Un élève d'une école élémentaire d'Asnières, en décembre 2011 (DURAND FLORENCE/SIPA).
RENTREE SCOLAIRE. C’est la rentrée des classes pour les élèves, les enseignants et autres professionnels de l’éducation.
Pour Vincent Peillon, après un tour de chauffe, quelques maladresses et bonnes idées, des projets et nouveautés, et surtout après la présente consultation de bon nombre d’acteurs du système scolaire, il sera alors temps de rentrer rapidement dans le vif du sujet et d’apporter quelques réponses sur le fond. L’écueil principal réside dans le fait de créer des mesurettes ou des réformettes qui, en fin de compte, n’apportent guère de transformations en profondeur : un immobilisme dû à un mouvement circulaire, sans avancées réelles.
Le mal-être à l'école, une réalité
Par exemple, au vu du mal-être constaté chez les élèves français, du creusement des inégalités et de la concurrence scolaire, une question se pose : comment favoriser l’épanouissement de nos enfants à l’école, tout en leur garantissant un socle minimum de compétences pour se réaliser dans leur vie ?
Dans une école sous pression où le mal-être est palpable, peut-on – hormis les traditionnelles et récurrentes questions autour des rythmes scolaires, du nombre d’heures travaillées, j’en passe et des meilleurs – se préoccuper d’un enfant en devenir qui entre ou est entré dans le « métier » de l’élève ? Comme rappelé dans un précédent article, les enquêtes de l’OCDE (2009) classent la France dans les dernières places (22ème parmi 25 pays recensés) concernant la qualité de vie à l'école, et sur le plan du stress ressenti par les élèves, elle est à la deuxième place derrière le Japon.
Or, l’élève ne peut être réduit à un simple réceptacle transformé en "idiot culturel" au sens provocateur de Garfinkel, lui-même soulignant que l’acteur social n’est justement pas un idiot culturel. Ce n’est donc pas non plus une machine humaine que l’on évalue après la transposition et la répétition d’un savoir savant unilatéral, du professeur vers l’élève. Au sein de la dynamique interactionnelle entre pairs et avec les acteurs du système scolaire, l’excellence scolaire se décline en plusieurs facettes, irréductible à une note chiffrée accolée à un nom et à un prénom (sans pour autant être éradiquée). Surtout lorsque celle-ci stigmatise les plus faibles et les plus jeunes, ce qui peut entraîner une baisse de l’estime de soi, du stress et de l’anxiété.
Les intelligences multiples
Désormais, l’évaluation peut s’enrichir d’autres facteurs pertinents comme, à l’instar de l’intelligence mesurable traditionnellement par des tests tels que le quotient intellectuel (QI), le quotient émotionnel (QE), associant de multiples facteurs (aisance sociale, confiance sociale, contrôle d’émotions, etc.).
Une école primaire de Nantes, le jour de la rentrée, 05/09/2011 (SALOM-GOMIS SEBASTIEN/SIPA).
Nous savons aussi que le contexte culturel et les comportements singuliers au sein d’une société donnée façonnent l’individu, ce qui trouble le jeu d’une évaluation trop brutale (QI ou carnet de notes classique)? dans le livre "Repenser la pauvreté", Banerjee et Duflo constatent que des jeunes enfants du tiers-monde maîtrisent le calcul mental, plus complexe qu’à l’école, lorsqu’ils aident leurs parents dans le magasin familial alors qu’à l’école, les tests tendent à démontrer le contraire. Les auteurs posent alors la question suivante : "L'école désapprend-elle?" Qui plus est, certains élèves sont sacrifiés sur l’autel de l’évaluation scolaire traditionnelle alors que les compétences sont présentes ou potentiellement là.
Certains chercheurs tels que Howard Gardner, spécialiste reconnu en psychologie cognitive et en éducation, défendent l’idée selon laquelle il existe de multiples formes d’intelligence, dont la plupart sont souvent délaissées par l’institution scolaire (intelligence langagière, logico-mathématique, spatiale, musicale, kinesthésique, interpersonnelle et intrapersonnelle). De surcroît et toujours selon Gardner, l’intelligence implique "la capacité à résoudre des problèmes ou à produire des biens ayant une valeur dans un contexte culturel ou collectif précis".
Ainsi, l’évaluation scolaire ordinaire est révélatrice d’une école d’autrefois réservée à une élite et elle s’adresse à un individu qui n’est plus. D’ailleurs, au sortir de l’école, de plus en plus de recruteurs s’intéressent davantage à l’adaptabilité du futur employé, testé dans le contexte de l’emploi, qu’aux seuls diplômes présents dans le CV (bien sûr, sur un autre plan, le diplôme favorise toujours l’obtention d’un "véritable" emploi).
L’école sert-elle une adaptation fermée et est-elle refermée sur elle-même, ou s’ouvre-t-elle sur une adaptabilité sociale de l’élève (s’adapter à s’adapter) ? Cette perspective ouvre alors la voie à d’autres modes d’apprentissage, d’évaluation et à d’autres finalités pour un mieux-vivre et un "mieux-devenir" à l’école.
L’éducation aux émotions et à la prévention, entre autres
L’impact de l’héritage durkheimien de la formation d’un individu par l’école révèle une tradition française bien ancrée et résistante aux transformations. Pourtant, avec les avancées de la connaissance, des travaux sur l’intelligence émotionnelle (vulgarisée par Goleman) méritent plus qu’un simple détour pour favoriser le "mieux-être" des élèves ainsi qu’un mieux-vivre ensemble. "Être rationnel, ce n'est pas se couper de ses émotions", comme l'a écrit Antonio Damasio, bien au contraire.
Inséré au sein des programmes scolaires, et non pas dans l’exception ou dans l’informel, il s’agit plus d’éduquer ses émotions que d’apprendre à les maîtriser, surtout dans une école où le mal-être est ressenti, où le climat se détériore. D’un point de vue pratique, l’apprentissage de cette éducation singulière permet de gérer des conflits, de développer l’écoute active, l’empathie, le travail collectif dans une dynamique interactionnelle, etc.
Vincent Peillon, ministre de l'Éducation nationale, visite une école parisienne, le 25 mai 2012 (CHAMUSSY/SIPA).
Par ailleurs, constaté par Éric Debarbieux, spécialiste des violences scolaires, il existe dans certains pays, des écoles situées dans des quartiers très violents où le climat scolaire est moins problématique qu’en France (peu de violences) : les raisons sont liées à une école plus ouverte où les parents prennent une part active sans empiéter sur le statut des enseignants (eux-mêmes évoluant dans un registre plus large que les tâches classiques d’enseignement). De plus, de véritables programmes de prévention sont proposés. Ils sont destinés à contrôler, par exemple, les crises de colère d’élèves violents et à les aider à chercher des solutions alternatives.
C’est tout le sens des "dilemmes moraux" utilisés comme outil pédagogique à l’école (souvent outre-Atlantique) dans lesquels les élèves sont placés devant une situation-problème qui les mettent face à un choix délicat. Ces conflits de valeurs sont intéressants à accroître pour mieux développer les compétences sociales et mieux prévenir des situations qui peuvent déboucher sur de la violence. Un climat délétère ne favorise pas l’apprentissage. De même, le rapport au savoir demande d’aider les élèves à y trouver du sens. Si celui-ci fait défaut, l’échec, l’anxiété, le décrochage et la violence s’en trouvent décuplés.
Dans un autre registre, l’apprentissage par le tutorat est à développer aussi – entre élèves, avec des professionnels – pour faciliter l’apprentissage et lui donner tout son sens.
En guise de réflexion
Même si tout type d’apprentissage et de programmes possèdent leur lot de réussites ou d’échecs et qu’il n’existe pas de recette miracle, force est de constater que dans une morosité ambiante, il serait de bon ton de tester des expériences multiples et innovantes ou peu utilisées pour éviter de reproduire une école du déjà vu, sans pour autant tout jeter par la fenêtre, ni tomber dans le "on fait mieux ailleurs que chez nous" (la réciproque est vraie : certains pays nous envient l’organisation de l’école maternelle). Répétons-nous, il ne faut-il pas confondre un modèle importé avec des idées inspiratrices.
En somme, il faudrait davantage tester et mettre à l’épreuve des faits des recherches originales ou peu tentées pour dessiner l’école de demain dans une société en pleine mutation. Bref, une véritable dynamique des politiques éducatives, qui porte réellement son nom, pour dépasser les forces du déterminisme.