L'échec scolaire

Un texte paru sur "REFLETS DU TEMPS".

http://www.refletsdutemps.fr/index.php?option=com_zoo&task=item&item_id=1678&Itemid=2

L'échec scolaire ou l'école en question

Ecrit par Jean Gabard le Samedi, 26 Mai 2012. Dans Actualité, La une, Education

L'échec scolaire ou l'école en question

 

En réponse au texte de Thierry Ledru sur l’Ecole


Alors que la question de l’échec scolaire occupe le devant de la scène et que de multiples solutions sont proposées ou ont déjà été adoptées sans beaucoup de résultats, ne serait-il pas nécessaire de se demander si les « nouvelles » méthodes pédagogiques sont vraiment adaptées à la situation et si le véritable problème ne se trouve pas ailleurs ?

Les propositions actuelles sur l’école découlent d’une vision du monde progressiste qui peut être appelée « féministe » dans la mesure où elle s’oppose radicalement à l’idéologie de la société patriarcale traditionnelle, autoritaire et machiste. Celle-ci s’est développée avec l’Humanisme et les Lumières. Elle a été à l’origine des mouvements d’abord libéraux, puis démocratiques, puis féministes. Aujourd’hui, alors que ses défenseurs se battent à juste titre contre des mouvements réactionnaires, elle dérive cependant, au point de devenir parfois, chez certains hommes et certaines femmes, une idéologie qui n’accepte aucune remise en cause.

Cette nouvelle idéologie devenue dominante (approuvée par une majorité des femmes et des hommes), en arrive à confondre liberté avec spontanéité et à transformer l’égalité en droits en un droit à l’égalité. Dans un renversement d’attitude, une autre dérive fait des valeurs dites « féminines », autrefois injustement ridiculisées, les seules valeurs dignes d’être développées. Cette idéologie dite « moderne » a influencé toutes les réformes faites ces trente dernières années à l´Ecole.

Des méthodes pédagogiques ont été considérablement améliorées et elles continuent d’être perfectionnées pour rendre plus intéressants et plus efficaces les apprentissages. L’élève, de milieu aisé ou défavorisé, devenu le centre du système scolaire, est pourtant de moins en moins motivé et l’échec scolaire, loin de diminuer, s’accroît. Alors, malgré les intentions louables des réformateurs, ne serait-il pas nécessaire de faire une pause et de se demander si ces réformes n’ont pas aussi des effets pernicieux ? En effet, à force de vouloir changer, en invoquant le fait que les méthodes d’enseignement sont inadaptées et mauvaises (ce qui revient très souvent à remettre en cause ceux qui les ont adoptées ou ceux qui n’adoptent pas assez bien les nouvelles), les élèves (qui sont alors très attentifs), trouvent de bonnes raisons de ne pas être motivés et ainsi de ne pas faire l’effort de travailler. Comment, d’ailleurs, pourraient-ils avoir envie d’écouter des maîtres (le mot « maître » lui-même est devenu tabou) quand ce qu’ils entendent dans les médias et même parfois dans la bouche de responsables de l’Education Nationale va souvent dans le sens d’une critique des éducateurs qui ne seraient jamais assez attentifs, justes, compétents, modernes…

Ces élèves sont confrontés à une injonction paradoxale totalement perverse : on leur demande d’écouter des enseignants auxquels peu de personnes sont prêtes à accorder du crédit. S’ils ne les écoutent pas, ils ont le tort de ne pas obtenir les résultats scolaires attendus et s’ils les écoutent, ils ont le tort de suivre des personnes qui ne le méritent pas. Ainsi, alors que les méthodes traditionnelles ont pu être accusées d’occasionner des névroses en étant très traumatisantes, il se pourrait que la société actuelle soit très déstabilisante et favorise les psychoses !

Parce que la fonction éducative a été détournée en autoritarisme pendant des siècles, des « pédagogues » dans la réaction « jettent le bébé avec l’eau du bain », et donnent l’impression de prendre le rôle d’une mère qui viendrait écouter l’enfant et le défendre, en lui donnant raison contre le « père ». Alors que l’évanouissement de la fonction de « père » a une responsabilité certaine dans la crise que traverse notre société, ils contribuent à « l’achever » en privilégiant le rôle maternant des enseignants. Et pourtant, les enfants ont besoin de « père » pour se structurer. Sans repère ne deviennent-ils pas très souvent des enfants « hors la loi », incapables, à l’école, de respecter les règles de l’orthographe, de la grammaire, du calcul, de la discipline… indispensables pour pouvoir apprendre ? S’il n’est pas question de les faire revenir à des méthodes peu performantes et inhumaines, est-ce en les maintenant dans un cocon fusionnel et en continuant d’en faire des enfants-rois, qu’ils apprendront à devenir des citoyens, adultes, responsables, capables de faire vivre la démocratie ?

 

Réformes à l’Ecole ! Pour quoi faire ?

Après plus de quarante ans de remise en cause de l’Ecole, il est surprenant de constater, si ce n’est un engouement pour les changements qui sont proposés, du moins, chez un très grand nombre d’enseignants et de parents, la certitude que l’échec scolaire ne peut-être réglé que par de nouvelles réformes !

S’il n’est pas question de contester la nécessité d’améliorer les programmes, les méthodes pédagogiques, la formation des enseignants… il est néanmoins possible de se poser certaines questions.

1ère question :

Si ce que certains appellent « la faillite de l’Ecole » devait avoir pour cause la formation des enseignants et les méthodes qu’ils appliquent, comment se fait-il qu’après plus de quarante ans d’efforts et de bouleversements indéniables dans ces domaines, il y ait encore « échec scolaire » et à plus forte raison, que celui-ci soit en constante augmentation ?

2ème question :

Si l’échec scolaire dont il est question peut avoir pour origine les difficultés réelles de certains élèves, quelle est l’influence du manque de motivation à apprendre de la grande partie d’entre eux ?

3ème question :

Si l’enseignant sert en général de paratonnerre, quelles sont cependant les véritables causes de ce manque de motivation ?

4ème question :

Les enfants qui arrivent dans une Ecole forcément exigeante, puisqu’elle a pour fonction de les « élever », sont déjà marqués par l’éducation qui leur est donnée dans la famille. Ces enfants qui ne sont plus des adultes en devenir mais l’avenir des adultes n’ont souvent pas réellement appris à intégrer les limites, à assumer les frustrations, à fournir des efforts…

Ils n’ont souvent pas appris, de parents qu’ils aiment, à respecter et à s’adapter aux règles de la société.

Comment ces « enfants-rois » pourraient-ils respecter et s’adapter aux règles du système scolaire (règles de la langue, de l’écriture, de l’orthographe, de la grammaire, du calcul, de la discipline…) venant de personnes qu’ils ne connaissent pas et qui sont très souvent dénigrées ?

Peuvent-ils accepter l’autorité de l’Ecole alors que celle-ci n’est souvent pas reconnue par des parents qui parfois doutent de sa nécessité et de la façon de l’exercer dans leur propre famille ?

5ème question :

En remettant perpétuellement en cause les méthodes pédagogiques, ne donne-t-on pas des raisons, aux élèves (et aux parents qui attendent des résultats), de croire que ces méthodes sont inadaptées, qu’ils ont raison de ne pas les suivre, que l’Ecole est inefficace et donc qu’ils ne sont plus responsables de leurs échecs éventuels ? (N’y a-t-il pas confusion entre « l’échec de l’Ecole » et l’échec de certains élèves à l’Ecole ?)

6ème question :

N’y a-t-il pas plus d’effets pervers que de bénéfices à vouloir trop prendre en compte « les symptômes des psychologies juvéniles de plus en plus éclatées » ?

– En plaçant ces « enfants-rois » au centre du système scolaire, ne renforce-t-on pas leur sentiment de toute-puissance ?

– En allant parfois au devant de leurs demandes, leur apprend-on à assumer la frustration ? Ne les pousse-t-on pas au contraire à revendiquer toujours plus, à ne jamais être satisfait de ce qu’ils ont, à se donner des excuses de ne pas arriver à travailler ?

– En insistant sur l’autonomie des élèves, ne leur donne-t-on pas l’autorisation de « la prendre » avant de « l’apprendre » ? (Un enfant peut-il « s’auto-nommer » ?)

– En développant les pédagogies différenciées et individualisées, ne favorise-t-on pas l’égocentrisme d’élèves qui ne peuvent écouter que si l’on s’adresse à eux seuls et dans un rapport fusionnel ?

– En étant dans la compassion (quand ce n’est pas dans la séduction) et en cherchant à tout prix à valoriser les élèves, ne renforce-t-on pas des « égo » déjà hypertrophiés, l’irresponsabilité et (encore) le sentiment de toute-puissance ? Ne dévalorise-t-on pas le travail et les résultats et indirectement ceux qui travaillent et ceux qui réussissent ?

Dans notre société adolescente, par crainte de l’autoritarisme, nous avons tendance à accepter la spontanéité et l’harmonie…

En recherchant la fusion, nous créons souvent la confusion et nous risquons le retour à l’autoritarisme !

Dans l’enseignement, si le changement consiste à s’adapter et à renoncer à l’éducation pour pouvoir plaire aux élèves et encore instruire, n’est-ce pas prendre le risque de n’avoir ni éducation… ni instruction ?

 

Jean Gabard, ex-enseignant, auteur de Le Féminisme et ses dérives - Rendre un père à l’enfant-roi, Les Editions de Paris, réédition novembre 2011

http://blogdejeangabard.hautetfort.com

http://www.jeangabard.com

jean.gabard@gmail.com

A propos de l'auteur

Jean Gabard

Auteur de « Le féminisme et ses dérives – Rendre un père à l’enfant-roi »,

Les Editions de Paris, nov 2011.

Commentaires (3)

  • Gerald Madeleine
    26 Mai 2012 à 14:56 |

    "enfant-roi" vous en connaissez ? Moi non, par contre je connais des enfants que leurs parents défendent en criant, dont les parents menacent, si ce n'est plus, les enseignants. Ces mêmes parents tabassent leurs enfants qu'ils ont cru devoir défendre bec et ongles à l'école. Là j'en connais beaucoup.

  • Jean-François Vincent
    26 Mai 2012 à 16:38 |

    Vous luttez - sans doute à juste titre – contre le sexisme inversé qui attribue aux femmes des « vertus » particulières dont les hommes seraient dépourvus. Mais ce faisant vous tombez ou retombez dans le sexisme classique » : quelles sont donc, selon vous, les vertus « viriles » ou paternelles qui s’opposeraient aux vertus « féminines » ? Quand cessera-t-on – enfin ! – d’imputer je ne sais quel « profil » psychologique à chacun de deux sexes ? Il y a des femmes répondant parfaitement aux clichés – car c’est bien de cela qu’il s’agit – de la paternité « canonique », et des hommes très maternants sans pour autant être efféminés. Il y a des femmes très autoritaires et des hommes très – trop ? – indulgents. Le sexe n’influe pas en soi le caractère.

  • Thierry Ledru.
    27 Mai 2012 à 11:08 |

    Il est indéniable que l’effacement partiel du rôle du père dans le registre de l’autorité a un effet néfaste sur les enfants. Il ne s’agit pas pour autant d’un phénomène général et comme toute généralité, imaginer que ce phénomène concerne l’ensemble de la population est une exagération plus néfaste que les effets qu’elle veut combattre.
    Il n’est pas plus vrai à mes yeux que les enseignants se soient engagés dans un fonctionnement « maternant » C’est même plutôt l’inverse. Ils cherchent à pallier cet effacement partiel de l’autorité. Mais ils n’ont aucune légitimité au regard des familles dont la structure est déficiente. Il leur est donc impossible de trouver une quelconque crédibilité s’ils s’en tiennent à un rapport de forces. C’est perdu d’avance. Je n’ai pas obéi à mes professeurs parce qu’ils remplaçaient mon père étant donné que mon père, même s’il était peu présent, déléguait à mes professeurs le droit d’être exigeant. Si ce père n’applique pas lui-même cette exigence, les professeurs ne pourront jamais le remplacer s’ils n’œuvrent pas quotidiennement à l’élévation existentielle de l’enfant et se contentent d’œuvrer à l’application stricte et bornée des apprentissages et des connaissances. C’est là que se trouve la part essentielle du travail. Prendre en considération l’enfant avant de juger le niveau de l’élève. Si on délaisse ce regard empathique, on entre dans le conflictuel. Si l’enseignant n’est qu’un technicien, il n’aura jamais aucune crédibilité dans l’éducation et son enseignement lui-même sera inévitablement déficient.
    Je suis assez sidéré de voir que cette attitude respectueuse puisse être considérée comme favorisant l’élaboration d’un « enfant-roi ». Il n’y a dans ma classe aucun « enfant-roi » et je ne suis pas non plus un « maître-roi ». Il y a un équilibre relationnel qui se nourrit d’un respect mutuel. Nous sommes les « sujets » de la connaissance. Aucun détournement de la règle n’est admis, aucune contestation de l’autorité, aucun refus de l’exigence, aucun déni de la performance. Il ne s’agit pas pour autant d’autoritarisme étant donné que les enfants savent que la justice est le pilier. Le fondement de cette justice est construite sur un principe très simple : « Tu n’es pas ce que tu fais. » Cette distinction essentielle, vitale, entre la difficulté épisodique de l’enfant dans son travail et ce qu’il est lui-même, en tant qu’être humain. Son niveau scolaire peut être évalué mais il n’aura aucune incidence sur le respect que je lui porte. Je continuerai à faire appel à ce souci constant de l’exigence, à le renvoyer à une observation de ses propres fonctionnements. Je suis celui qui a pour rôle de maintenir la qualité du miroir. Qu’il puisse avoir une vision claire de ses dysfonctionnements, tout autant que de ses performances. De la même façon qu’il n’aura à subir aucune parole blessante : « Tu es vraiment nul », il ne pourra se glorifier de paroles pompeuses : « Tu es vraiment excellent. »
    « C’est un travail insuffisant » ou « c’est un très bon travail » sont des paroles qui ne concernent que l’élève. L’humain, quant à lui, sera systématiquement renvoyé à l’analyse minutieuse des phénomènes internes qui ont conduit à cette appréciation.
    Il est donc primordial de garder à l’esprit que la technique ne fait pas l’humain. Mais que l’humain s’observant peut améliorer l’acquisition des techniques.
    C’est là que je me place, ni « maternant », ni « autoritaire ». Juste celui qui favorise l’observation interne.
    Il ne s’agit pas pour autant « d’un cocon fusionnel » qui les protègerait de toute difficulté, de toute frustration, de toute remise en question, avec une acceptation bienveillante des faiblesses, de l’abandon, du désintérêt, de la démotivation.
    Mais comment pourrait-on motiver des enfants à travailler s’il ne leur est jamais permis d’établir cette observation macroscopique de ce qu’ils vivent ? L’enseignant a pour rôle de les élever, non pas seulement dans des acquisitions cognitives mais bien davantage, et de façon prioritaire, dans cette quête de Soi. Il ne s’agit donc pas de nier ou de cacher les faiblesses mais de les combattre dans une lucidité permanente au regard des mouvements de pensées, de la gestion des émotions, des dérèglements ponctuels de l’intellect.
    « Pourquoi est-ce que tu t’es trompé dans cet exercice alors que tu en connais tous les tenants ? »
    Ni autoritarisme, ni cocon fusionnel mais cet effet miroir qui se doit d’être constant. L’enseignant essuie la buée sur le miroir de la conscience.
    « Regarde à l’intérieur de toi et tu comprendras ce qui t’entoure. »
    Toute technique qui est perçue comme la finalité aura besoin d’autoritarisme. Toute technique qui devient le ferment d’une connaissance de soi à travers une connaissance universelle devient une motivation suprême. Pourquoi est-ce que les enfants aiment les séances de sport ? Parce qu’ils apprennent une technique à travers le « jeu » (et le « je ») et que ce jeu les conduit à une meilleure connaissance et usage de leur potentiel. Il ne reste qu’à appliquer ce principe à l’ensemble des apprentissages. Ah, j’entends déjà les contestataires s’écrier qu’à l’école, on ne joue pas, on travaille ! Ce qui revient à dire qu’il faut habituer les enfants à leur future vie d’adulte…
    « Mon enfant, tu ne travailleras pas pour le bonheur de travailler et de mieux te connaître mais juste pour gagner ta vie. Et tu seras aussi déprimé et aigri que moi. C’est la vie ; tu dois apprendre à être frustré. »
    Merci pour ce cadeau…

    Non, il ne s’agit pas à mes yeux de constituer de nouvelles réformes. Trente ans que je vois passer des « sinistres » (non, ça n’est pas une coquille) et leurs nouvelles méthodes. Qu’ils aillent donc lire Krishnamurti et on pourra commencer à parler de choses sérieuses. René Barbier, chercheur contemporain, aurait beaucoup de choses à leur apprendre également.
    1ère question :
    Pour la simple raison qu’il n’y a jamais eu une seule réflexion réelle. Et que les enseignants ont été appelés à rester des techniciens.


    2ème question :
    Il ne s’agit pas de se demander quelles sont les conséquences de la démotivation de certains sur les autres mais des raisons de cette démotivation. Dans les épidémies, les médecins ont pour rôle de soigner les malades et de protéger autant que possible les biens-portants. Les chercheurs, pour leur part, travaillent à comprendre l’apparition de l’épidémie.
    Je n’attends pas que des chercheurs m’apportent une réponse. Je vis constamment avec une population dont la diversité est considérable. Si je n’étais pas capable d’être chercheur et par conséquent observateur, je ne mériterai pas l’honneur de porter cette mission d’enseigner. Je n’attends donc rien des réformes parce que les réformateurs n’ont aucune empathie pour l’humain. Ils travaillent au conditionnement des citoyens et des contingents de futurs frustrés.
    3ème question :
    Comment pourrait-il en être autrement pour ces enfants alourdis de données techniques quand ces données ne sont pas destinées à les porter vers un meilleur d’eux-mêmes ? Formatés, conditionnés, humiliés, comparés, hiérarchisés, poussés à la compétition.
    « Le professeur a toujours raison, même quand il a tort. »
    Comment les enfants pourraient-ils être motivés par ce « Maître-roi » ?
    4ème question :
    C’est justement là que « l’individualisation » du travail prend toute son importance. Si les enseignants s’obstinent à ignorer les différences éducatives, sociales, historiques, culturelles et à travailler comme s’ils avaient affaire à un contingent d’individus identiques ou susceptibles de se conformer à une pratique unilatérale, ils n’ont pas le droit de se plaindre. Ils ont choisi la voie frontale de celui qui a raison même quand il a tort. Qu’ils en assument les conséquences.
    D’autre part, telle qu’elle est conçue, l’école n’a pas vocation « d’élever » les individus mais d’user de leurs compétences pour maintenir la croissance et y participer, soit comme consommateur, soit comme concepteur. Ce sont juste des instruments. Et tant que la part existentielle des individus sera bafouée, il n’en sera pas autrement.
    5ème question :
    C’est aux enseignants de montrer que les techniques ne représentent pas à elles seules la citadelle mais uniquement des pierres assemblées. L’individu est la citadelle et les techniques ne représenteront jamais l’objectif. Si on en vient à honorer les pierres, on reste les yeux collés à l’édifice et on n’en voit plus la dimension réelle.
    Si on considère que la citadelle représente le groupe humain et que chaque pierre est un individu, que des pierres soient ébréchées ou partiellement disjointes n’affaiblit l’ensemble que si le groupe humain est amené à focaliser son attention sur ces éléments. Mais il est connu depuis bien longtemps qu’on ne combat les faiblesses qu’en leur opposant la plénitude des forces acquises et non la concentration des pensées sur les effets néfastes de ces faiblesses. A vouloir lutter contre des éléments disparates, on leur donne vie, on les gave d’importance jusqu’à en perdre de vue l’adhésion des pierres. Il est inutile de poser des questions si on n’identifie pas la raison première de la question elle-même.
    6ème question :
    Alors, il faudrait donc renforcer encore davantage le formatage, l’atelier de poteries pour les esprits, nier avec une force décuplée, cette diversité ?...Puisqu’on a échoué à aimer les différences et à contribuer à enrichir le groupe humain en développant les potentiels, réduisons intégralement ces différences. Accusons les formateurs qui prônent l’individualisation et la reconnaissance des existences de contribuer à une société d’enfants rois, punissons les de cet outrage puisqu’ils mettent en péril la cohésion sociale !

    Vous rejetez l’idée de l’autoritarisme mais là, dans ces interrogations, je vois poindre le totalitarisme.
    Je vous invite si vous le désirez à venir passer une semaine ou un mois dans ma classe, à filmer les séances, à interroger les enfants, à rencontrer les parents. C’est bien évidemment sur une année entière que l’observation est intéressante.
    Il y a une question essentielle qui revient constamment dans ma classe : « Qui est responsable ? » Il s’agit de remonter à la source du problème. Les enfants apprennent ce cheminement dans chaque situation et ne subissent dès lors aucune frustration. La frustration, pour elle-même, une soumission totale, sans aucune parole signifiante, une frustration autoritaire, n’est nullement éducative. Ce qui l’est, c’est d’identifier la cause des émotions qui surviennent. Ou alors, c’est à l’armée qu’il faut s’adresser. Un enfant qui n’a pas fait son travail de maison en subira les conséquences si ce rejet de l’exigence n’est pas clairement justifié. Il ne participera pas à une activité qui le motive d’emblée tant que ce travail initial n’aura pas été effectué. Les émotions générées par cette frustration seront soupesées dans le creuset de sa responsabilité. Considérer que de renvoyer l’enfant à une observation lucide de ses actes, de ses pensées, de ses fonctionnements contribuent à l’élever à un statut d’enfant-roi témoigne à mon sens d’une peur d’adulte qui ne veut pas perdre sa prédominance sur de jeunes esprits. Et là, c’est à l’enseignant d’apprendre à s’observer. Mais combien acceptent-ils ainsi d’inverser les rôles ?
    Vendredi, en classe, je circulais dans les allées, les enfants font un exposé personnel, un sujet libre. Ils ont chacun un grand carton posé sur la table. Je demande à l’enfant : « Alors, sur quoi fais-tu ton exposé ? »
    L’enfant lève les yeux, une incompréhension totale dans ses yeux. Un instant suspendu, comme une réponse qui n’ose se dire.
    « Ben, je le fais sur mon carton… »
    Et oui, ma question était absurde et j’ai éclaté de rire, j’ai remercié cet enfant de m’avoir montré mon erreur. Il a répondu avec sa logique d’enfant mais avec également une incompréhension totale quant à l’absurdité de ma question. « Comment le maître peut-il me poser une question aussi bête ? »
    Le maître a toujours raison même quand il a tort. Et bien, non, dix mille fois non. J’avais tort et je me suis excusé de l’avoir troublé. J’ai reformulé ma question.
    Apprendre dans un rapport respectueux et sans aucune peur.
    Je ne connais aucun enseignant qui ne soit tenté par la séduction en elle-même. Ou alors, c’est qu’il faudrait attribuer à l’amour des enfants une connotation perverse. Cela signifierait que de les accompagner dans un respect constant et simultanément exigeant quant aux objectifs à atteindre contribuerait uniquement à ce que l’enseignant soit délivré de toutes difficultés, de toutes contraintes à établir, cela cacherait des intentions inavouées de détournement de la mission. Réussir à être aimé de ses élèves tout en les portant vers le haut, intellectuellement et d'un point de vue existentiel, c’est le fondement même de ce métier. Et cela signifie que l’enseignant est lui-même l’élève de ces élèves, qu’il se doit d’établir en lui une observation constante de ses propres fonctionnements et que l’exigence qu’il réclame de ses élèves, il se l’impose également.
    Tout le reste, les réformes politiques, les interférences sociales, éducatives, historiques, les pressions hiérarchiques, ce sont des phénomènes environnementaux. Ils créent des influences mais il appartient aux enseignants de ne pas les laisser recouvrir la citadelle.
    A vouloir instruire, on conditionne.
    A vouloir éduquer, on permet l’instruction.
    L’éducation ne se limite pas à l’apprentissage des règles mais à leur compréhension fine. Et c’est lorsqu’elles sont comprises et validées que l’individu se libère de la frustration. Le frustré finit immanquablement par bafouer l’autorité parce que l’incompréhension des émotions générées par la frustration lui devient insupportable.
    La prise en considération de la dimension existentielle contribue à une éducation réussie.
    Une éducation réussie contribue à l’instruction.
    En France, on travaille à l’envers. D’abord, on s’acharne à maltraiter les individus et ensuite on se plaint de leur rébellion.
    Lorsque j’entendrai parler de réforme philosophique, j’écouterai attentivement. Pas avant.

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Commentaires

  • Jean GABARD
    QUELLE EGALITE
    HOMME-FEMME ?
    Après les demandes de parité des femmes apparaissent les revendications des hommes pour une justice moins sexiste : ceux-ci sont en effet de plus en plus nombreux à contester les décisions prises après un divorce, pour la garde des enfants. Les récents suicides de pères privés de leurs enfants viennent relancer le débat, et ce sont cette fois, les hommes qui réclament la résidence alternée au nom de l’égalité homme-femme. Ainsi, les femmes d’un côté et les hommes de l’autre se mobilisent-ils pour la défense de l’égalité et pour faire reconnaître les discriminations dont ils se disent, les uns et les autres, victimes. Pourtant les hommes et les femmes recherchant une égalité-indifférenciation de sexe, ne seraient-ils pas à la fois responsables et victimes d’une idéologie égalitariste utopiste qui nie la différence des sexes ?
    Par facilité, les mâles au pouvoir ont préféré pendant des millénaires inférioriser la gent féminine qui les fascinait et les terrifiait en même temps. Les féministes ont alors eu raison de réagir contre une culture sexiste destinée à maintenir et même renforcer le pouvoir des hommes. Aujourd’hui, alors que ce sexisme apparaît à tous inadmissible, il semble que, toujours par facilité, la différence ne soit pas davantage acceptée. En effet, pour ne pas risquer de la juger supérieure ou inférieure, celle-ci est gommée. Parce que des « machos » s’en sont servis pour discriminer la moitié de l’humanité, elle est aujourd’hui déniée pour ne pas avoir à la gérer. Celle-ci est réduite au « genre », c’est à dire à la seule conséquence d’une construction sociale sexiste qui peut et doit être évitée. Il est fait abstraction d’une structuration du psychisme, différente chez la petite fille et chez le petit garçon, totalement indépendante de la culture. Il est vrai que cette différence repose sur un postulat. En effet, il n’existe aucune preuve scientifique permettant d’affirmer que la femme capable d’enfanter est vécue « toute puissante » par le petit enfant et que ce ressenti enfoui dans l’inconscient de l’humain, l’influence toute sa vie et différemment bien sûr selon qu’il est de sexe masculin ou féminin. Mais ceci est-il faux pour autant ? D’autre part qui peut affirmer le contraire ? Qui pourrait le faire dans la mesure où justement l’inconscient ne se maîtrise pas ? Alors s’il est impossible de prouver la véracité de l’un ou l’autre des postulats, ne serait-il pas plus prudent d’adopter, ici aussi le principe de précaution ? La réaction qui consiste à assimiler toute différence à une discrimination et à choisir l’utopie de l’indifférence n’est pas sans risque. L’humain, en devenant adulte, aurait peut-être intérêt à s’efforcer d’assumer et gérer le manque que génère l’altérité. Hommes et femmes pourraient peut-être alors commencer à vivre ensemble des relations plus respectueuses ?

    Admettre une différence des sexes n’est certes pas facile ! Ceci amène à opérer, dans la famille, des distinctions entre les pères et les mères et peut effectivement faire penser aux rôles donnés aux hommes et aux femmes par l’idéologie de la société patriarcale traditionnelle autoritaire et machiste. Pourtant le refus d’une fonction différente du père que certains veulent confondre avec le rôle sexiste et tyrannique du « père fouettard » n’est-il pas en grande partie responsable de l’effacement des pères, regretté aussi bien par les hommes que par les femmes ?
    L’homme se limite de plus en plus à un rôle maternant dans lequel il est souvent moins à l’aise. Il devient souvent aux yeux de l’enfant, le simple auxiliaire d’une maman qui, par ses liens avec le bébé (neuf mois de gestation…), sa nature (comment nier cette différence ?), a plus de facilité dans ce domaine. Celle qui, au nom d’une égalité-identité ne conçoit plus la nécessité de faire appel à l’homme pour être le garant de la loi, ne lui permet pas d’être vraiment écouté par l’enfant qui reste dans la fusion avec la maman perçue « toute puissante ». Il ne faut pas s’étonner alors si celle-ci peut être tentée d’écarter celui qui devient vite gênant s’il n’est pas assez performant. Ainsi, non seulement il a peu de chance d’être « inter-dicteur » et donc éducateur, mais il risque, devenant inconsistant, d’être évincé et de ne plus être en mesure de jouer le rôle affectif de papa.
    Cette égalité ne satisfait pas les hommes qui ne se retrouvent pas dans le nouveau rôle qu’ils se donnent ou dans lequel les mamans veulent parfois les cantonner. Elle ne donne pas davantage satisfaction aux femmes qui sont les premières à se plaindre qu’il n’y a plus d’hommes assez solides avec lesquels se confronter et sur lesquels aussi s’appuyer. Les conflits qui s’en suivent entraînent les drames que l’on connaît pour les adultes. Plus grave encore, ils privent les enfants d’une véritable éducation et fait d’eux très souvent, des enfants en manque de père et de repères, des enfants qui ayant mal intégré la loi, risquent d’avoir des difficultés à vivre en société, à apprendre à l’école etc.
    La lutte légitime pour l’égalité en droits ne devrait pas être confondue avec la recherche d’une société sans différence hommes-femmes. D’ailleurs, alors que l’on veut refuser toute construction sociale, l’égalitarisme ambiant ne devient-il pas ambigu ? Ainsi, comme certains le proposent, ne cherche-t-on pas, pour aller à l’unité de sexe, à guérir « l’homme malade »* pour en faire un « homme nouveau » ? Ne risque-t-on pas, alors, comme ceux qui recherchaient l’unité de race (les hitlériens) ou l’unité de classe (les staliniens), de verser dans l’utopie totalitaire et la confusion ? Nous n’en sommes pas là, mais avec l’idéalisation de l’humain androgyne ne sommes nous pas déjà un peu dans l’indifférence… ?
    *Elisabeth Badinter

    Jean GABARD auteur de : Le féminisme et ses dérives Du mâle dominant au père contesté, Les Editions de Paris http://www.jeangabard.com

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