La conjuration des imbéciles
- Par Thierry LEDRU
- Le 18/06/2012
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15.06.2012
La conjuration des imbéciles, ou comment l'Europe a tué la Grèce
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Jusqu’en 1981, la Grèce a vécu cahin-caha dans la frugalité mais sans la pauvreté. Les petites exploitations agricoles, protégées de la concurrence extérieure, représentaient 25% de l’emploi total. Des industries d’une efficacité moyenne, mais abritées de la concurrence internationale, employaient des ouvriers peu nombreux mais payés correctement et bien couverts socialement. Et le tourisme, boosté par les dévaluations régulière du drachme, comblait les trous d’une activité économique un peu ralentie. Ce n’était pas une prospérité absolue, des soubresauts violents témoignaient de l’injustice du système, des groupes d’intérêts comme les militaires saisissaient parfois le pouvoir par la force, mais le système était en relatif équilibre, dans une sorte de précapitalisme méditerranéen. Un état providence, un peu tordu et pas très efficace, mais qui évitait les extrêmes de la pauvreté et de l’inégalité. La corruption huilait les rouages.
L’entrée de la Grèce en Europe en 1981 a été une expérience en plein champ de la mondialisation malheureuse. L’Etat inefficace et corrompu a été poussé par l’Union Européenne et les banques européennes à un laxisme inouï. Caramanlis, le premier ministre, a falsifié avec l’aide de Goldman Sachs les comptes publics Grecs et fait croire que le déficit était de 3% alors qu’il était de…près de 14%. L’entrée dans l’Europe a été poussée par la classe politique pour des raisons de prestige et de prévarication, sans réfléxion sur les conséquences désastreuses de cette intégration. L’agriculture artisanale mais prospère, protégée de l’agro-industrie subventionnée européenne, a subi de plein fouet sa concurrence et s’est peu à peu étiolée. Les tomates hors sol sans goût Espagnoles ont remplacées dans les supermarchés les savoureuses tomates des petits maraîchers Grecs. L’industrie a été balayée par une concurrence européenne plus compétitive et par la concurrence asiatique à laquelle l’Europe a ouvert grandes ses portes, comme une pute à un souteneur. Cette désertification a été un temps compensée par la bonus des subventions européennes, le boom de la construction, et le bonus du tourisme, et la Grèce a retrouvé périodiquement un brin de compétitivité grâce à des dévaluations du drachme.
Mais l’entrée dans l’euro en 2004 a été le dernier clou européen dans le cercueil Grec. L’impossibilité de dévaluer a définitivement broyé la compétitivité Grecque, y compris dans le tourisme pénalisé par des prix devenus élevés. Les déficits budgétaires ont explosés, la base imposable diminuant pendant que les dépenses restaient élevées, nourries par la perversité d’un système politique clientéliste. Les Grecs, poussés par les banques qui leur prêtaient à tour de bras, sont entrés massivement dans la société de consommation: les banques allemandes et françaises prêtaient aux banques Grecque, qui prêtaient aux Grecs, pour leur permettre d’acheter… des produits allemands ou français. Le déficit commercial est devenu abyssal, à la grande joie des exportateurs européens vers la Grèce. Le déficit budgétaire Grec a été financé par les irresponsables banques européennes, qui se précipitaient pour prêter sans risque en euros à un Etat que l’Europe ne laisserait pas faire défaut. L’agriculture et l’industrie laminées, le tourisme en recul, la compétitivité en berne, la Grèce est devenue par la faute de l’Europe un pays assisté que l’Europe a refusé d’assister. L’Europe devait stimuler la Grèce, faire évoluer son système politique et économique, en faire un pays moderne. Mais l’Etat Grec est resté intact, et l’économie a dépéri, seul les importateurs et les distributeurs de produits étrangers prospérant sur les décombres de l’activité productive.
Le désastre Grec est en grande partie dû à la surévaluation de l’euro. Un institut allemand a calculé que pour restaurer sa compétitivité, l’euro Grec devrait dévaluer de 50% environ, 1"euro grec" baissant à 0,70$. Pendant tout le XX° siècle les dévaluations ont été le moyen nécessaire (même s’il n’est pas suffisant) de rééquilibrer une balance commerciale déficitaire et de relancer la croissance en freinant les importations et en poussant les exportations. Keynes lui-même critiquait l’étalon-or qui, en empêchant un pays de dévaluer, l’empêchait de redevenir compétitif. En 1969, Giscard a dévalué le franc contre l’avis de De Gaulle, pour restaurer la compétitivité française mise à mal par Mai 68. En 2001, la Turquie a dévalué de 50% sa monnaie accrochée au dollar et surévaluée et a retrouvé le chemin de la prospérité. De même pour l’Argentine ou la Russie dans les années 2000 ou l’Italie avant l’euro. Cette importance du taux de change pour la compétitivité et la croissance a été bien compris par la Chine, qui a systématiquement sous-évalué le Yuan, accumulant ainsi 3000 milliards de dollars d’excédents et créant des dizaines de millions d’emplois, et par l’Allemagne, qui voit sa compétitivité boostée par un taux de change de l’euro moyenné à la baisse. Le taux de change d'équilibre de "l’euro allemand", d'après le même institut serait 1€=1,70$ !
Le carcan de l’euro surévalué bloque toute chance de retour à l’équilibre des échanges commerciaux Grecs, toute restauration de l’activité industrielle et agricole, fait de la Grèce un désert ne pouvant survivre que par l’assistanat. La dévaluation de la devise Grecque étant impossible, la conjuration des cyniques a poussé à une dévaluation interne des salaires et des retraites. Mais cette dévaluation interne, en mutilant le pouvoir d’achat, la consommation, et l’investissement, crée une récession majeure qui aggrave une situation déjà catastrophique. Les apprentis sorciers de l’Europe ou de FMI ont inventé le remède qui aggrave le mal !
Malgré l’évidence que le maintien de la Grèce dans l’euro et l’austérité brutale imposée à la Grèce sont suicidaires, elle ont encore des défenseur acharnés. Contre les faits, contre l’intérêt du peuple Grec, les intérêts particuliers prévalent. Les banques n’ont pas intérêt à une sortie de la Grèce de l’euro, qui conduirait inéluctablement à un défaut massif, bon pour la Grèce mais mauvais pour leurs comptes. Elles ont d’ailleurs retardé au maximum cette échéance, enfonçant la Grèce dans la crise, pour se donner le temps de transférer à la BCE leurs créances sur la Grèce. Le FMI, qui défends prioritairement les intérêts des banques, est sur la même ligne. Les eurocrates, pensant à tort que sortie de l’euro veut dire sortie de l’Europe, et qui ont intérêt à une redistribution européenne dont ils seront chargé, s’agitent frénétiquement pour empêcher toute sortie de l’euro. L’Allemagne, qui bénéficie du moyennage de l'euro, préfère que la Grèce reste dans l’euro à condition de ne pas avoir à l’assister, ce qui est un oxymore.
Tout ce petit monde financier et politique a au fond intérêt au maintien forcé de la Grèce dans l’euro, d'ou leur acharnement thérapeutique qui tue le patient. Mais pourquoi la majorité des économistes, supposés scientifiques, observant les faits, ne concluent pas à l’inverse que la politique actuelle est suicidaire et que la Grèce doit sortir de l’euro pour s’en sortir. Pourquoi ce chœur d’économistes effarouchés hurlant au désastre si la Grèce sort de l’euro, alors que l’évidence montre que le désastre pour la Grèce est de rester dans l’euro. « Si la Grèce sors de l’euro », dit l’un, son PNB baissera de 50% ! ». « La sortie de la Grèce de l’euro serait suicidaire » dit l’autre. Le premier est un économiste… d’UBS, le second de…Natixis. On comprend mieux. Beaucoup d'économistes ne sont pas des scientifiques mais des employés défendant loyalement l’intérêt de leurs employeurs. Les autres sont au mieux des perroquets, sauf quelques rares minoritaires lucides prêchant la sortie de l'euro dans le désert.
La conjuration des cupides et des imbéciles, qui regroupe banques européennes, banques centrales, eurocrates, économistes et dirigeants politiques européens, en refusant toute sortie de l’Euro même ordonnée et en imposant une austérité brutale, mets la Grèce à genoux au lieu de la relever. Un peu comme les ateliers où l’on forçait les miséreux à travailler dans des conditions infectes en Angleterre au XIX°, en contrepartie d’un peu de pain. Et les politiques Grecs, victime d’une propagande assourdissante, hurlent comme des chacals avec les loups européens : pas de sortie de l’euro, alors qu’elle est indispensable pour redevenir compétitifs, pas de défaut massif, alors que c’est la seule solution pour échapper au piège du surendettement, pas de référendum, car que pèse le peuple quand les intérêts supérieurs des banques et des grands états de l’Union sont en jeu. Même le charismatique dirigeant de l’extrême gauche Grecque, Alexis Tsipras, comme lobotomisé par le culte de l’euro d’or, veut lui aussi rester dans l’euro !
L’euro m’a tué, pourrait dire la Grèce. Et après l’expérience en plein champ des dangers de la monnaie unique, on peut prédire sereinement que le Portugal, l’Irlande, l’Espagne, et peut-être la France (avec ses 70 milliards d’euros de déficit commercial) seront étouffées par le carcan de l’euro surévalué et connaîtront durablement récession et chômage. L’euro a été fatal à la Grèce. Il est devenu l’hubris de l’Europe toute entière. Le domino Grec fera tomber l’Europe, non si la Grèce sort de l’euro, mais si elle y reste.
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