Nous acceptons encore des valeurs culturelles qui anéantissent la Terre. Si nous ne changeons pas, nous allons vers notre propre extinction. C’est précisément ce que font les toxicomanes.
— Nancy Ryley : Vous avez dit que nous devons surmonter nos dépendances avant de pouvoir nous connecter à la nature. Est-ce que notre refus de faire face à nos dépendances conduit directement à la destruction de la Terre Mère ?
— Marion Woodman : Je pense que oui. Enfants, beaucoup d’entre nous ressentent un lien profond avec elle. Mais notre culture déforme nos instincts naturels . Cette déformation mène à l’addiction. Il y a une conduite suicidaire chez l’individu dépendant comme dans la société dépendante. Notre planète va droit dans le mur.
Pourtant, malgré toutes les abominations que nous avons créées, nous continuons précisément à faire ce que nous savons être finalement destructeur. Déni ! Déni ! Nous cautionnons toujours des valeurs culturelles qui anéantissent la Terre. Si nous ne changeons pas, nous allons vers notre propre extinction. C’est précisément ce que font les toxicomanes. Les toxicomanes — c’est à-dire la plus grande part de notre société — prétendent que tout va bien. Ils rient, parlent et font des projets, tout en reniant leur âme mourante. C’est ce que nous faisons à la planète. Nous nous battons pour des choses qui ne seraient d’aucune importance si nous devions disparaître.
— Nancy Ryley : Vous voulez dire que les toxicomanes ont perdu le contact avec l’instinct de survie ?
— Marion Woodman : C’est exact. Nous vivons dans une société de consommation où il n’y a aucun espoir de trouver un point de satiété, parce que nous sommes coupés de nos racines instinctives qui savent quand arrêter de manger ou de boire ou de consommer, etc.
— Nancy Ryley : Et quelles sont les conséquences pour la planète ?
— Marion Woodman : La destruction. Un toxicomane se détruit lui-même. Et si nous n’avons pas de respect pour notre propre corps, nous n’en aurons certainement aucun pour la Terre. Nous continuerons simplement à la piller.
Je dirais que lorsque nous polluons la terre par nos artifices — quand nous détruisons l’unité naturelle — les réactions physiques des hommes et celles des plantes et des animaux sont perturbées et, dans certains cas, détruites.
Il y a quelques années un film dramatique a montré les ravages causés par la bombe atomique de 1945 sur le Pacifique. Les grandes tortues de mer, au lieu de suivre leurs schémas archétypiques naturels qui les conduisent vers la mer, se sont tournées de l’autre côté et se sont dirigées vers l’intérieur des terres pour trouver l’eau. Ces tortues, vieilles de 400 ans, ces êtres adorables, ont fait ce qu’elles ont toujours fait : elles ont pondu leurs œufs puis elles se sont dirigées dans la mauvaise direction. Elles se sont détournées de la mer, ont franchi la dune de sable, et se sont retrouvées sur le dos en atteignant le sommet. Elles ont essayé de passer la dune et elles sont mortes dans cette position. Elles avaient perdu le contact avec le côté instinctif et la juste chose à faire. Le toxicomane est comme cette grande tortue qui, au lieu de rejoindre la mer, s’en va vers la dune de sable.
— Nancy Ryley : En tant qu’addicts, nous avons nous aussi perdu l’attitude juste envers la Terre ?
— Marion Woodman : Je pense que oui. Si la Terre ne fonctionne pas de la façon dont elle est censée le faire, nous n’avons pas de guide, pas de boussole pour nous orienter. Plus que cela, nous avons perdu le Nord. Il s’agit donc d’une double tragédie parce que la boussole n’est plus bonne et qu’on ne sait plus où est le Nord.
— Nancy Ryley : Comment faire comprendre aux hommes que tant que nous sommes "accros" aux valeurs patriarcales matérialistes, nous courons le risque de nous auto-détruire ?
— Marion Woodman : Je pense que les gens doivent se retrouver dos au mur ou à genoux avant de pouvoir faire demi-tour. Si nous ne nous sommes jamais trouvés face à notre propre mur, au point de vouloir faire quelque chose du simple fait que nous ne pouvons pas nous relever, nous ne ferons rien pour quelqu’un d’autre. Il est évident que nous ne ferons rien pour un arbre. Sans parler de la Terre. Tant que nous sommes piégés par notre arrogance, nous ne savons rien de la compassion.
Je sais de ma propre expérience, et de mon expérience avec mes analysants, que tant que nous ne sommes pas face au mur, nous ne faisons vraiment rien pour changer. Il est terrible de devoir apprendre de cette façon, mais il semble que pour que le cœur s’ouvre, il faut être acculé. Je pense que c’est ce choc qui ouvre le cœur. Et c’est par cette ouverture du cœur que le pardon se fraie un chemin.
— Nancy Ryley : L’éveil de l’âme viendra-t-il de la prise de conscience du monde d’une douleur collective ?
— Marion Woodman : Oui. Je pense que nous devons ouvrir nos cœurs et ressentir cette blessure collective. C’est ainsi que nous apprenons l’amour. C’est via notre propre souffrance que notre cœur s’ouvre à l’amour pour l’autre. Amour dans notre culture est un mot terriblement sentimental, qui sent la guimauve. Très souvent, il signifie besoin compulsif. Mais l’amour EST une énergie. Il circule à travers le corps, entre les gens, c’est une force qui maintient les atomes ensemble. Voilà comment je comprends l’amour.
Je pense que les gens qui font de l’ introspection n’ont pas d’autre alternative. C’est très douloureux, et cela les place dans des situations douloureuses. Mais je pense que certaines personnes sont appelées à le vivre du fait leur destin ou de leur propre nature, et elles n’ont pas le choix.
Je ne pense pas que quiconque choisisse de faire ce travail. D’un autre côté, je ne pense pas qu’on puisse lui échapper non plus. Certaines personnes meurent plutôt que de le faire. Il arrive des choses à chacun d’entre nous. Jung dit que ce qui n’est pas porté à la conscience nous arrive sous forme de destin.
— Nancy Ryley : Pensez-vous que la plupart des gens essaient d’éviter la souffrance de la prise de conscience — la douleur de l’expérience de la vie-mort-renaissance — dans notre culture ?
— Marion Woodman : Oui , et c’est là que la dépendance entre en jeu. Quand vient la souffrance, nous n’en voulons pas, nous faisons donc tout pour l’éviter.
Je vois cette culture en termes de dépendance. Un toxicomane peut ne pas être conscient du désir de mort qui l’habite, ou il peut ouvrir ses yeux et choisir la vie. En tant qu’habitants de cette planète, nous pouvons faire de même : choisir de vivre dans le jardin ou alors le détruire. Nous pouvons soit proclamer bêtement que nous sommes tout-puissants, qu’il n’y a pas de miracle ici-bas, qu’il n’y a pas de force de vie que nous devons honorer. Ou nous pouvons humblement reconnaître qu’il y a un incroyable mystère créant toutes ces différentes formes de vie.
Si nous croyons en un ordre divin, alors tout, tout sur la Terre fait partie de cet ordre divin. Nous sommes tous les petites étincelles d’une seule Ame. Nous sommes " dotés d’une âme " sur cette planète. Et une fois que nous en sommes conscients, nous comprenons ce qu’est l’amour. Les atomes sont maintenus ensemble par l’amour, l’amour est la colle qui tient le tout ensemble.
Mon sentiment est que le chaos que nous traversons peut durer encore longtemps — que peut-être nous ne sommes qu’au début du véritable chaos. Mais lorsque nous serons finalement à genoux, il se passera quelque chose de différent… Nous pourrions réaliser que nous faisons tous partie d’une seule Âme. Que nous lui appartenons. Que nous faisons tous partie du Cosmos. Que la force de vie est dans le saule, la marguerite, la mésange, en toute chose animée. Et que nous sommes une part de cette totalité, une part cet amour.
— Adapté de The Forsaken Garden de Nancy Ryley — conversations with Marion Woodman, Laurens Van der Post, Thomas Berry & Ross Woodman on the deep meaning of environmental illness.
— Traduction française : Michèle Le Clech et Roger Faglin