Conseiller pédagogique (école)
- Par Thierry LEDRU
- Le 03/12/2011
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Une espèce de défoulement envers cette hiérarchie qui ne comprend rien à rien.
JUSQU'AU BOUT
EXTRAIT
Un mardi matin, le conseiller pédagogique entra.
« Je vous fais une petite visite avant la fin de l’année, voir si tout s’est bien passé. »
Il pensa à la cavalerie qui arrive après la bataille. Costard cravate, les cheveux soigneusement peignés, de gauche à droite, la raie superbe, bien rectiligne, chaussures de ville bien cirées, mallette de représentant de commerce. Il eut envie de le flanquer à la porte.
Le fonctionnaire, raide comme un porte-drapeau, ne salua pas les enfants. Il alla se réfugier rapidement derrière le bureau comme à l’abri d’un muret face à l’ennemi.
Il lui demanda son cahier journal.
« C’est vraiment indispensable, il faut savoir le remplir, je vais vous montrer les dernières trouvailles.
- Je n’ai plus de cahier journal, je l’ai jeté, annonça-t-il d’une voix moqueuse.
- Vous l’avez jeté ? Mais c’est impossible de mener une classe si vous n’avez pas de cahier journal ! »
Devant la bêtise de l’abruti, il décida de tout lâcher.
« J’ai jeté aussi mes progressions et mon emploi du temps. Je ne fais plus de fiches de préparation. Je travaille au jour le jour. »
L’individu ébahi regarda les enfants comme de pauvres âmes égarées dans la classe d’un fou. Marine lui décocha un sourire ravissant. Il ne le vit pas.
« Vous avez fait des évaluations tout de même ? Comment vous vous organisez pour les remédiations ?
- Je demande aux enfants s’ils ont été contents de leur journée et s’ils trouvent que j’ai été un bon maître, c’est tout. Et s’ils trouvent que la journée a été difficile, j’essaie le lendemain de la rendre plus joyeuse.
- Oui, mais pour les enfants, comment vous les évaluez ? insista-t-il. Avec tous les niveaux, comment vous contrôlez leurs connaissances ?
- Ils n’ont pas besoin que je les évalue. Ils savent très bien ce qu’ils doivent apprendre et ils le font. Ils n’ont pas besoin d’être menacés par une note pour apprendre. Je leur explique à quoi ça sert et ils apprennent. C’est tout. Et s’ils n’y arrivent pas, c’est que je m’y prends mal. Ce sont eux qui m’évaluent. Jamais le contraire. »
Un mur d’incompréhensions. Il sentit que le bonhomme l’avait jugé et que c’était définitif.
« Vous n’êtes jamais allé à l’école normale cette année ? demanda-t-il d’un air soupçonneux.
- Non, il n’y avait pas de possibilité d’être remplacé.
- C’est dommage, vraiment dommage. Je pense que vous avez besoin d’avoir quelques éclaircissements. Vous êtes un peu perdu mais c’est normal quand on commence. Il ne faut pas vous inquiéter. Les techniques, ça s’apprend au fur et à mesure. Si c’était si simple de faire un cahier journal et tout le reste, n’importe qui pourrait être enseignant. »
Il n’essaya pas de répondre, pensant que c’était justement le cas. N’importe qui était enseignant. C’était bien là le drame.
Sans espoir. La voix paternaliste et condescendante était à vomir. Il s’imagina ouvrant la mallette pour y dégueuler son mépris.
« Je vais vous laisser quelques documents qui pourront vous aider. C’est un travail qui a été réalisé par une équipe de chercheurs en sciences de l’éducation. C’est très intéressant. Toutes les techniques pour bien mener une classe ont été décrites. Bon, c’est sûr, c’est une classe à un seul cours avec dix-huit élèves. C’est moins compliqué qu’ici mais ça va vous aider quand même. C’est très clair, vous verrez. Les tableaux et les graphiques sont très bien faits. »
Il posa la pile de feuilles sur le bureau et lui serra la main. Il s’enfuit sans dire un mot aux enfants.
« C’était qui le monsieur ? demanda Léo.
-Un con », répondit-il.
L’enfant éclata de rire.
Il déchira les feuilles et les jeta à la poubelle. Il aperçut le sourire de Marine, penchée sur son cahier.
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