons-en de ce sujet tabou des gains. Comme je l’ai dit, peu d’auteurs vivent de l’écriture : en France, on estime que c’est le cas pour 5 à 7% d’entre eux. Il paraît environ 250 titres différents tous les jours, qu’il s’agisse de littérature, de documents, de BD, de guides pratiques, de scolaire, de manuels, etc. Je reconnais que je fais partie de ces 5 à 7% qui en vivent à plein temps, sans avoir d’autre profession à côté. Par contre, je n’ai pas ou peu de retraite, ce qui m’oblige à travailler encore longtemps, n’ayant jamais été salarié. Mon métier d’écrivain et la spécificité de mes ouvrages font que je complète mes droits d’auteur par de très nombreuses conférences/débats/
Lorsque vous êtes publié, l’éditeur va vous verser un à-valoir, ce qui se pratique de plus en plus rarement car le secteur du livre est en crise, environ 2 à 3% de ventes en moins d’année en année. Cet à-valoir vous est versé en deux ou trois fois (à la signature du contrat, à la remise du manuscrit, à la publication de l’ouvrage) et vous le gardez, même si vos ventes ne dépassent pas cette somme. Cela peut aller de 1 000/1 500 € pour un premier roman à plusieurs centaines de milliers, voire plus, pour les écrivains les plus vendeurs. Les miens s’échelonnent entre 10 et 25 000 €. Il peut y avoir des exceptions, pour « 999 ans de serial killers », j’ai, par exemple, renoncé à demander le moindre euro d’à-valoir, en échange d’un pourcentage sur les droits plus élevé que ce qui est pratiqué habituellement. Pourquoi ? Parce que j’ai cru au projet de David Serra et, parce qu’en 2012, il démarrait Ring, sa maison d’édition et qu’il ne disposait pas d’un budget conséquent au départ. Pari gagné en ce qui me concerne. Quant aux pourcentages, ils s’échelonnent en grand format entre 5% (ce qui est inacceptable) et tourne autour de 8 à 10% en général. Après, vous pouvez avoir des formules 10/12/14, suivant le palier de vos ventes : on vous augmente votre pourcentage si vous dépassez les 10 000 exemplaires de ventes, et ainsi de suite. En ce moment, mes pourcentages vont de 12 à 16% des ventes, ce qui est très bien. Je suis loin de quelques rares auteurs de « best-sellers » dont les pourcentages dépassent les 20%, mais ils se comptent sur les doigts des deux mains. Vous avez aussi quelques écrivains, qui font partie de jurys prestigieux, publiés dans les maisons autour de Saint-Germain-des-Prés, vont toucher des à-valoir et/ou pourcentages peu en rapport avec leurs ventes effectives.
D’autres fois, vous êtes perdant comme cela a été le cas pour moi avec Edite et son patron, Jean-Christophe Pichon, que je considérais comme un « ami ». J’ai fait quatre ouvrages pour cet « éditeur » pour lequels j’ai reçu des chèques en bois et des traites impayées. C’était toujours, « je t’envoie ça d’ici quelques semaines, c’est juré », « un investisseur va entrer dans le capital »… Jusqu’au jour en 2013 où j’ai appris qu’il avait déposé le bilan en catimini. Il n’a même pas voulu me donner d’exemplaires gratuits de mes propres ouvrages lors de cette faillite. Bref, cet « ami qui me voulait du mal » m’a coûté plusieurs années de travail pour rien et, probablement, 30 à 40 000 € de pertes au bas mot. Une expérience démoralisante. Depuis, je traîne toujours ce manque à gagner. Fort heureusement, je suis très satisfait de mes relations avec mes éditeurs actuels, qu’il s’agisse de Ring, Grasset, Points, La Martinière, et, le tout dernier, La Mécanique Générale. Pourquoi d’ailleurs, un cinquième éditeur, me direz-vous ? Je reste très attaché et fidèle aux personnes que j’ai rencontrées. Chez Points, c’est Marie Leroy qui a crû en mes livres pour les sortir en poche en 2010. Logiquement, étant chez Grasset, au sein du groupe Hachette, c’est Le Livre de poche qui aurait dû m’éditer, mais ils ont trop hésité, du coup c’est Points qui a remporté le marché. Lorsque Marie Leroy m’a annoncé qu’en 2014, elle quittait Points pour diriger tout un pan – hormis les « beaux livres » - chez La Martinière, elle m’a demandé de lui écrire « La Bible du crime ». Elle changeait juste d’étage puisque Points, Le Seuil et La Martinière font partie du même groupe avec d’autres éditeurs.
Mon dernier ouvrage « L'Ogre des Ardennes » paru chez Grasset le 7 novembre dernier s'est déjà vendu à un peu plus de dix mille exemplaires et, d'ici juin 2019, je vais publier trois nouveaux livres chez deux nouveaux éditeurs pour lesquels je n'ai encore jamais travaillé. Il y a aussi la préparation d'une collection de trente BD sur les tueurs en série qui va paraître chez Glénat à partir de 2020. Premier album sur Ted Bundy.
En 2019, écrire un livre ne suffit plus, loin de là. Je dirai que cela représente maintenant 50% du travail. Il faut savoir communiquer, « se vendre ». Cela, je l’ava is compris depuis longtemps. Je m’investis beaucoup dans cet aspect des choses. J’ai toujours insisté pour choisir les titres de mes ouvrages, avoir mon mot à dire pour les couvertures, écrire les quatrièmes au dos de mes livres. La seule fois où cela n’a pas été le cas, c’est avec « Les serial killers sont parmi nous » chez Albin-Michel. Je n’aime pas la couverture, ni le titre, ni le texte d’accroche. J’avais opté pour « Serial killers made in France ». Nous devions poursuivre avec d’autres titres déjà signés, mais j’ai préféré rembourser mes à-valoirs pour récupérer mes contrats. Chez Ring, à un moment donné, les représentants ont insisté pour utiliser un fond beige crème avec « Qui a tué le Dahlia Noir ? » et je sentais que mon éditeur devenait indécis. J’ai alors beaucoup insisté pour garder ce jaune acidulé qui était notre choix de départ à David Serra et à moi-même. Et je ne peux que m’en féliciter. Pour « La Bible du crime », il y a eu des discussions au sujet de la couverture et du titre. Je trouvais que le premier projet de couverture était banal, avec un titre plébiscité par les représentants, « A chaque jour son crime », et que je détestais. J’avais choisi « Bible de sang » (pas « La Bible de sang ») ; finalement, nous avons opté d’un commun accord pour « La Bible du crime », en ces temps d’intégrismes religieux, même si j’estime que mon premier choix est plus fort. La sortie poche chez Points de « La Bible du ctime » s'est faite en 2016 sous une nouvelle appellation, « A chaque jour son crime ».
Comme je l’ai dit, il faut savoir communiquer, « se vendre » auprès des médias, faire du « storytelling », avoir une personnalité ou un métier particulier qui fascine. J’ai (un peu) un avantage sur les autres, c’est que je suis pratiquement le seul dans mon créneau depuis que j’ai commencé il y a plusieurs décennies. Et il ne faut jamais oublier que nous vivons dans un monde où tout est très vite oublié, Internet étant passé par là. Je ne me suis jamais endormi sur mes lauriers. A côté de mes livres, j’ai beaucoup fait de reportages, documentaires et émissions pour la télévision, sorti des DVD, créé mon site Web en 2003 avant de le suspendre fin 2015 pour utiliser Facebook. Je n’oublie jamais que c’est grâce à vous, lectrices et lecteurs, fans, que mes livres remportent un certain succès. Voilà pourquoi je continuerai toujours à rester accessible, à répondre, le plus souvent, à vos demandes et sollicitations par mails ou lors de nos (trop brèves) rencontres dans des salons ou pour des conférences. Je vous suis très redevable et je ne l’oublie jamais. Merci à vous toutes et à vous tous.
Stéphane Bourgoin
Thierry Ledru
1 h ·
"En 2019, écrire un livre ne suffit plus, loin de là. Je dirai que cela représente maintenant 50% du travail. Il faut savoir communiquer, « se vendre ».
Un article très intéressant sur la problématique de l'auteur. Personnellement, j'essaie de faire au mieux au regard de cette indispensable promotion. J'ai envoyé quatre exemplaires de "Kundalini" à des revues ou personnalités. Aucune réponse... J'arrête les frais. Il ne me reste que mon blog et les réseaux sociaux pour faire connaître mes écrits et je sais que sans le soutien des lecteurs et lectrices, c'est une goutte d'eau lancée dans un océan si vaste que les ondes générées par cette goutte qui tombe s'effacent en quelques minutes. Si je regarde sur Amazon les pages des auteurs cités dans cet article, je lis des commentaires de journalistes travaillant dans des grands journaux, revues, et sites divers : 200, 300, 400 commentaires sur Amazon, des pages Facebook comptant des milliers de fans...Je ne suis rien là-dedans, je n'existe même pas. Il n'y a donc que les lecteurs et lectrices qui peuvent changer cela. Un commentaire laissé sur ma page Amazon suffit à faire "remonter" le livre dans les compteurs des algorithmes et à amplifier la visibilité dans les moteurs de recherche. Les avis des lecteurs sont très importants dans la décision d'un achat et pas que dans le domaine du livre d'ailleurs.
Je n'aime pas vraiment lancer ce genre "d'appel", ça me met mal à l'aise. Je le fais aussi pour la maison d'édition qui me publie. Par reconnaissance. Peu de gens ont idée de la difficulté à être publié et je mesure tous les jours la chance qui est la mienne désormais en voyant mes cinq romans sur l'étagère de la bibliothèque.
Ma page "auteur" sur Amazon
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Commentaires
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- 1. Thierry LEDRU Le 22/01/2019
Chère Plume
J'ai pleinement conscience de la chance immense que j'ai d'être publié par une maison comme celle des éditions du 38. J'ai pleinement conscience aussi du travail que j'ai mené pour y parvenir. Je vais donc continuer pour honorer ce privilège et tenter encore d'émouvoir, d'intéresser, d'amener des réflexions, d'inviter à l'exploration de soi.
Le secteur de l'édition est impitoyable, c'est certain. J'en ai longtemps connu les affres, les doutes, les colères, les incompréhensions. Peut-être était-ce nécessaire pour que je travaille encore.
Tenter, chercher, tenter encore, écrire, encore et encore, donner à lire, recommencer, effacer, transformer, penser, réfléchir, et surtout aimer, aimer l'écriture à n'en avoir jamais fini de l'aimer -
- 2. laplumefragile Le 22/01/2019
C'est en effet un beau parcours que celui de S. Bourgoin. Une leçon de vie d'écrivain.
Je pense que ton "appel" est tout à fait compréhensible. En te consacrant à ce blog, c'est déjà un appel en soi, une forme d'auto-promotion qui te met en avant et te permet d'entretenir les échanges qui peuvent t'être précieux, souverains, libérateurs même.
Je crois bien tu peux être fier et heureux de voir tes publications sur ton étagère et celle des autres. Tu sers d'exemple aussi.
À chacun son parcours. Tu n'auras pas démérité. Et la route est encore longue pour toi, n'est-ce pas ?
Après, ce genre d'article nous confronte à la réalité : c'est forcément démotivant pour des personnes qui ne savent pas comment s'y prendre, comment se lancer dans ce genre d'aventure plus grande que nature. Car tant le secteur de l'édition que les pratiques commerciales rebutent.
Néanmoins, merci pour ton article, c'est toujours bon à prendre, et ça répond à quelques questions que j'avais posées dans ma lettre-fantôme à M. Houellebecq.
http://laplumefragile.fr/2018/05/13/lettre-a-houellebecq/
À bientôt,
f.
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