L'homme qui fertilise les déserts (nature)

ARTICLE

Philippe Ouaki Di Giorno

L'homme qui fertilise les déserts

par Patrice van Eersel

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http://www.cles.com/debats-entretiens/article/l-homme-qui-fertilise-les-deserts

Elles font rêver, les fabuleuses visions et découvertes de l'horticulteur Philippe Ouaki Di Giorno, qui a “compris le monde végétal depuis l'intérieur” et pourrait littéralement faire reverdir les déserts. Mais il refuse de céder ses extraordinaires inventions à la seule logique du profit. Rencontre avec un visionnaire concret.

On sait qu'“ avoir la main verte ” correspond à une réalité. Certaines personnes sentent le végétal avec suffisamment de finesse pour entrer en contact avec la vie des plantes et, pourrait-on dire, avec la logique chlorophyllienne elle-même. Chez Philippe Ouaki Di Giorno, cette affinité a atteint un stade tel qu'il a non seulement la main verte, mais tout le corps, et sans doute l'esprit, et peut-être même l'âme ! Cet homme comprend les processus végétaux “de l'intérieur” et, du coup, il réussit à modeler cet état de la matière comme un magicien. Avec lui, les plantes s'avèrent d'une plasticité étonnante, outrepassant toutes les formes que nous leur connaissons habituellement. Ce qui est drôle, c'est qu'au départ, Philippe Ouaki n'a vraiment ni le calme du jardinier, ni le look de l'horticulteur : c'est un électron fou, un inventeur-né, un bourreau de travail à la curiosité insatiable. Si nous l'avons rencontré, c'est qu'à son génie scrutateur et inventif, PODG (comme l'appellent ses amis et les businessmen) allie une terrible exigence éthique... qui lui vaut quelques problèmes.

Une exigence de Don Quichotte têtu, pensent certains, déçus et même parfois fâchés de constater qu'après des années de fignolage - et une réputation certes mondiale, mais ponctuelle -, ses produits ne soient pas encore massivement utilisés dans les zones arides, les déserts et toutes les régions de la planète où l'humus fait tragiquement défaut par manque d'eau. Au cours de sa trajectoire, PODG est en effet parvenu à mettre au point, entre autres inventions, un étonnant “hydrorétenteur/fertilisant” biophile, c'est-à-dire un produit retenant l'eau, par exemple dans des conditions climatiques arides, et qui non seulement ne fait pas pourrir les racines, mais décuple leur développement. Ce produit est déjà connu dans le monde entier : par exemple dans les jardins du Luxembourg, à Paris, sur les greens de golf des émirs d'Arabie, dans les jardins royaux du Maroc ou sur les balcons des jardiniers japonais.

Mais l'affaire reste artisanale. Philippe Ouaki continue à fabriquer son produit lui-même, secrètement, dans sa mini-usine, refusant de céder ses brevets aux grosses compagnies agroalimentaires dont certaines ont pourtant proposé des sommes considérables... Pourquoi ? C'est ce que nous sommes allés lui demander.

Nouvelles Clés : Comment tout cela a-t-il commencé ?

Philippe Ouaki Di Giorno : Je me suis toujours intéressé au végétal. C'est une passion que j'avais en naissant. Par ailleurs, j'ai toujours aimé inventer, ne pas m'arrêter à ce qui existe. À l'intersection de ces deux motivations, une frustration me poursuivait depuis longtemps : la mort des grands arbres. Un chêne millénaire que vous coupez, à échelle humaine c'est fini. Fini à jamais !

Le facteur temps nous écrase. Moi, très jeune, j'ai cherché comment faire pousser des géants, sans être contraint d'attendre que la nature fasse lentement son œuvre. Et j'y suis arrivé ! Ça a l'air orgueilleux de le dire comme ça, mais ce n'est pas si compliqué. Ce sont les hommes qui sont compliqués.

Je suis un fan de science-fiction. Et mon métier de chercheur dans une industrie agroalimentaire spécialisée en horticulture m'a permis de faire toutes sortes d'expériences, où je passais de l'étude du fumier de bovins africains et de la méthanisation à des concepts comme l'empreinte moléculaire, l'amplification des éléments, l'homéopathie végétale, la photoluminescence... Un des concepts que je défends est celui de “potentiel génétique latent” : moi, je ne transforme pas le génétique, je l'optimalise, je transcende son potentiel qui, dans la majorité des cas, n'a pas dit le principal de ce qu'il a dans le ventre. D'une certaine façon tout existe déjà, il faut être humble, mais aussi avoir un œil différent des autres !

J'ai ainsi pu vérifier que le végétal était d'une malléabilité extraordinaire et qu'il savait prendre des tas de formes que nous ne connaissons pas. Le problème (que je n'avais pas prévu), c'est que mes congénères ont tendance à prendre peur devant toute forme nouvelle, qu'ils qualifient très facilement de “monstrueuses”. Il a donc fallu que je rabatte mes inventions vers les formes connues, notamment vers les arbres. J'ai appelé ma première invention plantoïde, en référence aux humanoïdes de la SF. C'est grâce à elle que j'ai pu “fabriquer” des arbres centenaires.

En fait, il s'agit d'une alliance entre matière de synthèse et matière organique. Je remplace le bois du tronc et des grosses branches par du polyuréthane, qui a la consistance et la masse du bois et qui reproduit le vrai bois des troncs (au micron près grâce à des mesures au laser). Tout le reste, c'est-à-dire les feuilles et les racines, est d'abord cultivé dans des serres, ou plus exactement dans des tubes et dans des micro-tubes, à partir de boutures ou de cultures cellulaires. L'une des particularités de ces tubes est leur longueur : un, deux, parfois trois mètres de long ! Je développe ainsi d'immenses racines qui sont introduites dans le corps artificiel de l'arbre.

N. C. : Ce sont donc de faux arbres.

P.O.D.G. : Mi-vrais, mi-faux, mais la symbiose entre l'artificiel et le naturel s'établit vite, et elle persiste à long terme. Mes plantoïdes peuvent vivre aussi longtemps que les vrais arbres, peut-être même plus ! C'est comme avec les matériaux bioniques utilisés dans le corps humain pour remplacer, par exemple, certains os : les tendons s'y agrippent ensuite et intègrent le matériau synthétique à tous leurs processus biologiques naturels. Les plantoïdes font la même chose : leurs faux troncs et leurs fausses branches sont bientôt pris dans la biomasse qui les intègre littéralement. Le faux arbre devient vrai - même des professionnels s'y laissent prendre !

N. C. : Avec du vrai bois qui prolonge le faux ?

P.O.D.G. : Absolument, le processus de production ligneuse (le bois) accepte de prendre le relais de notre fabrication synthétique de départ. Toute la question était de trouver comment suffisamment stimuler, au départ, les cultures de plantes in vitro pour démultiplier le développement de leurs racines - avec des racines trop courtes, les feuilles dépassant du tronc artificiel se retrouvaient en quelques sortes les pieds dans le vide et se desséchaient. J'ai donc réussi à mettre au point une méthode utilisant de très longs tubes très fins, et je suis parvenu à développer une masse racinaire vingt fois supérieure à la masse traditionnelle ! C'est à dire qu'en un mois j'obtiens par exemple un ficus développant un mètre de racines en tube ! (Quand plus tard, j'ai travaillé à l'application agricole de cette exubérance racinaire, j'ai dû mettre plusieurs bémol à la clé, pour ne multiplier cette croissance que par cinq, sinon j'aboutissais à des croissances absurdes et même néfastes du point de vue du rendement).

Les longs tubes sont en suites supprimés et on canalise les plantes dans le tronc final où, par un système de cautérisation, on crée des bourrelets au niveau de la masse ligneuse qui se développe et qui s'associe avec la partie synthétique en polyuréthane, ce qui conduit à une véritable association naturel/artificiel.

Le polyuréthane se lie aux bases solides et le développement végétal se poursuit sur lui et en lui. On obtient ainsi des arbres d'un genre radicalement nouveau, qui permettent évidemment d'aller très loin dans le délire !

N. C. : Quand cette invention de la plantoïde est sortie, vous avez eu droit à des articles dans beaucoup de revues professionnelles, en particulier dans Le Lien Horticole qui est la grande revue de votre corporation. Au salon de l'horticulture de 1991, on vous a d'ailleurs remis un prix “Coup de chapeau du jury”, que vous avez reçu des mains de madame Élisabeth Guigou...

P.O.D.G. : Mon truc décoiffait complètement. Je créais des plantes pour les siècles futurs !

Du coup, Eurodisney m'a demandé de participer le Festival des fleurs - où je me suis complètement éclaté, parce que là, il n'y avait pas de problème de budget, seulement des problèmes de technique et ça, je m'en chargeais. J'avais le sentiment de sentir la physiologie végétale jusqu'au bout de mes doigts ! J'ai ainsi pu produire en quelques mois des arbres que l'on met parfois trente ans à obtenir. Un palmier de quarante centimètres de diamètre, normalement, il faut quarante ans.

Quant aux taupières (les sortes de statues végétales, souvent en buis, que l'on voit dans les jardins des châteaux), qui exigent pour les plus belles d'entre elles entre trente et cinquante ans de travail, j'ai pu en créer de magnifiques en trois mois - par exemple une taupière de trois mètres et demi de long, en thuya, représentant un hippopotame en tutu, avec les oreilles, le nez, tout. En trois mois : chez Disney, ils n'en revenaient pas ! C'est ainsi que se sont joyeusement déroulés les festivals de 1997 et 1998.

N. C. : Au-delà du plaisir de créer de nouvelles formes, quels progrès offre cette première invention ?

P.O.D.G. : Outre la rapidité de sa croissance, la plantoïde a plusieurs avantages. Si elle aide à créer des plantes ex nihilo, elle permet aussi d'associer des plantes qui jusqu'ici ne pouvaient pas se greffer ensemble - je pense par exemple aux bocarnea à gros tronc...

Un autre avantage, qui me tient particulièrement à cœur, est que cette technique permet de ne plus prélever abusivement dans la nature sauvage.

Vous savez d'ailleurs que la convention de Washington (C.I.T.E.S.) interdit désormais de nombreux prélèvements d'espèces protégées, notamment sous les tropiques - c'est justement le cas du bocarnea du Costa-Rica. La plantoïde protège donc le patrimoine végétal et la biodiversité.

N. C. : Dans de nombreux domaines bioniques, c'est-à-dire ceux où la technologie imite et remplace la nature, on finit par découvrir qu'une harmonie subtile s'est brisée, par exemple la lumière n'y est plus déviée à gauche mais à droite, ou bien les suites mathématiques de Fibonnaci (équation de la fameuse spirale du tournesol ou du nautile ) n'y sont plus tout à fait respectées - c'est vrai semble-t-il dans certains organismes génétiquement modifiés.

Vos plantoïdes ne courent-elles pas ce risque ?

P.O.D.G. : Je ne pense pas. Nous jouons sur trois lois : celle de la gravité, celle du développement cellulaire, celle du tropisme photonique. Sans oublier cette règle fascinante du végétal : des plantes de même genre finissent par se souder au niveau de leurs racines. Vous mettez deux plantes sœurs côte à côte, au bout d'un moment, elles n'en forment plus qu'une, par les racines. Prenez une futaie d'ormes : vous croyez voir une vingtaine d'arbres indépendants, alors qu'en réalité, dans le sous-sol, toute cette futaie ne forme qu'un seul orme souterrain (qui, lorsqu'il pleut, se répartit l'eau de façon homogène).

Une forêt forme un seul être. C'est ce principe que j'ai utilisé pour les taupières d'Eurodisney. Pour comprendre la logique végétale, il faut souvent dépasser les apparences visuelles. Autre exemple : un tronc d'arbre vous paraît naturellement bien vivant ; en réalité l'essentiel de sa masse est morte ; seuls son limbe et son parenchyme vivent. Mes plantoïdes, avec leurs troncs synthétiques et leurs “ réseaux veineux ” vivants, ne font que reproduire cette loi de la nature. C'est du travail sérieux (rire), même si mes interlocuteurs ne s'en étaient pas tout de suite rendu compte quand j'ai exposé la première fois dans un salon, parce qu'un immense panneau surplombait mon stand, où j'avais écrit : “ Les extraterrestres existent, ils nous ont laissé plantoïde ! ”

Dès cette première fois pourtant, des Hollandais ont voulu m'acheter mon brevet.

N. C. : Est-ce pour vos plantoïdes que vous avez reçu la distinction “ Produit du 21ème siècle ” au salon de l'agriculture de Tunisie ?

P.O.D.G. : Non, ça c'était pour l'hydrorétenteur / fertilisant que j'ai baptisé Polyter. Mais tout est lié. Pour faire correctement pousser mes plantoïdes, j'ai eu rapidement besoin d'un bon hydrorétenteur, c'est-à-dire d'une matière capable de retenir suffisamment d'eau à n'importe quelle hauteur, dans n'importe quelle situation, pour que les plantes puissent boire.

Le problème de la plupart des hydrorétenteurs que vous trouvez dans le commerce, c'est qu'ils offrent au végétal une interface léthale : les racines s'y enroulent pour y trouver de l'eau, mais celle-ci, directement en contact avec les cellules végétales, les fait pourrir. Cette caractéristique n'a aucune importance pour l'un des plus gros marchés actuels d'hydrorétenteurs, celui des “polymères santé” : les couches-culottes ! Mais pour mes plantoïdes, ça n'allait pas du tout. C'est alors que j'ai découvert un procédé nouveau pour polymériser (= créer des molécules géantes, en chaîne) la cellulose. Le produit ainsi obtenu s'est avéré miraculeux. C'est lui que j'ai baptisé Polyter. Presque trop beau pour être vrai ! Et pourtant, après dix années d'expériences sur tous les continents et sous toutes les latitudes, je peux vous affirmer que ça marche !

N. C. : C'est la rumeur de l'existence de ce polymère de cellulose qui nous a fait venir jusqu'à vous. On dit que vous refusez obstinément de le vendre à une industrie capable de le répandre sur toute la planète, alors qu'il semble pouvoir rendre d'immenses services. Expliquez-nous...

P.O.D.G. : Laissez-moi d'abord vous décrire la chose. Du point de vue de sa fabrication, je ne peux vous dire grand chose : c'est un peu comme le fameux secret de Michelin en matière de vulcanisation sauf que là, il s'agit de mettre en œuvre une polymérisation associée à une matière active, grâce à un nouveau concept qui décoiffe et qui ne peut pas être compris de la plupart des grands groupes. Parlons plutôt des propriétés du produit que l'on obtient ainsi. D'abord cet hydrorétenteur/fertilisant est biodégradable (ce qui est loin d'être le cas de la plupart des polymères basiques). Ensuite, il se trouve qu'il réussit à établir entre l'eau et les racines le même rapport que l'humus ou que la terre arable : ce n'est pas un contact direct (qui pourrirait le végétal), mais un rapport osmotique. Entre l'eau et la cellule se dresse comme une membrane de cellulose, qui rend l'irrigation optimale. Les racines le sentent bien : elles raffolent de ces nodules et viennent se lover à eux de manière quasiment frénétique. C'est de cette façon-là, en particulier, que j'ai réussi à démultiplier par vingt la croissance racinaire des plantoïdes.

Au départ, ça se présente comme des sortes de petits cristaux translucides. Jetez-les dans la flotte, ils accueilliront jusqu'à cinq cent fois leur masse en eau et la conserveront dans leurs filets de cellulose, quasiment sous tous les climats et à toutes les profondeurs de sol. Quelques grammes de ce produit, semés en même temps que la graine ou que le plant, vous permettront d'économiser d'immenses quantités d'eau, vous le comprenez bien - en particulier, dans les zones arides. En associant cet hydrorétenteur à une irrigation au goutte-à-goutte, à la limite, on pourrait ne plus perdre un seul gramme d'H2O ! Cela dit, jusque-là, j'avais à peu près calculé mon coup et visualisé à l'avance les caractéristiques de cet hydrorétenteur. Ce que je n'avais pas prévu et qui s'est présenté à moi comme vraiment “ miraculeux ”, c'est que les nodules de Polyter ont révélé bien d'autres qualités. Par exemple, ils maintiennent l'eau à une température plus basse que le milieu (particularité du polyter est que plus on le met au chaud plus c'est frais : c'est le principe dit de l'osmose inverse), ce qui est excellent pour “déstresser” les plantes. Voilà une notion essentielle en agronomie du 21ème siècle : le végétal peut souffrir de stress par manque d'eau, par choc de température, par empoisonnement ; or toute racine qui a pénétré dans un nodule de Polyter se trouve à l'abri des variation de température, de la soif et de certains parasites. Mieux encore : les nodules de Polyter retiennent les nitrates et les phosphates, qui du coup ne s'en vont plus polluer les nappes phréatiques - et d'une façon telle que les plantes s'en nourrissent correctement. Or c'est une surprise totale, car sur le plan physico-chimique, il y a pratiquement antinomie entre matières fertilisantes et polymères : ordinairement un phosphate ou un nitrate dissout tout polymère... mais pas le mien !

Les fertislisants font partie intégralement de la masse polymérique de Polyter selon mon mode de fabrication.

N. C. : Il s'agit donc d'un outil écologique multidimensionnel... dont les vertus ne sont plus à démontrer ?

P.O.D.G. : Les mises en pratique sur le terrain, parfois à grande échelle, ont démarré au début des années 90. En France, les recherches les plus intéressantes ont été menées dans les sables des Landes, en particulier sur la dune du Pilat, où nous avons réussi à reboiser une zone considérée comme impossible.

Donc on va pouvoir faire du reboisement, gérer en Afrique les surfaces agricoles en faisant comprendre aux agriculteurs que planter un arbre n'est pas une perte de place. Plusieurs grands jardiniers du domaine public français ont adopté le Polyter - par exemple les, jardiniers du Sénat. À l'étranger, j'ai déjà travaillé avec des Égyptiens, des Jordaniens, des Norvégiens, des Marocains, des Koweïtiens, des Américains, des Burkinabés, des Japonais... Partout, nous avons obtenu des résultats mirobolants, faisant pousser des plantes maraîchères aussi bien que des arbres fruitiers, des herbages ou des céréales (voir légendes des photos), quelle que soit l'hydrométrie et avec un rendement explosif, certaines plantes atteignant des tailles impressionnantes ! Notre dernière opération sur la culture des haricots verts au Sénégal a fait passer la production de 9 à 15 tonnes à l'hectare - et ce, en ne mettant que deux grammes d'hydrorétenteur /fert. par poquées de haricots verts. En même temps nous avons raccourci le cycle cultural, qui est souvent très long en particulier à cause du stress hydrique et de différents paramètres que notre méthode supprime.

N. C. : Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes !

P.O.D.G. : Malheureusement non. À chaque fois, le scénario a été le même : une fois convaincu de la validité de mon produit, mon interlocuteur s'intéresse à son prix, découvre qu'il faut créer une filière industrielle pour le produire en masse (au moins par centaines de tonnes) afin qu'il soit vendable et exige alors le rachat de mes brevets ou l'exclusivité de la production - moyennant bien sûr un joli pactole pour moi. Et chaque fois, je refuse, car je comprends trop bien qu'il va s'agir, pour cet interlocuteur, de tirer le maximum de profit de mon invention, et pas du tout d'aider au rétablissement des grands équilibres écologiques - dont il se fiche généralement comme de sa première chemise !

Mon refus a plusieurs fois failli me coûter la vie. Les gars étaient furieux et lançaient leurs sbires à mes trousses ! Une année, j'ai même dû prendre des garde du corps... Je dois dire hélas que ce scénario est le même au sud comme à l'ouest. Espionnage industriel, arrogance, mensonge et compagnie. Un grand groupe international a récemment achevé une étude approfondie de ma méthode, essentiellement en Afrique. Ils sont d'accord... mais pour quoi ? Pour m'absorber et faire leur toute cette technologie avec leurs propres intérêts et leurs façons de faire. Je m'oppose à cette logique géo-industrielle, qui fait que les pays du Nord continuent à s'enrichir et que les pays du Sud continuent à délirer.

N. C. : Quelle sont vos prochains objectifs ?

P.O.D.G. : Il faut être raisonnable et je ne suis pas marxiste, loin de là, plutôt favorable à un capitalisme à vision humaine et raisonnée, dans la perspective d'un développement de potentiel optimal à long terme - un développement soutenable comme on dirait aujourd'hui. Je pourrais produire en grande quantité. Mais je ne veux pas le faire à n'importe quel prix.

Mon but est d'obtenir un développement harmonieux pour tous... et ce n'est pas une mince affaire. Il s'agit notamment d'associer dans les mêmes programmes : les industriels, les agriculteurs (les gros et surtout les petits paysans regroupés en coopératives), les offices gouvernementaux de reforestation, les ONG... il faut associer les programmes humanitaires aux programmes de développement agricole et de reboisement. Or tout ce monde-là travaille actuellement dans le plus grand désordre - un chaos que les grands groupes (vendeurs de fertilisants par exemple) savent évidemment entretenir pour en tirer un maximum de profit, à court terme. C'est de la folie ! Cela dit, je vois aussi des signes d'espoir. De grands groupes sont prêts à positionner le Polyter comme un élément de garantie - ils financeraient des campagnes de développement, à condition que le produit soit utilisé, parce qu'à l'échelle où ces groupes travaillent, ils ont absolument besoin de contrats d'assurance. Disons que, globalement, j'aurais besoin d'une entité socio-économique internationale qui n'existe pas encore. Il faut créer tout un véhicule, toute une articulation...

N. C. : Si l'on pense, comme le fameux géologue russe du début du siècle Vladimir Vernadsky, inventeur des notions de lithosphère (la planète minérale), de biosphère (la vie qui a poussé à la surface du globe, tout en modelant celle-ci), de technosphère (les productions humaines, en contradiction avec la biosphère, qu'elles appauvrissent et empoisonnent) et de noosphère (la conscience humaine collective qui réussit finalement à concilier biosphère et technosphère), eh bien, vous semblez être un acteur de la noosphère ! Espérons que vous allez franchir le prochain obstacle - d'autant que vous travaillez sur le front de l'eau, dont on dit qu'il pourrait susciter les pires guerres du 21éme siècle.

P.O.D.G. : Nous avons les moyens techniques de résoudre même les problèmes en eau du Kazakhstan, dont on sait que les champs de coton ont pompé tant d'eau que la mer d'Aral s'est asséchée ! En trois ans de stimulation racinaire sur des acacias, nous pouvons créer des microclimats, arrêter l'avancée du sable, freiner celle du vent. Les écoles d'agronomie enseignent qu'en dessous de 100 millimètres d'eau de pluie par an, rien ne peut pousser. C'est faux. Si vous stockez l'essentiel de cette eau en sous-sol, grâce à des injections d'hydrorétenteur, ce sera comme s'il avait plu 300 à 500 millimètres !

Je pense qu'à long terme, nous pourrions faire reverdir le Sahara. C'est l'idée de “ barrage interne ”. Vous savez que sur une bonne partie des bordures du Sahara, il peut pleuvoir une quantité incroyable pendant une semaine et ensuite plus rien pendant des mois. Le sol étant sableux, c'est comme s'il ne pleuvait jamais. Le chantier du “ barrage interne ” commence par une étude de la pluviométrie d'un endroit donné pendant cinq ans. À partir de là, on calcule mathématiquement la profondeur des carottages d'hydrorétenteur qu'il faudrait injecter dans le sol pour pouvoir y retenir l'eau des rares pluies annuelles. Ces carottages s'effectuent avec des machines très au point, qui vous font des millions de trous de cinquante centimètres, un mètre ou de deux mètres. Le sol se trouverait en quelque sorte pacifiquement miné.

À chaque pluie, l'eau entrerait dans le sol, gonflerait un peu plus l'hydrorétenteur... et en quelques décennies, vous pourriez avoir toute une région du désert dont le sous-sol se trouverait en quelque sorte inondé par des centaines, des milliers de mètres cube d'“ eau solide ”.

Et rappelez-vous que plus on met le Polyter au chaud, plus l'eau qu'il conserve est fraîche !

À partir de là, on peut imaginer toutes sortes de végétalisations du sol, par exemple avec des associations légumineuses/arbres qui recréent littéralement le cycle de vie.

L'expérience pilote est simple : je pars d'un sol caillouteux ou sablonneux, que je fertilise avec trois bidons contenant : le premier du polyter, le deuxième des semences à haut pouvoir de fertilisation d'engrais organique et le troisième une sélection bactérienne qui va créer la vie.

A partir de ce socle, en trois cycles de culture, on obtient une matière organique sur les vingt premiers centimètres du sol, et la vie renaît dans le désert. L'ancienne mémoire des bédoins ne leur dit-elle pas que jadis le Sahara était vert ?

Pour en savoir plus sur le POLYTER : [->www.polyter.org]

 

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